Déjà amputée d'une partie de son territoire, l'Ukraine va-t-elle rentrer en récession? En 72 heures, Moscou a fait passer les 1000 mètres cubes de gaz livrés à l'ancienne république soviétique de 268 à 485 dollars, un des prix les plus élevés pratiqués en Europe. Une rétorsion de plus après le renversement du régime pro-russe de Viktor Ianoukovitch par des manifestants pro-Européens fin février. La Russie avait déjà absorbé le mois dernier la péninsule ukrainienne de Crimée, après un référendum que Kiev et les Occidentaux ne reconnaissent pas, parlant d'«annexion» et massé des dizaines de milliers de soldats aux frontières de l'Ukraine, faisant craindre une invasion. Moscou a sans surprise actionné aussi l'arme gazière. Le Premier ministre ukrainien par intérim, Arseni Iatseniouk, a dénoncé une décision «politique», «visant à miner les bases économiques et sociales du pays». Quelles conséquences pourront-elles entraîner? Secouée par l'instabilité politique, l'Ukraine va s'en trouver plongée dans la récession, avec une chute du PIB de 3% et une dette en hausse de 5 points à 86% du PIB en 2014, a estimé vendredi la Banque mondiale. «Certaines branches de l'économie seront à la limite de la survie», avertit Dmytro Marunych, expert du secteur énergétique. Il cite l'industrie chimique - notamment les engrais - grande consommatrice de gaz, ou la métallurgie, dont les coûts de production pourraient augmenter de 15%, leur faisant perdre toute compétitivité. Quelles seront les retombées sur la population? Une hausse de 50% est annoncée le 1er mai pour le gaz, suivie d'une autre de 40% à partir de juillet pour le chauffage urbain, qui va d'ailleurs être éteint cette fin de semaine à la faveur du printemps. Aussi, Kiev doit chercher des alternatives. Le Premier ministre ukrainien a évoqué la possibilité de négociations avec ses partenaires européens pour rétrocéder à l'Ukraine une partie du gaz qu'ils reçoivent à des prix inférieurs à ceux qui sont désormais facturés à Kiev. Mais la Russie risque de ne pas apprécier un tel arrangement, relançant les craintes d'une «guerre du gaz» à l'échelle continentale, alors que l'Europe reste encore très dépendante des approvisionnements russes, dont une grande partie transite par les gazoducs ukrainiens. Le ministre ukrainien de l'Energie, Iouri Prodan, a estimé que le pays devrait en 2014 «utiliser au maximum du charbon produit nationalement plutôt que du gaz». Selon l'Agence internationale de l'énergie le charbon couvre actuellement 30% des besoins énergétiques du pays, contre 40% pour le gaz. Quelle que soit la solution, Kiev va devoir mettre de l'ordre dans son secteur gazier, qui selon Fan Qimiao, responsable de la Banque mondiale pour le pays, «a été la principale source de corruption en Ukraine ces 20 dernières années,» soit depuis l'indépendance et l'effondrement de l'URSS en 1991. L'économiste souligne avec ironie «qu'il y a très peu de compagnies gazières dans le monde qui sont en déficit et, malheureusement, l'ukrainienne est l'une d'elles». Les nouvelles autorités, se retrouvant à la tête d'un pays au bord de l'asphyxie financière, se sont engagées à mener d'importantes réformes structurelles pour décrocher la semaine dernière un pré-accord du Fonds monétaire international, pour un plan d'aide qui pourrait se monter à 18 milliards de dollars sur deux ans. Des réformes qui «seront impopulaires» et vont «se heurter à des intérêts puissants», a averti M.Fan.