En ce début de printemps, il a été fusillé par ces fous de Dieu. Les balles, en ce matin de printemps furent fatales. Elles viennent de mettre fin à la vie d'un jeune. Un jeune pas comme les autres car il s'agit de notre confrère et ami Tahar Djaout. Le ciel limpide d'Alger, d'Algérie a résonné en cette fin de mai pour annoncer la nouvelle. Tahar vient d'être criblé de balles devant sa maison qu'il venait de quitter pour rejoindre son bureau et venir à la réunion du matin de sa rédaction. Lui qui a toujours prodigué des conseils à ses amis, à ses confrères journalistes, n'a pas jugé bon de s'entourer de précautions pour préserver sa vie. Non, il a, à maintes reprises, défié la horde sauvage qu'il assassinait par sa plume. Tahar, en cette fin de mai, sera le premier d'une longue série macabre de la chasse à ce rédacteur, à ce simple employé de journal, à ce photographe «instantané». Une série noire de morts et de longs cortèges vers les cimetières. Mais, quel que fût le but de ce crime, ses amis et confrères ont tenu le coup et porté haut la voix de ce que Djaout avait défendu en ce sens, cet idéal d'une Algérie vivante où la plume est plus précieuse, plus blessante qu'une balle. Cette dernière n'est qu'une «lâcheté», mais la plume demeurera cette «loyauté». Tahar commença «où les autres finirent, il connut ses limites à l'âge où l'homme se crut illimité. A l'époque de la vitesse, il choisit la lenteur ; il préféra être un bolide indolent, en s'attardant, il devançait. C'est ainsi que nos voyages fulgurants l'agaçaient ; il opta - il l'a dit - pour le voyage au long cours». Ainsi, Tahar ressemblait à ces maîtres artistes du début du XXe siècle où l'artiste a créé «SON» propre monde. Ces mondes sont reconnaissables et inimitables, la nature et les hommes y vivent selon des lois particulières, y obéissent à une autre logique créée par «la fantaisie» de l'artiste, par son rêve du beau. Il n'a pas cédé de terrain devant les membres de sa génération, ni devant celle qui l'avait précédée où «le futurisme» constitue leur dada. Ceux-là mêmes qui étaient «insolents» ne reconnaissant pas l'autorité, prononçant des discours incompréhensibles, salés à la sauce du «baâthisme», mais plein d'ardeur à d'interminables débats, proclamaient «ce genre de manifestes pathétiques». Ces soi-disant romanciers idéologues... d'un parti unique qu'il aimait traiter «de Martiens sans patrie». Deux mondes se heurtèrent dans la conscience du «jeune» journaliste pragmatique et il choisit celui de cet humble Algérien, de ce paysan montagnard. «La campagne faisait des choses qui me plaisaient beaucoup. C'est dans ces choses-là que réside tout le secret de mes sympathies pour cette couche sociale. Je les regardais, fortement ému, qui travaillaient de longues années durant.» Ce fut sa première prise de conscience. Un atout pour décrire, penser, écrire et «échafauder» une trame littéraire mais... quelque chose en lui résistait à cet assujettissement devant l'actualité. Il rêvait d'une transformation du monde qui l'entourait. Il construisait «des architectures», des édifices socio-culturels dans son esprit... qui seraient «le futur de l'homme». Ainsi, tous ceux qui ont connu Tahar nous parlent d'un être «myope» au sens propre du terme et non dans sa vision intrinsèque des choses, habituellement silencieux, qui promenait son visage souriant au milieu des conversations et des vies. Il refusait d'être admiré. Djaout n'est pas mort. Il fut et restera celui que : «Rien n'était moins ordonné que sa vie extérieure ; rien n'était mieux protégé que sa vie intérieure», pour paraphraser J. Kessel.