Dès les premières heures du jour, le sujet macabre revenait sur toutes les lèvres et dans toutes les conversations. Révoltés et écoeurés par tant de laisser-aller, et déplorant autant de victimes, les citoyens, se rappelaient les dernières intempéries de Béjaïa, et la tornade d'eau qui a coûté la vie à un jeune enfant près de l'université. «Nous compatissons avec toutes les familles victimes de cette catastrophe», nous dira Fateh, un fonctionnaire. «Nous sommes prêts à porter aide et assistance selon nos moyens, mais nous blâmons en premier lieu les services communaux et les responsables qui ont fait qu'une seule journée de pluie - quelle qu'en soit la densité - ait fait autant de victimes. Pourquoi avoir délivré des autorisations de construire sans au préalable prévoir l'assainissement requis au niveau des avaloirs? Il y a des voiries qui n'ont pas été nettoyées depuis des lustres et des bouches d'égouts qui débordent à longueur d'année... Pourquoi autant de négligence et pourquoi attendre toujours les catastrophes pour réagir? C'est aberrant!». Les larmes aux yeux Malika renchérit: «J'ai passé une nuit blanche rien qu'en repensant aux images retransmises à la télé, c'était affreux tous ces cadavres qui flottaient à la surface de l'eau et au bord de la mer, tous ces disparus dont on ne retrouve pas la trace, je n'en croyais pas mes yeux, en voyant des véhicules emportés par les flots et des bus complètement renversés, quelle calamité mon Dieu, une fois n'est pas coutume certes, mais on aurait quand même pu prévoir cette catastrophe, qui, dans d'autres pays plus prévoyants, n'en serait pas du tout une. On organise des festivals, on fait venir des vedettes étrangères à coups de milliards, on paye au prix fort des représentants au Parlement, etc, alors que le petit citoyen continue à vivoter dans les habitations précaires, malsaines et bien loin des normes sécuritaires mondiales requises pour l'habitat du XXe siècle». «Vous voyez, nous dira Mourad, un autre fonctionnaire, l'Algérien pourra s'abstenir de manger pour payer le loyer d'un logement sain et en bon état, mais on continue à lui faire subir l'incertitude d'un toit décent, la plupart des logements qui se sont écroulés, sont situés dans de très vieux quartiers et sont, pour la plupart, plus qu'anciens. Au lieu de jeter l'argent par la fenêtre, l'Etat ferait mieux de raser tous ces bidonvilles et tous ces vieux immeubles qui non seulement enlaidissent l'image de nos villes, mais risquent de s'effondrer d'un moment à l'autre sur les habitants. La preuve est là, il a suffi d'un peu de pluie pour qu'une catastrophe s'abatte en premier lieu sur les démunis des quartiers populaires, c'est toujours la même chose, jusqu'à quand?» Un temps gris avec quelques rafales de vent et un soleil timide, enveloppait la ville de Béjaïa, hier matin. Une baisse sensible de la température est ressentie. Des écoliers emmitouflés couraient dans tous les sens et les gens vaquaient à leurs occupations quotidiennes tout en surveillant le ciel. Signe que ce qui s'est passé au centre et à l'ouest du pays ne laisse personne indifférent. A défaut de faire appel aux services de la commune, sur lesquels on ne compte plus apparemment, quelques jeunes volontaires, dans certains quartiers, ont entrepris de nettoyer eux-mêmes la voirie et bouches d'égouts afin de pallier toute éventualité, d'autant plus que la météo prévoit d'autres averses plus à l'Est dans les jours à venir. Ces jeunes chômeurs pour la plupart et qui ont déjà pris les devants, ne comptent plus que sur la force de leurs bras. C'est donc armés de pelles et de seaux d'eau, que ces volontaires, manches retroussées, le bas des pantalons relevé jusqu'aux genoux, pieds nus pour la plupart, s'attaquent, à ce qui pourrait leur porter préjudice et entraîner la mort. «L'eau c'est la vie..., dit-on, mais parfois c'est le contraire qui se produit...».