Cette proposition ne concerne pas seulement les détenus mais toute la société. Encore un tabou qui saute. Personne en effet ne s'attendait à ce que le gouvernement mette sur la place publique le projet de supprimer la peine capitale. On aurait aimé cependant qu'une telle proposition fasse l'objet d'un large débat au sein de toute la société et que les médias s'en emparent pour sensibiliser le plus grand nombre. Car une question aussi importante ne concerne pas que les présidents des cours, les procureurs, les magistrats et les greffiers en chef près les cours de justice, ainsi que les directeurs des établissements pénitenciaires et les officiers de police judiciaire. Tout le monde a à l'esprit la grande flambée de violence qui a touché les prisons en avril 2002. Des incendies s'étaient répandus comme une traînée de poudre dans les différentes localités du pays. Serkadji, Annaba, Sidi Bel Abbès... Des détenus, qui s'entassaient comme des sardines en boîte dans leurs cellules, ont mis le feu à leurs matelas, d'autres s'étaient suicidés ou avaient tenté de le faire. Une évidence sautait aux yeux : le monde carcéral souffre le martyre en Algérie. Les prisons sont surchargées. Les conditions de détention sont plus que déplorables et indignes d'un pays moderne qui a acquis son indépendance depuis près de 50 ans maintenant. Il faut réformer et moderniser les maisons d'arrêt. Y faire entrer un peu d'humanité. Car il y a une différence fondamentale à faire entre le code pénal et la loi du talion des sociétés primitives ou antiques, qui appliquent la devise: oeil pour oeil dent pour dent. L'individu, ou sa famille, ne font pas justice eux-mêmes. La société a créé des règles pour cela et des lois, qui sont au-dessus de tous. La société ne se venge pas. Elle applique la loi. Il y a nuance. Si le criminel ou le délinquant ont commis une faute, il est normal qu'ils paient en fonction de la gravité du délit ou du crime. Car il s'agit de protéger la société contre leurs agissements et contre la récidive. Un criminel en vadrouille représente un danger potentiel pour la société. La punition qui consiste à priver le criminel de sa liberté est largement suffisante, sans y ajouter les humiliations et les brutalités qui n'ont pas lieu d'être. La peine de mort, qui est la punition suprême, puisqu'elle vise à enlever la vie, ne se justifie plus dans les sociétés moderne, qui sont assez fortes pour punir les criminels et protéger les faibles et la communauté sans appliquer la loi du talion. D'autre part, tout le monde sait que le milieu pénitentiaire peut être un bouillon de culture pour fabriquer des criminels : tel délinquant que les conditions sociales ou le contexte ont amené à commettre une faute peut devenir un véritable danger social au contact des grands criminels. Les criminologues qui travaillent en collaboration avec le ministère de la Justice, la police et le gouvernement sont parfaitement au courant de ces vérités. Certes, il faut des moyens financiers, matériels et humains pour améliorer les conditions de détention, et parfois, ces moyens, il est possible de les dégager par une meilleure gestion de ce qui existe déjà. Mais le fait que le garde des Sceaux aborde cette question de la suppression de la peine de mort est un signe que les mentalités sont en train de changer et que l'évolution des moeurs politiques est en marche. Supprimer la peine de mort, c'est incontestablement faire preuve de respect envers la personne humaine, quelles que soient sa condition ou son origine sociale. Tayeb Belaïz, que le grand public ne connaissait pas il y a à peine une année, est sûrement en train de marquer des points et de donner à l'action du gouvernement une touche d'originalité et d'humanisme qui peut donner ses fruits à plus ou moins long terme. Le principal argument électoral de François Mitterrand en 1981 n'a-t-il pas été cette proposition de supprimer la peine capitale. En Algérie, ce qui est plus original encore, c'est que cette proposition n'a rien d'électoraliste.