«Les deux bombes qui ont failli m'éliminer ne m'ont pas fait autant de mal que les écrits de certains titres nationaux qui se sont intéressés à l'argent volé sans souffler mot sur les pérégrinations qu'on a endurées». C'est le commentaire que ressasse Karim, l'un des trois miraculés de l'attaque contre le véhicule blindé ayant eu lieu à Aïn El Hammam, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Plus d'un mois après le drame, Karim n'arrive toujours pas à comprendre comment un tel fait «demeure dans l'anonymat». Sur tout ce qui a été dit sur le forfait terroriste, il reproche un «manque d'objectivité avéré». Tantôt intempestif, tantôt pensif, il s'est finalement ressaisi en acceptant volontiers de relater dans les détails ce qui s'est passé ce jour-là. De prime abord, il a tenu à affirmer que la condamnable besogne a été accomplie par des terroristes. «Notre quiétude a été perturbée lorsque nous aperçûmes un homme portant une fusil à pompe et qui nous guettait flegmatiquement», nous a-t-il avoué non sans ouvrir une petite parenthèse : «L'homme dont je vous parle était bien habillé ne donnant aucunement l'air d'un élément des groupes armés.» A l'approche de l'énigmatique individu, notre interlocuteur, qui était le seul à bord à être armé, s'est défendu d'avoir été «floué» par une seconde personne qui a surgi sur l'autre bordure de la rue ne sachant plus où donner de la tête. Le moment fatidique ne tarda pas à venir : à quelques mètres des mystérieux individus, leur véhicule blindé a été violemment cahoté sous le choc de deux puissantes bombes. Arrivé à cette séquence, les mots sortaient péniblement de la bouche du jeune convoyeur. Son collègue au volant tomba en syncope sous l'effet de la première déflagration qui l'a littéralement défiguré. «Je l'ai pris sur mon dos bravant les rafales des criminels», a-t-il poursuivi d'un air pathétique. L'autre a pu prendre la poudre d'escampette, selon son témoignage, sans se faire accrocher. Cette «attitude héroïque» a frustré Karim à défaut d'être «répercutée par les organes de presse». «Je ne vous cache pas que j'ai pleuré de rage au lendemain de la catastrophe en constatant que l'argent valait, aux yeux de certains hommes publics, mieux que notre vie. Aucune allusion n'a été faite sur notre sort, ni nous n'étions approchés par quiconque en quête de vérité», s'est-il plaint. Parallèlement, notre vis-à-vis n'a pas mâché ses mots quant au «laisser-aller des autorités compétentes qui nous ont privés de tous les moyens sécurisants». Néanmoins, il espère que cette attaque servira de catalyseur afin «qu'un syndicat autonome des convoyeurs émerge tout en ayant pour objectif principal la lutte pour une sécurité minimale». Un voeu longtemps caressé sans pour autant qu'il ait eu un suivi sérieux. Cette fois-ci, le coup semble parti pour atteindre la cible. Les yeux écarquillés vers le ciel, le narrateur de ces faits croit que ce qu'il a vécu n'était qu'un cauchemar quand il s'absorbe dans ses pensées. Cependant, il s'éveille prestement de son voyage inconscient en se rappelant qu'il exerce un métier de tous les dangers. Précis dans ses gestes, pesé dans ses propos, il est également mesuré dans ses espérances. Dans l'immédiat, il ne demande pas plus que les hommes de plume, si des drames similaires se reproduisaient, «s'informent sur notre état à de la rue Stitti au lieu de compter sans vergogne les billets évaporés».