Caustique, hilarant et direct, l'ancien ministre de la Défense est revenu sur les points chauds de l'actualité depuis dix ans. Les déclarations de Khaled Nezzar, là où l'on se situe, de quelque manière qu'on les prenne, constituent toujours un pôle d'intérêt pour les analystes de la scène politique. Dans la seconde partie de l'entretien qu'il a accordé à la chaîne de télévision qatariote Al-Jazira, le général à la retraite a fait un large survol de la situation politique de 1990 à son départ en retraite, depuis sa présence pesante et hégémonique à la tête de la Défense nationale jusqu'à sa récente métamorphose d'écrivain à succès. Le FIS, grand pôle d'attraction de la chaîne Al-Jazira, s'est emparé du plus important temps d'antenne : «Le FIS a été agréé dans le but de mieux le maîtriser», lance-t-il tout de go, avec à l'appui cette discussion qu'il avait eue avec Hamrouche et Mohamedi Saïd, respectivement Premier ministre et ministre de l'Intérieur, à l'époque. «Il avait été possible de trouver un compromis avec les politiques du FIS, comme Abassi Madani, qui est quelqu'un d'assez gérable, mais je pense que les politiques du parti n'ont pas joué le jeu.» L'interviewer reste quand même assez pointilleux : «Vous avez quand même exclu un parti qui a été élu par le peuple.» Le général, sans se démonter, entre deux aspirations de Ventoline, argumente : «De Gaulle aussi s'est insurgé contre Pétain pour le dégommer, et Hitler aussi est arrivé au pouvoir par les urnes. Si le Reich avait été empêché d'accéder au pouvoir, on aurait économisé des millions de vies humaines (...). Pour le FIS, nous avions appris, bien plus tard, qu'une réunion avait été organisée à Atlanta aux Etats-Unis, grands manipulateurs de l'islamisme, et qu'Abdallah Anas avait été désigné pour la région Algérie (...). 5 000 treillis militaires avaient été saisis dans l'Ouest algérien par la Gendarmerie nationale...» Le Maroc a-t-il aidé le GIA en lui facilitant des accès à partir de ses frontières est ? «Au niveau de l'Etat, je ne pense pas. j'ai eu des discussions avec le défunt monarque Hassan II et je peux le confirmer. Disons que les islamistes marocains aidaient le GIA, ou peut-être même au niveau de certaines officines de renseignement». Les massacres collectifs constituent toujours un détour obligé. «Pour les massacres comme ceux de Bentalha, tous les stratèges militaires vous diront que dans ces cas-là - absence d'électricité, terrain miné, présence des bourreaux parmi les victimes - le mieux est de quadriller les lieux, de mettre en pleine lumière l'endroit et d'attendre (...) des gens ont dit avoir vu un hélicoptère planer sur Bentalha. Et alors ? Cela indique seulement que l'aéroport militaire de Boufarik est tout près et que l'hélicoptère a été dépêché le premier pour survoler les lieux». Qui sont les véritables auteurs des massacres ? «Le FIS !» Nezzar se reprend : «Le GIA !» Il analyse : «Dès le début, ‘'ils'' ont voulu prendre le pouvoir par la violence. Il y avait le groupe de Mekhloufi, et d'autres encore. Je ne dis pas que le FIS est entièrement violent, non, il y avait des militants FIS à Alger, à l'Ouest et à l'Est, et ils n'ont pas bougé». Aït Ahmed a-t-il plaidé pour une poursuite du processus démocratique ? «Ah, celui-là, c'est un politicien professionnel ! Il est vrai que son discours officiel appelait à la poursuite des élections remportées par le FIS, mais en privé, il tenait un autre langage. A moi, il m'a dit une fois : ce qui est fait est fait...». L'assassinat de Kasdi Merbah ? «Ce sont les frères Hattab». Celui de Boudiaf ? «C'est bien Boumaârafi. Maintenant s'il veut endosser tout seul l'acte et protéger ses commanditaires, c'est son affaire...». Arrivent enfin, ses positions politiques actuelles, son conflit avec le président de la République Abdelaziz Bouteflika, ses critiques acerbes contre lui et son livre «Bouteflika, l'homme et son bilan». Nezzar, là, devient simplement hilarant, caustique et déroutant à la fois : «Ecoutez, c'est un livre fait pour la campagne électorale, et celle-ci est passée, donc, il n'a plus grande valeur (...) comme dans la partie du livre ‘'Mémoires''où je dis comment j'ai nommé Zeroual, c'est une manière de régler mes comptes...». Mais vous avez bien dit que Bouteflika était le moins mauvais des candidats... «On savait qu'il allait au premier tour gagner les élections, mais pas avec 83% des suffrages. Là, on est revenu aux Républiques bananières. Mais soit ! Je pense que cette fois-ci le peuple veut la paix et il a choisi son président. Mais est-ce que les choses avancent dans le bon sens ? Pour revenir au livre, ce que j'ai dit est réel, et c'est un livre, je redis, d'un homme qui était dans l'opposition. Tout cela n'a plus d'importance maintenant... Le général Nezzar, détendu, serein, faisait appel à sa mémoire moyennant d'intenses efforts de concentration, a peut-être fini de régler ses comptes. Entre deux petites aspirations de ventoline, il lance avec un grand éclat de rire : «Et qui vous dis que je n'ai pas voulu régler des comptes?» Avant de reprendre le discours sur le réel ascendant du président de la République sur l'armée : «Est-ce que l'armée dirige encore ?».