Le président afghan ne décolère pas après la révélation des tortures qu'ont fait subir les soldats US aux prisonniers afghans. «C'est simplement inacceptable. Nous sommes en colère», s'est écrié le pourtant placide président afghan Hamid Karzaï dimanche sur CNN, a la veille de sa rencontre à Washington avec George W. Bush, indiquant qu'il parlerait de cette question lundi (hier) avec son homologue américain. «Nous demandons la justice (...), que les responsables soient punis et jugés», a ajouté M.Karzaï. Il faut dire que les dépassements de la part des troupes américaines, notamment en Afghanistan et en Irak, loin d'être isolés ou imputables à quelques «têtes brûlées» tendent plutôt à se généraliser, comme on l'a vu à Abou Ghraïb où plusieurs soldats et soldates américains ont été impliqués dans les tortures infligées aux prisonniers irakiens. Concernant ces cas, les autorités militaires américaines affirment que des enquêtes «sont en cours». De son côté, le porte-parole de la Maison-Blanche, Trent Duffy, a affirmé qu'«il y a des enquêtes criminelles en cours concernant les faits dont l'article (du New York Time révélant l'affaire des prisonniers afghans) fait état. Les gens seront jugés. Ceux qui ont commis les actes dégradants à la prison d'Abou Ghraïb ont été jugés et effectuent des peines de prison pour ce qu'ils ont fait». Comme la soldate, Sabrina Harman, 27 ans, reconnue coupable de six des sept chefs d'accusation retenus contre elle mais qui n'a écopé que de six mois de prison alors qu'elle risquait une peine d'au moins cinq ans et demi de prison. Mettant des oeillères sur ce qui se passe dans les pays et les lieux occupés par l'armée américaine, les responsables de la Maison-Blanche et du Pentagone préfèrent ne pas voir du côté de leur armée, pointant en revanche le doigt sur les «extrémistes anti-Américains», ce qui permet de dédouaner à peu de frais leurs troupes US des dépassements, excès et scandales dont ils sont accusés. Or, Abou Ghraïb n'est point isolé et semble n'être que l'une des chaînes de la longue liste d'excès auxquels se sont livrés les soldats américains envers leurs prisonniers en Afghanistan, en Irak et sur la base de Guantanamo, où a été profané par des militaires américains le Saint Coran. De fait, l'existence même de la base de Guantanamo - où les prisonniers tenus au secret n'ont aucun droit et ne reçoivent aucune visite - qui enfreint toutes les lois internationales est en soi un scandale, cette base n'entrant dans aucun cadre juridique américain ou international. Mis en cause, en tant que responsable direct de l'armée US, le Pentagone s'est contenté de faire le dos rond ne disant mot ni sur le scandale du Coran profané, ni sur les sévices subis par des prisonniers afghans et irakiens, ni sur les photos humiliantes publiés le week-end dernier par le tabloïd britannique The Sun. Cela fait tout de même beaucoup de dérapages pour ne pas donner quelque crédit au fait que ces actions sont faites délibérément avec la volonté d'humilier davantage les musulmans et les Arabes. De fait, l'affaire des prisonniers afghans, celle du Coran ou encore les photos de Saddam Hussein ont fait réagir autant l'ONU que les ONG internationales. A propos du Coran, le porte- parole du Cicr, Vincent Lusser, a indiqué que «la question du respect de la religion des prisonniers est sensible et est évoquée dans le droit humanitaire international. Un prisonnier a le droit de pratiquer sa religion et doit pouvoir compter sur le respect de sa foi». Plusieurs prisonniers ont affirmé au Comité international de la Croix et du Croissant-Rouge (Cicr, organisation relevant de l'ONU) que de nombreuses profanations du Coran ont été commises à Guantanamo par des soldats américains. Pour sa part, l‘ONG américaine HRW (Human Rights Watch) affirme que «les tortures de prisonniers n'ont pas commencé à Abou Ghraïb», la prison irakienne proche de Bagdad par laquelle les scandales de la torture ont été révélés au monde. HRW regrette que «les précédentes enquêtes ordonnées par l'administration Bush et le département de la Défense ont échoué à lever le voile sur l'importance des abus commis par l'armée américaine et la CIA en Afghanistan et en Irak». L'organisation américaine des droits de l'Homme affirme d'autre part que «les forces américains en Afghanistan ont été impliquées dans des homicides, des tortures et d'autres abus sur des prisonniers bien avant le début de la guerre d'Irak». Le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU en Afghanistan, Jean Arnault, a lui aussi dénoncé les pratiques de l'armée américaine indiquant que «les abus et le traitement inhumains qui ont provoqué la mort de deux prisonniers afghans à la prison de Bagram en 2002, rapportés par le New York Times, sont profondément choquants», soulignant que «de tels abus sont inacceptables et constituent un affront à toutes les valeurs auxquelles la communauté internationale est attachée en Afghanistan». La répétition de ces «dérapages» de la part de soldats censés apporter la liberté et la démocratie aux peuples afghan et irakien dénote surtout du peu de respect qu'ont pour ces peuples cette «avant-garde» de la démocratie américaine qui se conduit comme en pays conquis, rappelant les tristes épisodes de l'époque coloniale.