Ceux qui se sont levés tôt pour la séance du matin, se sont bien fait saucer par la pluie. Une rumeur annonçait le retour du soleil, mais la météo aussi, une autre bruissait d'échos laudateurs, voire dithyrambiques autour de Deux jours, une nuit de Jean-Pierre et Luc Dardenne, la fratrie belge doublement palmée à Cannes, avec Rosetta (1999) et L'enfant (2005). On annonçait aussi, dans un poker menteur, un Prix pour Marion Cotillard qui interprète une ouvrière en arrêt de maladie (pour dépression) obligée de repasser à l'usine où un vote des 16 employés a décidé de son licenciement. Pour le patron, en proie à de grosses difficultés financières, c'était le départ de Sandra où la suppression de la prime annuelle de 1000 euros que touchaient les employés de cette petite entreprise... Pour renverser la vapeur, les Dardenne imaginent un procédé utilisé avec succès et qui remonte à Douze hommes en colère le film de Sydney Lumet, qui relate le dilemme qui secoua 12 jurés chargés de prononcer (ou pas) une peine de mort... Ici ce sont les employés chez qui Sandra (Marion Cotillard) va se rendre, ce week-end-là, pour les convaincre, non seulement d'accepter de revoter le lundi matin, mais aussi de renoncer à leur prime pour qu'elle puisse retrouver son travail...Le week-end le plus long de sa vie, sans doute, mais aussi pour ses autres collègues à qui la délicate question est posée. Ce choix cornélien est en soi une thématique philosophique, sauf qu'au cinéma, la pensée n'a pas toujours fait un ménage heureux avec l'action qu'induit la démarche de Sandra, cette course serait-on tenté d'écrire, même si elle est entrecoupée par des rebondissements que les Dardenne ont essayé de transformer en turn point (qui ne fonctionnent pas tous de la même manière)... On pense, notamment à cette tentative de suicide, entre deux visites au domicile de ses collègues, où de guerre lasse, elle profite d'un passage par chez elle pour ingurgiter une plaquette entière d'anxiolytiques... Elle sera bien sûr «sauvée» et reprendra du reste, son bâton de pèlerin jusqu'au rebondissement suivant qui sauvera le film in extrémis du pamphlet... Entre-temps, on se sera accroché de toutes nos forces à ce fil ténu, appelé espoir, mû par un sens de la solidarité de classe, sans doute, mais rien n'y fit les coutures, cette fois, sont un peu trop apparentes, à notre avis, et du coup le sentiment d'être dans la posture de celui qui joue le jeu, de la crédulité, prend le dessus, sur le lâcher prise, qui vous transporte là où l'histoire a envie de vous balader... Suffit-elle d'aimer ce travail des Dardenne au nom d'une empathie réelle? Pas sûr... Le cinéma c'est autre chose et les «Frères», nous avaient donné la preuve de leur capacité à faire mieux et bien, dans Rosetta par exemple... Certes, le plat pays, de Brel, n'est pas d'un ciel si bas, il baigne sous le soleil et c'est tant mieux, car cette grise histoire avait besoin d'être bien «éclairée», pour être supportée... Mais il n'est pas dit que le recours systématique à une direction d'acteurs, basée sur l'exécution jusqu'à l'épuisement d'un seul geste, comme craquer en mettant une chaussure, et refaire cette prise 56 fois, par exemple... Cela donne à l'écran un regard inexpressif de Marion Cotillard, loin du regard éteint de Jane Fonda dans On achève bien les chevaux de Sydney Pollack... Mais chez les Dardenne demeure ce qui fait leur originalité, l'absence de jugement... Leur formation philosophique leur permet d'alimenter ce réservoir et de garder le cap, sans coup férir. Mais on ne leur évite pas, cette fois, cette dommageable «sortie de route», qui surprend les meilleurs conducteurs quand ils choisissent un parcours qui impose des gestes répétitifs... Dans leur film, les cinéastes belges ont opté pour une dramaturgie de situation répétitive et on n'aura même pas à attendre la fin de cette démarche pour se laisser gagner par un certain ennui ou un décrochage fâcheux... Leur rigueur les a desservis, un tant soit peu cette fois, les empêchant d'envoyer par dessus tête toutes les règles, l'éthique se niche aussi dans les coups de canif qui peuvent révéler le dessous purulent des choses... Et ce film a fait exactement le contraire, il est resté dans les clous, et même si, répétons-le, le plantage n'a pas eu lieu... Mais la panne des sens si, et le voyage ne nous mena pas aussi loin que nous aurions espéré, tant la compagnie de Jean-Pierre et Luc Dardenne est aussi agréable qu'enrichissante... «sauce» ne semble pas encore avoir pris, c'est du moins l'impression de nombre de festivaliers, mais tous ceux qui se sont levés tôt pour la séance du matin, se sont, eux, par contre, bien faits saucer par une pluie que d'aucuns espéraient absente des radars, du moins durant ces quinze jours....