L'assassinat barbare de l'otage américain Paul Marshall Johnson constitue le pic de la dégradation de la situation dans le royaume wahhabite. La décapitation réellement bestiale de l'otage américain, Paul Marshall Johnson, bouleverse l'esprit certes, mais n'en est pas moins la conséquence directe de la détérioration de la situation dans le royaume et des atermoiements des responsables saoudiens qui ne pensaient pas que la graine de l'intégrisme islamiste qu'ils ont semée partout dans le monde ces dernières années, puisse germer chez eux un jour. L'assassinat du coopérant américain s'ajoute seulement aux dizaines de morts de ces deux dernières années, induits par l'action directe des mouvements d'opposition et plus singulièrement de la branche saoudienne de la nébuleuse islamiste Al Qaîda. Al Qaïda, dont le chef, Oussama Ben Laden, aujourd'hui ennemi public mondial numéro 1, a été une création autant de la CIA américaine que des services spéciaux saoudiens. Le royaume wahhabite, qui a longtemps mésusé de ses forces, a énormément investi dans les sociétés caritatives qui, sous le couvert d'associations de bienfaisance, avaient, partout dans le monde, encouragé le prosélytisme. Aussi, le terrorisme islamiste qui s'est développé tout au long de ces années comme un véritable chancre, est-il revenu comme un boomerang dans le pays qui l'a encouragé et, indirectement, lui a donné naissance. En réalité, depuis une dizaine d'années, le royaume saoudien vit au ralenti, scrutant les rumeurs venant des palais de Riyad où la maladie a rendu le roi Fahd Ben Abdelaziz, 82 ans, impotent. En fait, le roi Fahd ne règne plus et c'est son demi-frère le prince héritier, Abdallah Ben Abdelaziz qui dirige de facto le royaume. Or, le prince Abdallah, âgé de 80 ans, n'est pas lui-même au mieux de sa forme, ce qui fait que l'avenir de la dynastie saoudite se trouve quelque part en sursis. La flambée terroriste commencée l'an dernier par l'attentat contre la résidence Al Hamra à Riyad, ayant fait 52 morts, au récent massacre d'Al-Khobar, en mai dernier, en passant par les nombreux assassinats, ces derniers mois, de coopérants étrangers en Arabie saoudite, ne sont que l'aspect le plus spectaculaire d'une dégradation généralisée de la situation dans le royaume wahhabite. Un royaume, faut-il le relever, aujourd'hui dans le collimateur américain depuis les attentats de New York en septembre 2001. En fait, sur les 19 terroristes ayant pris part aux opérations de New York et du Pentagone, à Washington, 15 d'entre eux étaient des Saoudiens. Autant dire que le feu couvait déjà sous la cendre au royaume des Al Saoud. Aussi, allié stratégique de Washington, -qui garantissait la sécurité du royaume, à charge pour ce dernier d'assurer la couverture pétrolière des Etats-Unis-, Riyad est devenu soudain suspect aux yeux de ses protégés américains après le séisme de New York. Au fait, les relations américano-saoudiennes ont nettement tiédi après qu'il est apparu qu'une partie importante du financement de l'intégrisme international provenait d'Arabie saoudite faisant, certes indirectement, que les actions terroristes dans le monde étaient quelque part financées par l'intégrisme wahhabite. En fait, Washington reproche notamment à Riyad de ne pas faire d'efforts conséquents pour participer à la lutte antiterroriste internationale. Pourtant, c'est cet intégrisme, - qui a échappé à ses promoteurs, virant au terrorisme, alors qu'il s'est nourri au wahhabisme -, que Riyad a longtemps toléré, voire admis, tant qu'il s'exprimait à l'extérieur du royaume, qui s'est maintenant donné pour objectif de s'attaquer de front à ce sein qui l'a nourri. En fait, au royaume des Al Saoud, le ver était déjà dans le fruit, car lorsque l'on fait d'une doctrine totalitaire le fondement de sa vision politique il faut s'attendre à ce qu'un jour ou l'autre, cette politique trouve des gens qui estimeront qu'elle n'est pas trop ferme, se retournant ainsi contre des wahhabites jugés aujourd'hui timorés par ceux-là qui veulent instaurer la terreur. Et c'est un peu ce qui arrive au royaume wahhabite qui refuse d'admettre que le monde a changé, que les libertés sont un droit naturel pour l'homme. Or, en Arabie Saoudite, le wahhabisme, clé du fondamentalisme, demeure le fait patent de la politique du royaume. D'ailleurs, Riyad s'est signalé, ces derniers mois, par son opposition marquée au projet de réforme dit du «Grand Moyen-Orient» proposé par les Américains, déclinant même ostensiblement l'invitation de participer au dernier sommet du G8, aux Etats-Unis pour en discuter. Aussi, l'affaire de l'otage américain, si elle met en exergue la barbarie des auteurs du crime, met aussi un peu plus en lumière le fait que l'Arabie Saoudite semble avoir atteint le point de non-retour et que le feu couve bel et bien sous la cendre.