«Homme libre, toujours tu chériras la mer!» Baudelaire Quand on prend l'habitude d'écrire des chroniques, on ouvre un peu les yeux et les oreilles pour appréhender ce qui se passe autour de soi: on choisit le thème qui convient le mieux à l'actualité ronronnante et on attend la visite de la Muse de l'inspiration. Elle peut montrer le bout de son nez comme elle peut jouer aux abonnés absents. L'important est de rester vigilant. Pourtant, il arrive que l'on se laisse surprendre, qu'on rate la célébration d'une journée consacrée à un thème bien précis et qu'on laisse passer l'occasion d'épancher sa bile. C'est ce qui s'est passé à propos de la Journée de l'environnement. Je ne sais pas comment j'ai fait, mais je ne devais pas avoir les yeux en face des trous, que j'ai dû lire mon journal en pensant aux prix des fruits et légumes qui commencent à flamber, ou bien que j'étais trop préoccupé par le problème de mon téléphone qui est souvent en dérangement. Bref, le 5 Juin m'est passé sous le nez comme beaucoup de bonnes choses. Pourtant, j'aurais dû me méfier, ce matin du 5 juin, quand, à bord de la voiture qui m'emmenait vers la capitale, j'avais distraitement entendu l'interview d'une charmante dame qui semblait excessivement préoccupée par la dégradation de notre environnement. Je sais bien qu'à la veille de l'été et de l'ouverture de la saison touristique, les défenseurs professionnels de l'écologie et les responsables du secteur touristique montent au créneau pour justifier leur salaire en portant l'opinion publique au fait de l'état de l'environnement dans la bande verte de notre pays. Et que sur cette étroite bande verte, tous les yeux sont braqués sur le littoral. Nous avons un très beau littoral qui est l'objet de toutes les attentions, aussi bien de ceux qui ne veulent voir de ce pays que la grande bleue qui vient lécher les rochers comme pour les attendrir ou de les supplier de la laisser passer... La grande bleue est aimée parce qu'elle est le rempart qui sépare cette terre assoiffée de la terre promise dont rêvent tous ceux qui se sentent à l'étroit ou mal à l'aise dans leur pays natal. Elle est aussi le dernier horizon... Elle est aussi adorée par ceux qui tournent le dos à la grisaille de la vie et regardent partir au loin les navires chargés de tous leurs rêves évanouis. Elle est taquinée par ceux qui jettent une ligne pour se donner une raison d'attendre la fin du jour. Elle est appréciée par ceux qui viennent tremper leurs pieds endoloris qui ont supporté la brûlure du sable ou les morsures des arêtes de rochers. Enfin, elle est la maîtresse de toute la nomenklatura qui vient occuper ses meilleurs morceaux pour y construire de luxueuses demeures défendues par des barbelés et d'intraitables cerbères. C'est peut-être la raison pour laquelle, la charmante dame avec sa voix de sirène, a exposé un plan audacieux: nettoyer les ports de plaisance et les ports de pêche. Je suis d'accord pour les ports de plaisance pour la bonne raison que l'on y rencontre des personnes intéressantes: des vieux loups de mer d'eau douce, aux tricots rayés et à la casquette vissée sur une tronche maintes fois arrosée par les embruns, qui n'ont pas de problème de fins de mois et qui ne se sentent libres que quand ils sont à la barre. Par contre, je ne suis pas d'accord pour les ports de pêche: au prix où l'on paie le poisson pas frais du tout, il serait immoral de nettoyer les fonds glauques que pillent les mareyeurs: et puis dorloter les sardines revient à améliorer le quotidien des requins.