Alors que les jihadistes menacent l'Irak de partition, Nouri al-Maliki accorde «l'amnistie» à des personnes impliquées dans des actes terroristes contre l'Etat Cette annonce conciliante est surprenante de la part de cet homme politique chiite très critiqué pour sa pratique autocratique du pouvoir et son choix de marginaliser la minorité sunnite. Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a décrété une amnistie pour les personnes impliquées dans des actes contre l'Etat, une rare tentative de conciliation au milieu du chaos qui règne dans le pays, menacé d'implosion par une vaste offensive jihadiste. Cette déclaration intervient sur fond de paralysie politique persistante, illustrée mardi par la première séance désastreuse du Parlement, censée enclencher le processus de formation d'un gouvernement: malgré l'enjeu, les politiciens irakiens ont une nouvelle fois montré l'ampleur de leurs désaccords, échangeant des invectives ou quittant tout simplement la salle. La communauté internationale s'est alarmée de la situation, soulignant qu'il n'y avait pas de temps à perdre, au moment où le chef de l'Etat islamique (EI), qui mène l'offensive jihadiste, a appelé les musulmans «compétents» dans les domaines médicaux et militaires à immigrer dans le «califat» tout juste crée par l'EI sur les territoires conquis, allant d'Alep, dans le nord de la Syrie, à la province de Diyala, dans l'est irakien. Pour tenter de saper l'alliance au sein de la coalition hétéroclite qui rassemble des jihadistes de l'EI, des insurgés sunnites, des membres de tribus et d'anciens soldats de l'armée de Saddam Hussein, M.Maliki a annoncé une amnistie pour toute personne «impliquée dans des actions contre l'Etat» mais ayant «repris ses esprits», à l'exception des meurtriers. Les Etats-Unis ont une nouvelle fois appelé les dirigeants irakiens à former «avec toute l'urgence que la situation actuelle nécessite» un nouveau gouvernement, prévenant que «le temps jouait contre eux». «Le sort de l'Irak est en jeu en ce moment», a insisté la porte-parole adjointe du département d'Etat américain, Marie Harf. Sorti vainqueur mais sans majorité des élections législatives du 30 avril, M.Maliki a longtemps fait figure de favori pour diriger le prochain gouvernement. Mais son possible remplacement est désormais discuté même au sein de sa coalition. Les insurgés, qui contrôlaient depuis janvier des régions de la province d'Al-Anbar (ouest), ont pris Mossoul et une grande partie de sa province Ninive (nord), ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (est), Salaheddine (nord) et Kirkouk (ouest). Après une débandade dans les premiers jours de l'offensive des insurgés, l'armée tente de reprendre la main, avec en particulier une grande contre-offensive lancée dimanche pour reprendre Tikrit (nord), sans grand résultat pour le moment. Cette avancée menace le pays d'éclatement, les jihadistes de l'EI ayant proclamé dimanche un «califat» sur les territoires conquis, à cheval sur la Syrie et l'Irak. Le risque de partition est d'autant plus grand que l'offensive jihadiste a renforcé les volontés indépendantistes des Kurdes, qui se sont emparés de la ville disputée de Kirkouk, désertée par l'armée. Mardi, le président de la région autonome du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a en outre souhaité l'organisation dans les prochains mois d'un référendum d'indépendance. En face, M.Maliki s'est montré intransigeant: «Personne n'a le droit d'exploiter les événements qui ont eu lieu pour imposer un fait accompli, comme l'a fait la région du Kurdistan», a-t-il déclaré à la télévision. Pour aider Baghdad dans sa contre-offensive contre les insurgés, Moscou a livré dix avions Sukhoi, tandis que Washington est en train de déployer près de 800 hommes -300 conseillers militaires et près de 500 soldats pour protéger l'ambassade et l'aéroport de Baghdad. Ces derniers sont équipés d'hélicoptères Apache et de petits drones de surveillance non armés, selon des responsables du Pentagone. Les Etats-Unis, dont les troupes ont quitté l'Irak en 2011 après huit ans d'occupation, ont aussi promis 36 chasseurs-bombardiers F-16. Mais cette livraison pourrait être retardée en raison des combats, selon le Pentagone. L'Iran a indiqué qu'il n'enverrait pas de soldats mais pourrait livrer des armes si Baghdad le lui demandait. Selon l'ONU, les violences ont fait plus de 2.400 morts en juin, un niveau jamais vu depuis des années. L'offensive jihadiste a en outre fait des centaines de milliers de déplacés, dont certains se trouvent bloqués dans des camps à la limite du Kurdistan: faute d'un garant dans la région autonome, il ne peuvent y pénétrer, même pour gagner l'aéroport d'Erbil, et les routes vers les régions plus calmes dans le sud du pays sont trop dangereuses. La situation est aussi «extrêmement dangereuse» pour les enfants, selon l'ONU, qui a fait état d' «informations inquiétantes» sur le recrutement d'enfants-soldats.