Une grande satisfaction mais peu d'enthousiasme régnaient avant-hier sur les lieux où une centaine de familles patientaient pour visiter leurs appartements. Sous une fine pluie, les heureux bénéficiaires commençaient, dès huit heures du matin, à affluer sur le site de l'Aadl d'El Achour. Ni l'éloignement et encore moins le mauvais temps, n'ont empêché les chefs de famille accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants de venir découvrir pour la première fois le logement tant attendu. Une heure plus tard, tout est fin prêt pour la remise des clés. L'acquéreur est d'abord invité à passer par le bureau d'accueil où l'agent vérifie le nom, le numéro du bâtiment, de l'étage et de la porte tels qu'inscrits sur le contrat du notaire. Pour des raisons d'organisation, seuls 100 logements sur les 527 disponibles seront distribués ce jeudi. Djamel de Oued Koureich, fonctionnaire à Algérie Télécoms, commence à s'impatienter. Plus tard, les bénéficiaires seront priés d'accéder à leurs appartements et de prendre l'ascenseur pour les étages supérieurs. En sortant de son logement, Djamel, visiblement content, dira que l'appartement est très bien fait et qu'il n'y a aucune réserve à formuler. Sur la mensualité à payer, le fils de Triolet, qui avoue percevoir un salaire mensuel entre 20.000 et 30.000 dinars, s'estime capable de couvrir les charges sur une période de 20 ans. Dans le même immeuble, Ali, des Bains Romains, affiche un autre avis. Professeur d'enseignement fondamental, avec un salaire brut de 19.600 dinars, il estime difficile de s'acquitter de la somme de 6648 dinars par mois. En guise de solution, ce citoyen, père de deux enfants, propose la suppression des charges d'entretien ou le prolongement de la durée de payement. Toujours dans le bâtiment des F3, Mustapha, inspecteur principal au Trésor avec un salaire de 22.000 dinars, est invité à découvrir son logement. Sur le champ, il fait le tour des deux chambres et du salon. L'agent d'accueil l'accompagne à l'intérieur de la salle de bain et la cuisine. Chemin faisant, l'agent de l'Aadl indique que l'eau coule régulièrement en plus de l'électricité, et du gaz de ville. A quelques mètres de là, l'immeuble des F4 accueille ses locataires. Ces derniers sont contraints de faire la queue pour pouvoir visiter leurs appartements. Les intéressés trouvent incompréhensible cette attente qui peut durer des heures. En effet, seul un agent de l'Aadl assure l'accompagnement un par un de tous les locataires de l'immeuble. «Pourquoi ne nous donnent-ils pas les clés et chacun va visiter seul son appartement?», s'interroge, en colère, un bénéficiaire. Son collègue relève un autre désagrément qui fait que les mères et les enfants sont empêchés d'accompagner le père à l'intérieur du logement. «Ils doivent nous traiter comme des familles algériennes et non comme des sauvages», lâche-t-il. Profitant, donc, de cette pause, un retraité de l'administration appelle les responsables à alléger les charges exigées. Avec une bourse de 20.000 dinars, ce bénéficiaire doit verser plus de 14.000 dinars par mois. «C'est très difficile. Je dois chercher à droite et à gauche pour réunir, chaque mois, la somme qu'il faut» lance-t-il. A côté de lui, un acquéreur, malgré l'apport financier de sa femme, recommande une évaluation juste des frais des charges. Ainsi, il propose de charger un expert indépendant pour estimer la vraie somme couvrant les prestations de ménage, de gardiennage et d'entretien. Sur le même volet, le locataire indique que l'Aadl n'a donné aucune marge de manoeuvre aux souscripteurs. «Constatant que nous sommes dans une position de faiblesse, l'Aadl nous a mis le couteau sous la gorge. Nous n'avons pas le choix, nous devons signer les contrats.» Quelques minutes plus tard, un bénéficiaire, dépassant la quarantaine, vient de visiter son logement. L'air satisfait, ce médecin généraliste n'arrive, tout de même pas à admettre l'interdiction du «barreaudage» signifiée aux locataires. «S'ils ne veulent pas qu'on fasse des clôtures derrière les fenêtres, qu'ils nous assurent contre les vols.» Cédant carrément à l'émotion, ce père de famille trouve décevant qu'un Algérien ne puisse avoir son logement qu'à l'âge de 42 ans. Durant la même journée, le site de Bab Ezzouar II ouvre ses portes pour accueillir ses prochains locataires. Pour les mêmes raisons, seuls 40 logements seront livrés pour cette journée. Le niveau des bâtisses livrables ne dépasse pas le 4e étage. C'est pourquoi elles ne disposent pas d'ascenseurs. Dans la salle d'accueil où se trouve une femme bénéficiaire, l'ambiance se mêle à la générosité. Des gâteaux sont étalés sur la table et les agents d'accueil semblent d'une hospitalité exemplaire. Interrogée, la vieille femme avoue que sa famille compte 7 personnes. Ayant déposé le dossier en 2001, aujourd'hui elle a bénéficié d'un F4 qu'elle trouve bien fait. Toutefois, confirmant les propos des autres locataires, elle trouve les charges très lourdes. A 11 heures, 15 familles ont les clés en poche. Cela dit, pour les personnes qui s'interrogent sur la mensualité à payer depuis l'attribution du logement, l'Aadl l'a établie en fonction de l'âge du locataire. Ainsi, pour l'échéancier de 20 ans, les frais de la location, charges non comprises, sont de l'ordre de 5312 dinars pour les F4 et de 4375 pour les F3. Vient ensuite la période de 15 ans durant laquelle le locataire versera 7083 dinars pour les F4 et 5833 pour les F3. Ceux qui ont opté pour l'échéance de 10 ans, la somme fixée est de 16.250 dinars pour les F4 et de 8750 pour les F3. La dernière catégorie, qui concerne les plus âgés, s'étend sur 5 ans pendant lesquelles l'acquéreur paie 21.000 dinars pour un F4 et 17.500 dinars pour un F3. Tout compte fait, les statistiques indiquent que 36% des souscripteurs à l'Aadl ont le faible salaire de 12.000 à 15.000 dinars. Si des mesures adéquates ne sont pas mises en oeuvre, l'espoir des milliers de postulants aura été de courte durée. Et ce n'est certainement pas les poursuites judiciaires prévues par l'Aadl qui vont régler le problème du logement en Algérie. Pour les plus aisés, la lune de miel entre eux et l'Aadl semble se terminer. Les choses sérieuses commencent : gérer son salaire, avec parcimonie, durant...20 ans.