Le lieutenant Aslat Méziane adjoint du bataillon de choc de la Wilaya III Ce bastion qui jadis était imprenable fut piétiné par cette armada de 40.000 hommes qui a envahi la Wilaya III. Une section du bataillon de choc de la Wilaya III historique venait d'arriver des Aurès où il avait pour mission d'épauler les combattants de la Wilaya I historique (Aurès Nmemchas). En février 1960, les moudjahidine du bataillon retrouvèrent la Kabylie avec de grands bouleversements. D'abord, la mort du colonel Amirouche était un séisme. Ensuite, ce fut le cataclysme après l'opération Jumelles et enfin l'affaire «des officiers libres» qui jeta quelque peu un désarroi. Il n'y a pas lieu d'évoquer ici une animosité entre Mira et Mohand Oulhadj pour prendre les rennes de la Wilaya III. Ce qui est surtout apparent et flagrant pour les nouveaux arrivants, c'est l'évacuation de la plupart des villages, le manque de liaison entre les secteurs, les régions et les zones et l'absence des refuges ou leur éloignement. Partout et autour d'eux, ce sont les zones interdites à perte de vue. La population est partout déplacée et regroupée autour des centres de regroupement encadrés par l'armée. Déjà, lorsqu'ils foulèrent le sol de la Grande Kabylie dans le Djurdjura (Zone 4), le lieutenant Goulaouche Md Oulhadj de Tafoughalt les a mis en garde d'avoir à se séparer en groupes. Il les avertira que le colonel Pottier, chef du régiment des chasseurs alpins de Michelet (Aïn El Hammam) est désormais au courant de leur arrivée. Ils marchaient dans la neige jusqu'au thorax et leurs traces étaient facilement visibles depuis un aéronef. Après un détour dans la forêt de Mizrana, ils arrivèrent dans l'Akfadou. Ce bastion qui jadis était imprenable fut piétiné par cette armada de 40.000 hommes qui a envahi la Wilaya III. L'Akfadou qui, jadis, était l'objet de grandes opérations de ratissage avec des milliers d'hommes, est désormais vulnérable. Les informations recueillies auprès des djounoud et responsables locaux rencontrés sont alarmants: le PC Artois s'est déplacé de Chellata sur Tala Guizem (appelé couramment l'Antenne) au coeur du massif; les patrouilles sont fréquentes à travers les quatre coins du massif forestier et les refuges sont souvent repérés par les traces laissées sur la neige ou par la fumée qui en sortait. Ils sont alors détruits lors des opérations montées à cet effet. Ce qui aggrave encore la situation, c'est que de cette forêt de chêne-zène, il n'en reste que le nom. Les arbres qui sont à feuilles caduques sont devenus des squelettes qui se dressent vers le ciel sans cet orgueil de leurs cimes qui rivalisaient les unes les autres. Le massif est recouvert d'un immense manteau de neige avec une épaisseur qui dépasse le mètre. Comme il y avait un refuge abandonné par l'équipe du génie, les hommes se mirent à achever sa construction. Une fois terminé, la section s'installa avec une grande satisfaction. Enfin, ils allaient être à l'abri du blizzard, du froid et se réchauffer autour d'un feu qu'ils devaient allumer sans fumée bien sûr. Les combats de l'extrême Ces combattants aguerris comprirent qu'il n'y avait point de répit dans les maquis et qu'il fallait s'y faire, s'accrocher et combattre. Ils entendirent le faible bruit du moteur d'un avion. La sentinelle signala qu'il s'agissait d'un «piper» d'observation. Quelques hélicoptères apparaissaient au loin; arrivés à une certaine distance, ils repartirent. Tout le monde comprit qu'ils venaient de déposer une cargaison de soldats! L'heure est grave. Le lieutenant Aslat Méziane, le chef de la section, sortit pour constater effectivement que l'aéronef semblait suivre les traces laissées sur la neige quelques heures auparavant. Mais après quelques voltiges et quelques vols en rase-mottes, il disparut. Les hommes fatigués, transis de froid, étaient soulagés. Les sacs de nourriture ramenés dans la matinée du village Imaghdacène étaient toujours là. Il fallait que le cuisinier improvisé s'attelle à préparer un repas de fortune pour ces braves. Tout à coup, deux avions de même type surgissent: ayant repéré les traces, l'un d'eux lança une grenade fumigène. Alors, une pluie d'obus s'abattit sur l'endroit et la périphérie; Rabah Hanat qui a suivi un ruisseau (pour mieux se déplacer) aperçut des soldats qui se dirigeaient vers eux. Il donna aussitôt l'information à Aslat Méziane. De son côté, Chaïb Mohamed alias «Bouzal» (ou l'homme d'acier) en voulut avoir le coeur net: il suivit le même chemin. Il revint aussitôt en courant pour confirmer la mauvaise nouvelle: effectivement, les soldats arrivent. L'heure est grave; avec le froid, la faim, le blizzard qui souffle sans arrêt, une frénésie s'empara des hommes. Ils n'avaient pas peur, car habitués à de telles surprises, mais les conditions ne s'y prêtaient nullement. Ils auraient préféré rester au refuge, se reposer et se détendre comme pendant les moments de paix. Par ce froid, ils auraient voulu rester au chaud, mais la guerre n'offre pas de répit. Sur un ordre de Méziane Aslat, les 35 hommes se précipitèrent à l'extérieur. Comme d'habitude, ils allèrent au-devant des soldats venus troubler leur quiétude. Par tactique, ils se scindèrent en deux groupes: l'un conduit par l'adjudant Mohand Azougagh se dirigea vers la droite et l'autre, par le lieutenant Aslat lui-même, vers la gauche. Il fallait éparpiller les forces ennemies qui deviennent ainsi vulnérables. Dans la neige jusqu'au thorax La progression est difficile, presque impossible. Par moment, ils s'enfonçaient dans la neige jusqu'au thorax; ils essayaient de se positionner quand soudain un déluge de feu s'abattit sur eux. Bouzal fut le premier blessé; son bras pendait comme un chiffon; il ne tenait que par un lambeau de chair. «Tire, Bouzal! ordonna Aslat -Non, je ne peux pas avec mon bras blessé», répondit Bouzal. Aslat vit soudain juste au-dessus de lui, un paras pointant son PM sur lui; il était à 20 m. Il reçut quelques rafales qui trouèrent sa kéchabia. Il lui envoya deux coups saccadés qui le renversèrent: son compte est réglé; d'autres vinrent à la rescousse. Et tous les moudjahidine ripostèrent comme un seul homme pour repousser ces envahisseurs venus de loin au mépris du danger, du froid et de la neige. Il fallait les affronter, faire honneur à l'ALN et montrer à ces mercenaires ce dont ils sont capables. Pendant ces combats, un gros problème se pose: les mains des combattants étaient transies; ils arrivaient difficilement à appuyer sur la gâchette. Mais le plus grave, c'est qu'il leur était impossible d'ouvrir leurs cartouchières et de recharger leurs armes! C'était infernal! Face aux soldats ennemis qui avançaient vers eux et ne pas pouvoir recharger pour les repousser. Leurs mains étaient engourdies! Ils lancèrent des cris de détresse à Si Méziane Aslat leur chef. Mais que pouvait-il faire? Lui-même a essayé et n'a pu réussir à faire ouvrir ses cartouchières. Alors il eut une idée; très rapidement, il prit la baïonnette de son fusil et se mit à les éventrer! L'affaire n'était pas facile, car elles étaient faites avec de la bâche et il lui fallait des efforts énormes pour y arriver... Les hommes étaient délivrés, mais tous leurs membres étaient ankylosés. Aslat lui-même était dans une mare d'eau gelée et ses pieds coincés dans la glace n'obéissaient plus aux efforts! Un compagnon vint l'aider pour qu'il puisse enfin se mettre à l'abri des tirs ennemis. Les moudjahidine avaient repris leurs esprits et concentrèrent leurs tirs vers les paras de voltige. Ces derniers comprirent qu'ils avaient à faire à plus durs qu'eux et se retirèrent de quelques mètres. Et c'est alors qu'Aslat commande à ses hommes un repli vers les arrières. Ils marchèrent difficilement dans cette maudite neige. Et les avions qui les pourchassaient, en plus de l'artillerie qui larguait des obus par dizaines depuis le poste de Moknéa. Heureusement que le brouillard est épais et qu'il les protégeait des avions. Harassés, suant par tant d'efforts malgré le froid, ils se retrouvèrent au niveau du refuge servant de boîte postale. Deux ou trois émissaires furent envoyés pour ramener ceux qui s'étaient égarés. Et l'heure fatidique du bilan est arrivée: le groupe de Mohand Azougagh perdit une dizaine d'hommes et celui d'Aslat trois autres. Le bilan est lourd et les rescapés eurent une pensée pour ceux tombés les armes à la main, à ces braves qui sont ensevelis sous la neige. Demain, ils repartiront sur les lieux du combat, à leur recherche pour récupérer leurs armes, leurs objets personnels et les mettre sous terre. Mais c'est la guerre et dans quelques heures, les hommes au refuge vont élaborer d'autres plans pour préparer des coups de main contre l'ennemi, pour les venger. Et ils entonneront des chants patriotiques en hommage à leur sacrifice, mais aussi pour galvaniser leur moral. Ils savent que la mort peut encore frapper dans les prochains jours, peut-être dans les prochaines heures.