«Le temps d'une génération a passé. Au silence des anciens, succède la soif de connaissance des jeunes de 20 ans», écrit Denise Barrat dans un texte publié en 1986. 2001 a été l'année des grands déballages s'agissant des pratiques du colon français en Algérie. Le nombre d'articles de presse et de livres parus à ce sujet a connu un pic jamais égalé depuis que le pays a recouvré sa souveraineté. Algérie, 1956: Livre blanc sur la répression, qui paraîtra très prochainement aux éditions Barzakh, fait partie de cette littérature-témoignage. Denise et Robert Barrat, auteurs du livre, faisaient partie de cette tranche d'intellectuels français qui s'opposaient aux pratiques de l'administration coloniale en Algérie, ce qui leur vaudra, d'ailleurs, des comparutions devant les tribunaux et quelques séjours en prison. Livre blanc sur la répression est un recueil de documents divers, correspondances, témoignages et notes administratives, du temps de la colonisation, attestant de l'implication sinon de la préméditation du gouvernement français de l'époque dans les exactions dont a été victime et c'est sur cela que se penchent les auteurs, le peuple algérien. Et pas seulement les militants de ce qui était communément appelé le mouvement insurrectionnel. Si le livre, en soi, n'apporte rien de nouveau (tortures, arrestations, massacres étant des faits indéniables du temps de la Guerre d'Algérie), il demeure, à l'évidence, une source d'informations sur le mouvement anticolonialiste qui militait en France au grand dam d'un Etat acharné dans une folie sanguinaire. Le manifeste des 121, publié en 1960 par un collectif d'intellectuels français, n'est en cela qu'un exemple parmi tant d'autres. Robert Barrat apparaissait, à cette occasion et aux yeux des services de police français comme «le chef d'orchestre clandestin». Le parcours de ce personnage se mêle à plusieurs causes dont la marocaine n'était pas des moindres. Si le lecteur ajoutait, à ce tableau très chahuté par la caste coloniale, le reportage dans les maquis d'Algérie intitulé Un journaliste français chez les hors-la-loi algériens, paru dans France-Observateur du 15 septembre 1955, il lui serait alors aisé d'avoir une idée très précise sur l'implication de Robert Barrat dans la lutte pour l'Indépendance nationale du peuple algérien. Le Livre blanc de la répression a été mis au point en 1956 et devait servir à la délégation algérienne partie en 1957 pour défendre sa cause devant l'Assemblée générale de l'ONU. Après la libération, Robert Barrat a choisi de ne pas publier le livre, pensant peut-être que le temps était alors pour une nouvelle configuration des relations entre deux pays souverains. Ce qui prend les allures d'un admirable mouvement de sympathie, de la part de citoyens et intellectuels français envers des Algériens qui souffrent, ne peut cacher cette préoccupation patriotique de voir une France propre. Des militants français plus engagés que d'autres ont eu, il est vrai, un réel poids dans l'internationalisation de la question algérienne, mais ils se sont surtout insurgés contre des pratiques qui n'honorent en rien l'idéal humaniste qu'un pays comme la France se devait d'être le premier porteur. Aussi, à peine l'Algérie libérée, Robert Barrat se détachera de ce qui fut longtemps son cheval de bataille. Il avait démontré, au cours de sa lutte pour que cessent les traitements inhumains en Algérie, une rigueur singulière dans le traitement des événements et n'a pas hésité à désigner les vrais coupables de tels ou tels massacres. C'est à ce titre que le livre des Barrat est un modèle de la reconstitution historique. Cet exposé a pour qualité de ne pas tomber dans le traitement fiévreux qui a entaché les velléités de reconstitutions entreprises par le passé. Il est temps aussi de sortir du mythe longtemps cultivé dans certains manuels scolaires. La guerre est sale et la crasse n'épargne personne. La réconciliation avec l'histoire ne peut se faire que lorsque celle-ci sera restituée avec toutes ses vérités. Les jeunes de 20 ans ne sont plus dupes.