Le ministre des Affaires religieuses Il appartient au ministre de choisir ce qu'il a envie d'offrir aux Algériens. Le ministre des Affaires religieuses semble prendre du goût à vouloir apporter quelques changements à son secteur. C'est tout à son honneur. Nous espérons qu'il puisse remuer un peu les choses. Ce sera au moins cela de gagné, comme on dit. Cependant, pour que cela ne reste pas au stade de simples efforts, il est important qu'aux affaires religieuses, on ne confonde pas les cibles, qu'on ne se perde pas entre les moyens et qu'on ne se trompe pas de moment. Vouloir agir est déjà une bonne chose, surtout lorsqu'on sait dans quelle léthargie était ce secteur en particulier, pendant de longues années. Mais l'intention, même si elle est louable, ne suffit pas. Il faut aller plus loin. Agir! Oui, agir car tout l'art de la gestion d'un secteur consiste à passer de l'intention à l'acte, de dépasser les discours pour arriver à l'oeuvre et c'est ce que le ministre actuel essaie de faire. Pour que l'acte ait les effets escomptés, il est nécessaire qu'il porte sur quoi il doit porter, là où il doit porter, au moment où il doit être entrepris et avec les moyens adéquats. C'est là malheureusement l'une des faiblesses constatées dans les récentes actions du ministère. Deux exemples suffisent à le démontrer. Immuniser les hadjis Dans un récent entretien à quelques médias, le ministre précise que concernant «l'expression des tendances idéologiques et religieuses qui se manifestent sur les Lieux Saints de l'islam et cet esprit de contagion, nous avons interpellé nos imams pour immuniser nos pèlerins». C'est bien qu'on ait enfin, pensé à la chose mais faut-il rappeler que, contre les agressions de l'esprit, on n'immunise pas comme on immuniserait contre un virus, un beau jour, comme ça, en faisant une injection ou en donnant quelques gouttes de vaccin accompagnées d'un morceau de sucre. En ordonnant, la veille du départ, aux 88 imams qui sont censés encadrer les 28.800 hadjis, de les «immuniser», le ministère s'est trompé de moment, de cible et, bien sûr, de moyens. Ce qu'il y a lieu de faire c'est aller chercher les meilleures méthodes pour rendre nos mosquées plus efficaces, non pas dans «l'immunisation» des hommes comme cela se dit souvent ces jours-ci mais plutôt dans la manière de porter le message de la religion et la religion elle-même. Ce ne sont pas les consignes données aux imams qui pourraient prémunir nos pèlerins et les empêcher de revenir avec de nouvelles convictions et pratiques religieuses ou, encore moins, de nouvelles perceptions de la vie. Il ne suffit pas de parer au plus pressé dans ce genre de situations car seul le travail de toute une vie pourrait prémunir les hommes contre ce type d'agression, surtout lorsque des facteurs favorisant existent comme la hogra, la pauvreté, la corruption, l'injustice, le chômage, l'exclusion sociale ou autre. Pourquoi faut-il attendre le départ des pèlerins pour se rappeler, soudain, qu'un danger pourrait les guetter, les menacer ou les transformer pour en faire de probables dangereux citoyens? Nos citoyens, sont-ils à ce point faibles idéologiquement? Oui, malheureusement effectivement Oui! Et, pour pousser plus loin le questionnement, demandons donc «pourquoi?». La réponse relève bien sûr, du ministère des Affaires religieuses. Défaillance du discours religieux La réponse c'est que le discours religieux chez nous a, depuis longtemps, été défaillant, inefficace, et, comble de l'horreur, incroyablement médiocre. La majorité de nos imams, mais pas tous bien sûr, croient que la méthode et les outils du discours sont figés depuis quinze siècles. On a l'impression que c'est un discours adressé à d'autres que nous, dans d'autres époques que la nôtre. Le déjà-vu est énorme. Sidéral devrions-nous dire. Les gens se rappellent souvent avoir déjà entendu des centaines, des milliers de fois, ce qui se dit. Est-ce que la religion est finie? Est-elle vouée uniquement et exclusivement à une époque donnée? Qu'est-ce qui justifie donc que l'on ait l'impression de remonter le temps à chaque fois que l'on entend le discours religieux de chez nous? Les nôtres sont-ils incapables d'innovation? D'adaptation? De progrès? Et est-ce que religion veut dire rester figé? Inanimé? En tout cas pas notre religion car les gens, aujourd'hui, savent bien que l'islam est la religion du progrès, de l'amélioration, du meilleur, de l'innovation et que si cela n'a pas abouti c'est de la faute des hommes, et uniquement des hommes et de leur discours. Notre discours religieux doit changer. Il doit mettre en avant les valeurs et les aspirations humaines, le désir d'aller toujours vers le mieux et le meilleur. Dieu ne nous a jamais ordonné de nous endormir pour laisser les autres rire de nous. Il n'a jamais ordonné à ce qu'on enfonce les tire-fond de l'irresponsabilité dans une époque de l'Histoire qui n'est pas nôtre. Nul ne remet en cause la religion, le Coran et la Sira mais c'est la méthode des hommes qui est, chez nous, archaïque à donner envie de dormir. C'est cette méthode qui doit être revue, corrigée, améliorée afin que, lorsqu'on entend le discours religieux, on n'ait pas envie de se lever pour fuir. N'est-ce pas étonnant qu'aujourd'hui encore, on nous redise ce qu'on nous disait il y a cinquante ans? Aux mêmes occasions, les mêmes paroles et souvent, on pousse le bouchon jusqu'à raconter aussi les mêmes anecdotes. Une telle méthode encourage la stagnation, la médiocrité et ne procure qu'ennui et désolation. Si l'on tient à prévenir l'invasion de toutes ces nouvelles configurations de la pensée religieuse, qui polluent le monde, prenons le temps de nous y mettre dès aujourd'hui avec l'espoir de recueillir les fruits dans une ou deux générations car le travail à l'échelle des nations ne se mesure pas en semaines ou en mois. Encore moins en jours! Le discours religieux qui est le nôtre a jeté bien profondément les racines de cette incroyable mentalité qui consiste à ne rien faire. A croiser les bras et à tuer le temps, à jouer aux dominos, tout en passant la vie à se contenter de demander l'aide de Dieu. Si on arrive à bannir cette mentalité pour la remplacer par des esprits qui, avant de lever les mains pour demander l'aide de Dieu, essaient de s'aider eux-mêmes et essaient de mettre de leurs côtés les chances d'être aidés dans la réalisation de leurs oeuvres, on aurait réussi car, comme disait Mohammed (Qsssl): «I'kalha wa tawakkal» et comme disait Dieu de Mohammed (Qsssl): «Dis agissez, Dieu verra vos oeuvres ainsi que Son prophète et les croyants» (Ettawba, 105). Immuniser les mosquées Dernièrement, le ministre des Affaires religieuses a affirmé que les mosquées du pays «sont aujourd'hui immunisées grâce aux mécanismes d'inspection adoptés par le ministère ajoutant que les idéologies ́ ́extrémistes ́ ́ sont étrangères à la société algérienne». En réalité, on n'immunise pas - et on ne doit pas chercher à immuniser - les mosquées. Ceux qu'il faut préparer à ne pas tomber dans les pièges, ce sont les esprits, les hommes, pas les murs. Or, pour ériger des esprits aptes à se défendre sur le plan religieux, il faut un discours religieux solide, honnête, orienté vers l'avenir, sérieux, serein et défriché de ces choses importées étrangères à notre religion, à notre perception du religieux, à notre culture et à nos traditions, en plus, bien sûr, d'une école responsable et qualifiante. A cet effet, la révision de notre compréhension du religieux est obligatoire et incontournable. L'idée que les hommes se faisaient du religieux, il y a deux siècles, n'est pas celle qu'ils s'en font aujourd'hui. Les conditions de vie d'il y a quatre siècles ne sont plus valables aujourd'hui et le niveau d'instruction des gens, de nos jours, est bien plus élevé qu'auparavant. On ne peut pas avoir les mêmes réflexes, ni les mêmes repères. Par ailleurs, dire que «les idéologies extrémistes sont étrangères à la société algérienne» est une affirmation qui ne peut pas dire grande chose, vu que nous avons connu l'une des périodes les plus terribles, les plus atroces à cause de... ces idéologies extrémistes. Qu'elles furent importées ou concoctées localement, ne compte pas beaucoup et ne doit pas compter. Continuer à se dédouaner de la sorte ne nous emmène nulle part. C'est à cause de la défaillance de notre école et de la défaillance de notre discours religieux que nous avons dû connaître cette terrible période. Aujourd'hui, il ne s'agit plus d'immuniser mais de construire les esprits dotés d'assez d'outils et d'arguments pour pouvoir se défendre, seuls contre les invasions culturelles et religieuses. Dire qu' «il existe encore des jeunes qui rejoignent les groupes terroristes et des jeunes qui s'adonnent à la drogue et ont des comportements vils une fois sortis des mosquées» c'est reconnaître l'inefficacité du discours utilisé jusque-là. Mais par quoi le remplacer? Par un même discours? Par un discours semblable? Ou bien alors par un discours qui réveille au lieu d'endormir, qui éclaire au lieu d'enterrer et qui instruit au lieu de pousser vers le charlatanisme? Il appartient au ministre de choisir ce qu'il a envie d'offrir aux Algériens.