C'est une figure controversée, notamment pour sa gestion des violences intercommunautaires A propos du Mahatma Gandhi, Albert Einstein écrit: «Les générations à venir croiront à peine qu'un être de chair et de sang comme lui ait pu fouler cette terre.» Soixante-sept ans après l'indépendance, l'Inde est devenue un pays émergent qui, malgré ses immenses difficultés avance et fait pâlir d'envie les vieux pays industrialisés. L'Inde est la deuxième nation la plus peuplée du monde avec plus d'un milliard d'habitants. Véritable mosaïque mélangée entre cultures et religieux. L'immense marché potentiel indien affichait 9% de croissance par an, il y a quelques années, actuellement 5%: «L'Inde est le premier exportateur au monde de services d'aide à la programmation informatique et d'experts en pharmacologie et en biotechnologie. Un million de diplômés par an souvent en provenance des universités type «américain». Les sociétés d'informatique ont montré le chemin de cette importation de travail en provenance de l'Inde. L'Inde est constituée de 28 Etats avec une vingtaine de langues officielles. Bangalore, temple de l'informatique «La Silicone Valley indienne» continue de manière exponentielle son Big Bang comme plus gros fournisseur de main-d'oeuvre qualifiée dans la haute technologie, mais dont les campagnes restent malgré tout sous-développées. L'Inde tisse sa toile sur toute la planète. C'est un fait. Elle s'intègre, elle rachète des sociétés européennes et américaines. En 2030, elle aura probablement dépassé la Chine en population. Pour les Etats-Unis, elle reste le partenaire potentiel dans la gestion de l'ordre global.»(1) «En Juin 2005, recevant le titre de docteur honoris causa à Oxford, le Premier ministre Manmohan Singh, dans le sillage de l'oeuvre positive de la colonisation, même en Grande-Bretagne, déclara que si le règne colonial britannique en Inde avait donné lieu à une exploitation intense, il avait également apporté quelques bienfaits: les institutions de l'Etat de droit, un corps professionnel de fonctionnaires, une presse libre, des universités et des laboratoires de recherche modernes. La plus grande démocratie du monde: une force tranquille The Hindu, le grand journal indépendant de Madras, reflète bien le ton général. Ainsi peut-on lire dans ses pages que «le succès durable de l'Inde en tant que démocratie parlementaire est un modèle. [...] Ses réussites ont dépassé les prédictions les plus optimistes. [...] Mais aujourd'hui plus que jamais, il est impossible de fermer les yeux devant les deux Inde: une plus riche que ce qu'on peut imaginer; une autre luttant contre une pauvreté qui fait mal au coeur.» (1) «Dans ce territoire immense, écrit Marc Epstein, où tout paraît plus grand, plus riche et plus complexe qu'ailleurs, il n'y a pas un «père de la Nation», mais deux: Jawaharlal Nehru et Gandhi. Le premier était un visionnaire rationaliste. L'Inde lui doit la boîte à outils institutionnelle qui permet à la plus grande démocratie du monde de fonctionner, depuis sa création, sans heurts majeurs: (...) Gandhi a posé les fondations spirituelles et philosophiques qui ont permis à la démocratie de prospérer. (...) L'incroyable modernité de Gandhi est là. C'est elle qui a permis d'instaurer le suffrage universel dans l'Inde pauvre et largement analphabète de 1947.»(2) «La démocratie était pour lui un choix évident. L'Indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie, rappelle que la démocratie est une idée non pas occidentale, mais indienne, avec la recherche du consensus par le débat. Surtout, Gandhi incarne la nation, la mère, par ses jeûnes, par le sacrifice absolu. Et, par le rouet, il symbolise un mode de vie absolument spécifique. (...) La réponse de l'humilié, pour Gandhi, est non pas d'aller prendre la richesse de l'humiliant, mais de retrouver ses racines pour se séparer de lui; être différent, pas rival. C'est le coeur de sa pensée et c'est très moderne: si chacun est rival de chacun, la violence est partout. Donc, la non-violence passe par la différence.» (3) Narendra Modi: un nouveau Premier ministre controversé Un mot d'abord pour saluer un exploit qui est passé inaperçu dans les médias occidentaux. La plus grande démocratie du monde a changé de gouvernement dans le calme et la sérénité permettant à 800 millions d'Indiens de s'exprimer sur le choix du parti à même de gouverner. Sans surprise, nous dit-on, c'est la formation politique Bharatiya Janata Party, qui est en tête et le nouveau Premier ministre est Narendra Damodardas Modi. Ce dernier est né le 17 septembre 1950 à Vadnagar (Gujarat). Membre du Bharatiya Janata Party, il est devenu ministre en chef du Gujarat en 2001 puis, à partir du 26 mai 2014, Premier ministre de l'Inde (...) C'est une figure controversée, notamment pour sa gestion des violences intercommunautaires au Gujarat en 2002 et son discours islamophobe. Mais Narendra Modi est également loué pour sa politique économique qui a permis au Gujarat de connaître un important taux de croissance ces dernières années. (4) «Le 27 février 2002, un train transportant plusieurs centaines de passagers dont de nombreux pèlerins hindous est mis en feu près de Godhra, tuant 58 personnes. À la suite de rumeurs selon lesquelles l'attaque du train aurait été perpétrée par des musulmans, une vague de violence anti-musulmans se répand à travers le Gujarat et fait entre 900 et 2000 morts et plusieurs milliers de blessés. L'administration de l'Etat du Gujarat est accusée par des organisations de défense des droits humains, l'opposition et certains médias de ne pas avoir pris la mesure des violences, voire de les avoir approuvées dans certains cas. Après la vague de violences communautaires, des appels s'élèvent pour demander la démission de Narendra Modi, y compris parmi les partis alliés du BJP. Modi démissionne et l'Assemblée législative du Gujarat est dissoute.. Durant la campagne qui s'ensuit, Modi fait appel à une rhétorique anti-musulmane. Sous son leadership, le BJP remporte 127 des 182 sièges de l'Assemblée (...) En 2010, Modi fait un discours dans lequel il justifie l'assassinat par la police de Sohrabuddin Sheikh, un criminel mafieux, en réponse à une attaque de Sonia Gandhi le qualifiant de «marchand de mort». La Commission électorale indienne met alors Modi en garde, considérant ce discours comme une activité aggravant les tensions entre communautés (...) En 2012, Maya Kodnani, ministre de 2007 à 2009 dans le gouvernement Modi, est condamnée pour sa participation au massacre de Naroda Patiya pendant les violences de 2002 (...) En septembre 2013, le BJP annonce que Narendra Modi sera son candidat au poste de Premier ministre de l'Inde. Le 20 mai 2014, le président Pranab Mukherjee le charge de conduire un gouvernement dont il doit prendre la tête en tant que Premier ministre à compter de sa prestation de serment le 26 mai 2014 (4). Christophe Jaffrelot (chercheur au (Ceri, Sciences Po-Cnrs) parlant justement du mouvement nationaliste hindou écrit: «Née dans les années 1920 en réaction au panislamisme de la minorité musulmane, cette idéologie, dite de l'«Hindutva» (ou hindouité), tend à résumer la civilisation indienne, pourtant faite de métissages, à la seule communauté hindoue (80% de la population). Pour ses hérauts, les minorités musulmane (14%) et chrétienne (2%) peuvent certes pratiquer leur culte dans la sphère privée, mais, dans l'espace public, elles sont invitées à s'identifier à la culture hindoue et à prêter allégeance à ses symboles. Cette école de pensée, qui s'incarne depuis 1925 dans le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS - le Corps national des volontaires), un mouvement destiné à «muscler» les Hindous tant au moral qu'au physique, a toujours combattu le Congrès.(...) Il pourrait donc faire entrer l'Inde dans une ère nouvelle combinant nationalisme religieux, osmose entre cercles politiques et milieux économiques et personnalisation du pouvoir.» (5) Narendra Modi est-il fasciste? L'arrivée au pouvoir probable de cet ultranationaliste hindou est inquiétante, mais la démocratie indienne survivra, d'après un grand historien du pays. Pour l'historien indien, Ramachandra Guha: «Narendra Modi fait peur et avant même les élections, des journalistes s'interrogeaient sur ses convictions:» (...) Ils parlent d'un retour à l'état d'urgence d'Indira Gandhi et évoquent la censure de la presse, l'emprisonnement des opposants et le climat de peur alors omniprésent. Certains s'inquiètent de possibles persécutions et de manoeuvres de harcèlement à l'encontre des minorités, d'autres redoutent une politique étrangère aventureuse susceptible d'accroître les tensions avec la Chine et le Pakistan. Ces craintes ne sont pas totalement infondées. (...) L'expression ́ ́nationaliste hindou ́ ́ est apparue dans les années 1990 pour décrire l'idéologie du BJP et du RSS. Du point de vue de la Constitution indienne, la formule est pourtant un oxymore.(...) La République indienne n'est pas une nation hindoue. Ses fondateurs ont eu la sagesse - et le courage - de ne pas mélanger l'Etat avec la religion. (...) Ce chauvinisme fait intrinsèquement partie de l'idéologie et de la formation politique de Modi. (...) Son attitude était particulièrement éloquente lorsqu'il a refusé, lors d'un meeting, de porter un couvre-chef musulman: il était visiblement révolté à l'idée d'arborer le symbole d'une religion qu'il considère depuis toujours comme étrangère. (...) Il se pourrait que fin mai l'Inde soit dirigée par un Premier ministre arrogant et sectaire à la place de l'incompétent [Manmohan Singh] qui nous en tient lieu aujourd'hui, mais la démocratie indienne - et l'Inde elle-même - y survivra.» (6) Pour Frédéric Robin, monsieur Modi a des références: certaines sont claires, d'autres sont codées. Mais il y a un fil conducteur: le nationalisme et la marche forcée vers le savoir. Ecoutons-le: «M.Modi admet certes qu'il est un «nationaliste hindou» mais il se garde bien de toute imprécation agressive à l'égard des minorités religieuses, musulmane ou chrétienne. Aussi, Narendra Modi a-t-il axé sa rhétorique autour de ses deux thèmes de prédilection que sont le «développement» et la «bonne gouvernance». Au cliché du pays des «charmeurs de serpents», il oppose la génération informatique des «charmeurs de souris». Il raffole des sigles. Tel les «3 S pour skill (compétence), scale (échelle) et speed (vitesse). Ou encore l'équation IT + IT = IT: Indian Talent + Information Technology = India Tomorrow. Modi, professeur de management au tableau noir? Autre type de langage codé, les références implicites à l'hindouisme. M.Modi parle avec émotion de fleuve «mère» qu'est le Gange, fleuve mythique né du chignon de Shiva. Il loue souvent la nation de «grande spiritualité» qu'est l'Inde, mais la plupart des grands maîtres qu'il cite comme source d'inspiration sont tous des idéologues du nationalisme hindou.» (7) Les défis de Narendra Modi Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite Cnrs au Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du sud de l'Ehess, pense que: «C'est un triomphe pour le Bharatiya Janata Party et une consécration personnelle pour celui qui dirigea sa campagne: (...) Le vieux parti du Congrès est en déroute, à moins de 50 sièges. Le mandat du peuple est clair, mais pour gouverner au mieux, il faudra relever de nombreux défis. On peut en retenir quatre, qui portent sur le style de gouvernance de M.Modi, son idéologie, sa politique étrangère et sa politique économique. La gouvernance, Narendra Modi en a fait un de ses étendards. (...) Un télégramme diplomatique américain de 2006 le dépeignait comme un «leader abrasif», méfiant, gouvernant avec un petit nombre de conseillers et de hauts fonctionnaires, s'imposant plus par l'intimidation que par le consensus, et écartant sans ménagement ses adversaires ou ses concurrents au sein du parti, comme les vénérables figures du BJP» (8) Sur le plan idéologique, un défi du même type posé. Blanchi pour l'heure par les tribunaux, Narendra Modi reste le chef de gouvernement sous la férule duquel le pogrom antimusulman de 2002 a fait entre 1000 et 2000 victimes. (...) Du reste, une partie de l'électorat de Narendra Modi pense qu'il faut «remettre les musulmans à leur place», et son gouvernement travaillera sous l'oeil vigilant de l'Association des Serviteurs de la Nation (RSS), le noyau dur et militant de la grande famille nationaliste hindoue, dont le BJP n'est que le bras politique. Le dilemme sera semblable en politique étrangère. Après 2002, M.Modi fut persona non grata en Occident, les Etats-Unis lui refusant même un visa d'entrée pour cause de non-respect des libertés religieuses. Réaliste, l'Union européenne a pris langue avec lui dès 2013, et Washington va suivre. La Chine, quant à elle, a fort bien reçu M.Modi lors de sa troisième visite en 2011. Elle le juge efficace et pragmatique. Il cultivera de bonnes relations avec les puissances asiatiques qui ne l'ont pas ostracisé, tel le Japon et Singapour.»(8) «L'Inde émergente? Le BJP veut mieux que cela. En 2004, le slogan «l'Inde qui brille» «L'India Shining» n'avait pas suffit à être réélu. Cette fois, c'est «l'Inde idéale», «l'Inde excellente», Shrestha Bharat, qui est à l'affiche, avec «le développement pour tous». L'objectif est de retrouver une croissance égale, voire supérieure à celle d'avant la crise de 2008, entre 9 et 10%. La bourse de Bombay est euphorique. «Modinomics», nous dit le Financial Times, c'est «le triomphe de la réalisation sur la prévarication». La diplomatie sera, elle aussi, au service de l'économie. (...) Narendra Modi sera jugé sur deux critères: sa capacité à modérer en interne comme en politique étrangère les ultras de son camp, et ses résultats socio-économiques.» (8) Que peut-on dire en conclusion? Il est indéniable que l'Inde est une grande démocratie et il n'est pas évident de gérer plus d'un milliard de personnes sauf si on met en oeuvre l'alternance pour éviter l'usure du pouvoir,. Si l'on met en place des mécanismes pour que les libertés individuelles et l'indépendance de la justice soient inscrites dans le marbre. S'agissant du nouveau Premier ministre, c'est la première fois que l'Inde connaît un Premier ministre nationaliste, sa diabolisation des Chrétiens et des musulmans, reste incompréhensible dans le pays de Gandhi. Il est cependant acquis qu'il ne pourra pas faire ce qu'il faisait en tant que ministre du Gudjarat. Dans tous les cas, à l'échelle du monde, les tensions religieuses sont plus exacerbées que jamais et à ce titre, les musulmans dans leur ensemble sont montrés du doigt. Ils sont diabolisés d'une façon indifférenciée. 1. Ingrid Therwath: Inde-Pakistan. l'heure du bilan. Courrier international 16 août 2007 2. Marc Epstein: Gandhi le moderne. L'Express.fr du 1.08 2007 3. Jacques Attali: Entretien avec Christophe Barbier, Marc Epstein «Gandhi est d'avant-garde». L'Express 16 aout 2007. 4. Narendra Modi: Encyclopédie Wikipédia 5.http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/05/11/l-inde-face-au-peril-nationaliste_4414724_3232.html 6.http://www.courrierinternational.com/article/2014/05/15/narendra-modi-est-il-fasciste 7. Frédéric Bobin: En Inde, les références de Narendra Modi Le Monde 17.05.2014 8.http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/05/19/inde-les-quatre-defis-de-narendra-modi_4421339_3232.html