Les moines de Tibhirine La bonne coopération entre la justice française et algérienne pourrait aboutir à clore ce dossier qui a refroidi les relations entre Paris et Alger durant plus de 20 ans. Le juge antiterroriste français, Marc Trévidic, en mission à Alger pour faire la lumière sur le massacre des moines de Tibhirine en 1996, va travailler sous l'autorité d'un juge algérien, a déclaré, hier le ministre de la Justice, Tayeb Louh. «L'exécution de la procédure rogatoire et l'application des procédures seront effectuées par le juge algérien en charge de l'affaire», a déclaré le ministre à la presse. Selon lui, les autopsies des têtes des sept moines décapités seront pratiquées par la partie algérienne en présence des juges français. Il s'agit «de souveraineté nationale», a lancé le ministre en précisant que c'était également «les usages internationaux». M.Louh a rappelé que la même affaire était «aussi instruite en Algérie par le Pôle pénal d'Alger spécialisé dans les affaires de terrorisme et de criminalité». Le juge en charge du dossier «se déplacera à son tour en France durant la dernière semaine» d'octobre. Selon des sources des médias locaux, il a obtenu l'autorisation d'auditionner deux membres des services secrets français. Il s'agit de Pierre le Doaré, ancien chef d'antenne des services secrets français (Dgse) à Alger (1994-1996), et Jean-Charles Marchiani, ancien officier du même service et ex-préfet du Var et proche de Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur. Marchiani avait témoigné dans un documentaire produit par France 3 et réalisé par Malik Aït Aoudia validant la thèse algérienne selon laquelle le GIA serait l'unique responsable des assassinats des moines. Marc Trévidic et sa collègue Nathalie Poux sont arrivés dimanche dernier à Alger pour participer à une expertise des têtes des religieux français, enterrées dans les jardins de leur ancien monastère isolé de Tibhirine, près de Médéa (80 km au sud d'Alger). Ils devraient se rendre aujourd'hui sur les lieux, selon une source proche du dossier. Les deux magistrats n'ont fait aucune déclaration à la presse depuis leur arrivée en Algérie, où ils devraient séjourner environ une semaine. Ils avaient demandé à se rendre en Algérie, il y a près de trois ans, dans une commission rogatoire internationale. Ce voyage a fait l'objet de longues tractations entre Paris et Alger. Les deux reports successifs après l'accord de principe donné par Alger. La mission intervient dans un contexte sécuritaire tendu trois semaines après une nouvelle tragédie impliquant un ressortissant français, l'enlèvement suivi de la décapitation du guide de montagne Hervé Gourdel en Kabylie, à l'est d'Alger. Le mode opératoire de l'assassinat par décapitation du touriste français appliqué par le mouvement affilié à Daesh, Jound El Khilafa est semblable à celui pratiqué par le GIA durant la décennie noire. Les moines Christian de Cherge, Luc Dochier, Paul Favre-Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard qui avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, avaient subi le même sort que Gourdel. Le rapt avait été revendiqué un mois plus tard par le Groupe islamique armé (GIA) via un communiqué signé de son «émir» Djamel Zitouni. Le commanditaire des attentats de 1995 en France proposait un échange avec un autre responsable du GIA. Cette visite judiciaire clôturera-t-elle définitivement le dossier des moines de Tibhirine? 18 ans après leur assassinat morbide par des terroristes sanguinaires, après des documentaires versés et controversés, un film polémique, des livres et des enquêtes judiciaires incendiaires, la coopération judiciaire pourrait l'emporter sur la manipulation politique du «qui-tue-qui». L'affaire Gourdel est venue donner raison aux responsables algériens sur le danger du terrorisme islamiste, dans la montée de la violence en Algérie. Cette coopération entre la justice française et algérienne pourra lever le voile sur cet assassinat morbide qui divise deux communautés (chrétienne et musulmane) qui vivaient en paix et en sécurité dans la vallée paisible de Tibhirine à Médéa.