Une héroïne comme il n'en existe plus C'est devant l'équipe du film qu'a eu lieu hier matin, l'avant-première du film que le réalisateur Belkacem Hadjadj a promis de faire sortir en salles dès l'année prochaine. Derrière chaque grand homme, il y a une femme, sommes-nous tentés de penser en voyant ce film. Deux personnages aux caractères opposés, l'un calme, l'autre volcanique vont croiser leurs destins amers. Une histoire d'amour impossible doublée de tragique sur fond de guerre. Nous sommes en 1847 en Kabylie, seule région non «infestée» par la France coloniale. Fadhma est issue d'une famille de notables lettrés liée à une puissante confrérie religieuse. Elle a grandi mue par l'esprit de bravoure et de courage que lui a légué son grand-père. Elle en fera un modèle à suivre. La petite fille qu'elle était gardera enfoui en elle ce sentiment d'insoumission à tel point, que devenant femme elle refusera de se donner à cet homme lors de son mariage forcé où les femmes n'ont pas toujours leur mot à dire. Un affront perçu comme un déshonneur. C'est une personnalité exceptionnelle, rebelle qui ne peut se satisfaire du statut réservé à la femme dans la société rurale du XIXe siècle qui se révèlera sous nos yeux. Elle sera soutenue des années plus tard par son frère qui la fera égale à lui -même. Ce homme chevaleresque est admirablement campé par Farid Chari. Mais pour l'heure, suivant la tradition de désobéissance au mari, elle est rejetée hors du village et installée à N'Soumer d'où le nom qui lui sera attribué plus tard. Un jour elle accueille un lépreux dont on dit qu'il guérira sous ses mains protectrices. C'est ainsi que cette femme recluse, qui se consacra dorénavant à la méditation, sera rehaussée au rang de sainte. Elle prodiguera aussi des conseils aux femmes désireuses enfanter. Fidèle à la légende, Belkacem Hadjadj s'est plié à l'image idyllique que les chants kabyles perpétuent en peignant un personnage énigmatique se confondant presque avec la Vierge Marie. De son côté, Boubaghla campé par Assad Bouab est conçu comme un homme d'action, au tempérament de feu, personnage sanguinaire dont le réalisateur, par je ne sais quelle coquetterie incongrue- supposons que c'est vrai- bien propre à la fiction, celle -étant de se permettre justement des libertés créatrices, l'on apprend donc suite à une lettre adressée à Fadhma N'Soumer avant sa mort, comment par amour transi, et ne pouvant l'épouser car son mari refusant de la libérer, cet homme épris de liberté deviendra ce lâche crapuleux commettant des crimes à tout-va jusqu'à assassiner ses frères. Portant le nom de Fadhma N'Soumer, c'est pourtant de ces deux héros-là qu'on doit l'équilibre de ce long métrage quelque peu ampoulé dans sa trame narratrice et mise en scène grandiloquente. Un film qui se tient sur le fil du rasoir mettant côte à côte une force véhémente et la douceur téméraire d'une femme intransigeante mais réfléchie qui saura comment diriger des troupes même en restant à l'écart et en resserrant le moral de ces dernières par ses précieux conseils. Toutefois, seul bémol si l'on connaît le passif de cette femme, celui de Boubaghla reste obscur. Aussi la sérénité figée de Fadhma N'Soumer a desservi le profil psychologique du personnage et le déshumanise presque si ce n'est sa volonté de se remarier avouée à demi-mot qui la rendra plus subtile à nos yeux. La musique signée Safy Boutella accompagne ces scènes tragiques de champs de bataille de ces hommes ployés dans un décor de rebelles, de ruse et de traîtrise. Et c'est à cause de cela justement que Boubaghla sera assassiné et sa tête portée comme une relique. Interprétant avec juste mesure son rôle, Laetitita Eido n'a pas eu de mal à apprendre le kabyle «ce qui prouve que cette langue demeure vivante et elle est celle du futur» témoignera-t-elle lors du débat qui a suivi la projection presse, hier matin, à la salle Ibn Zeydoun. Cette comédienne née n'est pas à sa première expérience «phonétique» dirions-nous puisqu'elle a déjà eu à apprendre le latin pour tenir le rôle de Cléopâtre ou encore l'arabe algérien dans Mollement samedi matin, court métrage de Sofia Djama. Raconté à la manière d'une fable, le film est rehaussé par la présence de Ali Amrane dans le rôle du poète, chantre des insurgés dont la voix est celle de la vérité et de la sagesse, comme porte-drapeau de cette parole des hommes libres qui saura se transmettre de génération en génération grâce à l'oralité. Si le film a mis 4 ans pour se faire, après maints efforts et difficultés, avec certes une certaine fidélité dans les faits historiques, l'on regrette cette forme d'aseptisation proprette qui prévaut d'ailleurs dans la majorité des films algériens faisant de ces personnages presque des mécaniques de chair et de sang. Si le but de la fiction, comme dirait Belkacem Hadjadj est de toucher d'abord à l'émotion et faire vibrer le spectateur, cette «alchimie des sentiments» n'était pas au rendez-vous, encore moins à la hauteur de la grandeur de cette femme...Même le hors champ n'a pas fini de nous convaincre. Entre la tiédeur et le volcan, la sauce n'a pas vraiment pris et ce, malgré les gros plans photogéniques de Laetitita Eido.