67 accidents, 9 morts et 115 blessés sont comptabilisés chaque jour en Algérie. «Pourquoi quelqu'un qui fait de la prison ou qui a tué à l'arme à feu est considéré comme un criminel et traînera toute sa vie son crime dans son casier judiciaire, alors qu'un conducteur peut tuer plusieurs personnes en une seule journée sans que son acte soit criminalisé et sans que la justice ne s'en soucie outre mesure?» Cette observation soulevée depuis deux ans par le commandement de la Gendarmerie nationale est en train de parcourir un chemin long et sinueux pour faire école. Si le ministère des Transports, la Justice et le gouvernement hésitent encore à criminaliser les chauffards récidivistes, c'est tant pis pour les citoyens qui continuent à subir la folie meurtrière des «terroristes de la route» (le terme est de création récente et est très prisé par le CGN). Ce constat extrême est justifié par une comptabilité toute simple : 67 accidents, 9 morts et 115 blessés sont recensés chaque jour en Algérie. En termes plus comparatifs, l'Algérie, malgré un parc automobile insignifiant, constitué de 4 millions de véhicules, devance largement les pays les plus industrialisés et occupe la tête du hit-parade des accidents quotidiens de la route. L'Algérie fait partie des quatre pays qui présentent le taux le plus élevé en matière d'accidents de la route/jour. Au pays des «gosses» Ce constat est aussi justifié par l'invraisemblance des accidents : chute de conteneurs sur des véhicules, circulation en sens contraire sur une route à sens unique, vitesse excessive sur des routes secondaires ou qui traversent des quartiers, en plus des faits plus généraux : dépassements dangereux, conduite en état d'ivresse ou sous l'emprise de la drogue (il faut d'ores et déjà classer l'Algérie parmi les pays à forte consommation de drogue), etc. Ce n'est pas tout, et le pire reste à venir si l'on considère que le parc automobile grossit à une grande vitesse sans que les voies de communication, devenues obsolètes pour la plupart, connaissent reconstruction ou amélioration. Depuis deux ans, la Gendarmerie nationale qui surveille la quasi-totalité des voies de communication au niveau national, soit un vaste réseau de 104.000 km, dont une bonne partie est vétuste, voire impraticable, s'inquiète aussi des conséquences des accidents de la route. «1300 cadres meurent ainsi chaque année, 40 milliards de centimes de dégâts se chiffrent bon an mal an et 3500 à 4000 handicapés viennent encore s'ajouter à la longue procession des handicapés. En termes clairs, l'insécurité routière s'installe et les pertes en vies humaines et en dizaines de milliards de centimes ne cessent de connaître une courbe ascendante.» «La quasi-totalité des accidents sont le fait de jeunes, et 75% des morts sur les routes représentent la tranche d'âge 20-35 ans», précise un document du commandement de la Gendarmerie. Phénomène dangereux mais qui passe inaperçu, c'est la conduite des transports en commun par des gosses. Alors que dans des pays comme la France ou l'Allemagne, il est de toute première importance de donner le volant des autobus et autres transports publics ou privés à des conducteurs aguerris et âgés, en Algérie, ce sont en majorité des gosses à peine sortis de l'enfance qui mènent le citoyen en galère. «Comment voulez-vous qu'un jeune célibataire, qui n'a même pas à se soucier de sa petite famille, qui ne possède aucune expérience dans la vie ni aucune responsabilité parentale ou familiale, se soucie outre-mesure des vies des gens qu'il transporte. On devrait avoir un âge minimal et des conditions strictes pour laisser les jeunes conduire des transports en commun», s'insurge un vieux chauffeur de bus, aujourd'hui à la retraite. Les statistiques sont sans appel pour démontrer que ce sont bien les chauffeurs inexpérimentés ou défaillants qui provoquent l'insécurité sur les routes. «Le comportement humain demeure le facteur causal prépondérant, car à l'origine de 87% du nombre total des accidents de la circulation et l'excès de vitesse constitue 32% des causes des accidents, contre 21% pour les dépassements dangereux, 12% pour le non-respect de la distance de sécurité, 9% pour le refus de priorité, 8,89% pour le non-respect de la signalisation routière, 8% pour la conduite en état d'ivresse et 7,36% pour les manoeuvres dangereuses et autres conduites défaillantes.» Si on jette un coup d'oeil aux gares routières de Ben Omar, Chevalley, Bab El Oued, Rouiba, Bachdjarah ou Bourouba, qui constituent les centres urbains les plus fréquentés, l'on s'aperçoit que ce sont bel et bien des jeunes entre 20 et 25 ans qui gèrent, qui conduisent. A côté des chauffeurs, des gamins souvent âgés entre 15-20 ans, à peine sortis du lit et jetés la tête la première, dans un monde d'adultes qu'ils ne connaissent pas. Ce sont eux qui font la «criée» pour annoncer la destination et les arrêts aux usagers, ce sont eux aussi qui encaissent et délivrent les tickets, ce sont eux aussi qui, sans avoir l'âge, travaillent toute la journée, debout, pour moins de 6000 DA/mois, dans un univers qui semble avoir été abandonné par l'Etat. Statistiquement correct Pour compléter ce tableau pas très rassurant, ajoutons que les choses semblent figées, statiques, que les évolutions au niveau de la répression se font, mais qu'aucune «politique nationale prioritaire» ne suit. Jugez-en : l'action de répression en matière de police de la circulation routière a comptabilisé, durant l'année écoulée, 221.611 délits liés au code de la route, 159.733 infractions et 1.130 070 amendes forfaitaires. Seulement, 9% des amendes ont été recouvrées et le Trésor public perd quelque 90.405.600,00 DA. Les conducteurs fauteurs savent bien qu'ils ne risquent rien en laissant traîner en longueur une contravention non payée. Pire, un conducteur peut tuer dans un accident de la route une personne, deux ou trois, à Tlemcen, et passer à Alger et refaire les mêmes accidents, puis à Annaba, sans que la justice ait le temps de se saisir du dossier. Les lenteurs sont telles qu'il est peu plausible qu'on voit une décision pointer dans l'immédiat. Le semblant de «collège» pré-institué par le ministère des Transports a fait long feu. Composé d'un gendarme, un policier, un agent représentant le ministère et un autre la wilaya, le groupe devait se réunir chaque jour pour évaluer le retrait de permis aux conducteurs récidivistes ou jugés «dangereux». Là aussi, les pesanteurs administratives ont fait échouer le projet, et on est resté encore au stade de la réévaluation. Pour le CGN, un plan d'urgence doit être mis en marche avec, à l'appui, l'adoption de mesures qui feraient office d'objectif national prioritaire, la création d'une commission pour revoir les textes législatifs et réglementaires dont l'aggravation des peines des infractions génératrices d'accidents et la criminalisation de ces infractions si le conducteur est récidiviste ou était sous l'emprise de l'alcool ou la drogue. En attendant, les gens meurent, non plus par des actes liés à la violence terroriste mais sur les routes. Imaginez qu'une seule semaine d'accidents de la route a tué plus que ne l'ont fait le Gspc ou le GIA réunis en six mois. Edifiant...