«Inacceptable» tel est le cri universel unanime après le scandale d'Abou Ghraïb. George W.Bush devait donner, dans la soirée d'hier, une interview de 10 minutes à la chaîne satellitaire saoudienne Al Arabiya, dans laquelle il devait «dénoncer les sévices» infligés aux prisonniers irakiens selon le porte-parole de la Maison-Blanche, Scott Mc Clellan, qui indique : «C'est une occasion pour le président de s'adresser directement aux gens des Nations arabes et leur dire que les images que nous avons vues sont honteuses et inacceptables». Sur cette même chaîne, mardi, la conseillère présidentielle, Condoleezza Rice, avait déclaré : «Nous sommes profondément désolés par ce qui est arrivé à des personnes et par ce que leur famille ont dû ressentir. Ce n'est pas juste. Et nous irons jusqu'au bout pour savoir ce qui s'est produit». De son côté, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a affirmé le même jour que «justice serait faite» sur cette affaire, reconnaissant par ailleurs être «profondément inquiet des effets que ces images pourront avoir de par le monde». En fait, les Américains ont pu constater ces derniers jours l'effet qu'a eu sur le monde les scènes de tortures des prisonniers irakiens et les sévices et exactions qui leur ont été infligés. Mais ce déploiement médiatique des responsables de l'administration Bush, risque de demeurer sans effet, si Washington reste vague sur ses intentions pour l'Irak et ne s'explique sur ce qui se passe dans ce pays depuis un an, époque durant laquelle des milliers d'Irakiens ont été arrêtés et qui demeurent jusqu'à ce jour sans jugement, alors que leur statut légal n'est pas clair. Ce qui incita d'ailleurs une experte de l'ONU, Leïla Zerrougui, à demander à Washington de clarifier le statut des prisonniers irakiens. Cette responsable du groupe de travail sur les arrestations arbitraires à l'ONU a, dans un communiqué, «exprimé de graves inquiétudes au sujet du flou entourant le statut légal de beaucoup de prisonniers actuellement interrogés en Irak, dans le contexte de témoignages faisant état de tortures». Le communiqué ajoute, que Mme Zerrougui est «sérieusement troublée par le fait que ces personnes n'ont pas eu accès à un tribunal pour pouvoir contester la légalité de leur détention», appelant à la «clarification du statut de chaque personne détenue en Irak». En fait, le scandale des prisonniers irakiens torturés, remet en cause la présence même des forces de la coalition contre lesquelles de plus en plus d'Irakiens manifestent, comme ce fut le cas hier devant la sinistre prison d'Abou Ghraïb à Bagdad, où des centaines de manifestants ont dénoncé les sévices et humiliations infligés à leurs compatriotes emprisonnés. En fait, par leur comportement inhumain envers leurs prisonniers, les soldats des forces d'occupation américano-britanniques se sont mis au même niveau que les tortionnaires de Saddam Hussein qu'ils dénonçaient hier. Aussi, le problème aujourd'hui n'est plus de veiller à ce que cela ne se reproduise plus, mais le fait que cela s'est quand même produit, de la part de militaires censés apporter la liberté et le savoir-vivre aux populations irakiennes, appelle des mesures drastiques que les excuses ou les regrets ne peuvent pas différer. En réalité, la présence américano-britannique en Irak ne se justifie plus, d'autant plus que l'occupation de ce pays est en train d'induire un point de non-retour dangereux pour la stabilité de l'ensemble de la région du Moyen-Orient. Car, si le scandale des prisonniers a quelque peu éclipsé l'actualité sécuritaire, celle-ci demeure aussi tendue qu'elle l'était la semaine dernière, avec ses lots quotidiens de morts violentes de dizaines d'Irakiens. Hier, 16 Irakiens dont neuf miliciens et un soldat américain sont morts à Najaf lors d'un accrochage, neuf autres miliciens de Moqtada Sadr ont été tués par des tirs des marines à Diwaniyah. Si jusqu'ici il n'y eu que des escarmouches, qui ont néanmoins laissé des dizaines de morts sur le terrain, notamment parmi les miliciens de l'Armée du Mehdi, les deux camps demeurant sur le qui-vive, sont aussi prêts à engager le combat à tout moment et Moqtada Sadr a encore réitéré hier sa menace de lancer des opérations kamikazes contre la coalition, en faisant appel à ses miliciens, indiquant dans un enregistrement vidéo distribué à la presse : «Nous voulons que vous soyez plus vigilants et plus disciplinés et si Dieu le veut, je vous mènerais au martyre». Toutefois, tout en menaçant les forces d'occupation, les miliciens se disent prêts à observer une trêve «si les Américains se retirent de leurs bases (à Najaf) à l'hôpital universitaire Sadr», au moment où les marines font distribuer des tracts dans lesquels ils demandent à la population de coopérer avec eux pour désarmer les miliciens de Moqtada Sadr. Ce qui apparaît quelque peu difficile après les horribles images de torture que les soldats américains ont infligés aux prisonniers irakiens.