Les acteurs principaux du film Le choix du tournage porté sur Oran n'est ni un jugement de valeur sur la ville ni une manière de cataloguer ses habitants. La projection vendredi dernier à Oran de l'avant premiers du film L'Oranais du réalisateur Lyès Salem a été un grand événement, qualifié d'historique. Un film algérien qui a fait salle comble. «C'est en effet chose rare ces dernières années dans les salles de cinéma d'Oran», dira Abdelkrim Houari sociologue de profession. Un public mixte et de tous les âges dont la grande majorité parmi les plus âgés n'a pas mis les pieds dans une salle de cinéma depuis la fin des années 1980. Des garçons et jeunes filles heureux de se retrouver dehors devant les portes du cinéma, tard le soir et par un jour de vendredi comme le souligne malicieusement l'une d'elles. L'Oranais est un film algérien qui a réussi à subjuguer le public le tenant en haleine pendant 2h20 minutes. Des scènes ont été fortement applaudies et le film a réussi l'exploit d'être ovationné durant et à la fin de la projection. Un film original mais très différent de tout ce qu'on a vu jusqu'à maintenant par sa qualité technique de haute facture et par les thèmes abordés très délicats pour ne pas dire tabous comme les questions de l'identité, l'arabisation, la torture, la perte de l'idéal révolutionnaire. Un film qui aborde la guerre de libération et les premières années de l'indépendance non pas à travers des héros mythiques mais à travers une description humaine de trois dirigeants qui, une fois la guerre terminée, se retrouvent en proie à des secrets lourds à porter, à des mensonges, à des doutes, à des compromis, à des concessions et même à des trahisons. Des compagnons d'hier et des idéaux. Une phrase parmi d'autres: appartenir à un clan chez nous est plus important qu'appartenir à un parti où nos mensonges actuels nous imposeront dans quelques années notre silence. Le film est émouvant, audacieux, dérangeant au point qu'une poignée, qualifiée sur place de «faire semblant de jouer les saintes nitouches» a quitté la salle en guise de protestation trouvant que le film véhicule une image d'Oran comme ville de débauche et de mauvaises moeurs en forçant un peu sur les scènes de bars et de consommation d'alcool. Le débat a été riche et empreint de spontanéité, de la bonne humeur et d'encouragements. «L'Oranais fera date dans l'histoire du cinéma algérien», a ajouté Abdelkrim El Houari. «Nous avons tant attendu ce film qui a fait le buzz sur la Toile, finalement il ne colporte rien d'anormal à part des séquences pleines de créations», dira un cinéphile oranais ajoutant que «le réalisateur s'est ingénié dans la création des personnages». De tels propos sont revenus sur les lèvres de tous ceux venus en force voir le long métrage tourné en grande partie dans la ville d'Oran. L'Oranais ou El Wahrani en arabe, repose sur une histoire de deux anciens amis intimement liés, Djaâfar et Hamid. Après avoir accompli ensemble le devoir national durant la guerre d'indépendance, ils s'éloignent peu à peu l'un de l'autre. La raison de cette séparation, les chemins croisés de deux personnages mais aussi un secret qui refait surface et un passé familial qui les rattrape. Lyès Salem a été explicite en affirmant que «ses personnages ont laissé certains idéaux derrière eux après l'indépendance» ajoutant qu'«il ne s'agit pas d'un échec de la révolution». Tourné à Oran en 2013, le film de Lyès Salem emporte le spectateur pour le faire vivre dans les premières années qui ont suivi l'indépendance. Les décors et les costumes bien travaillés ne laissent aucun hasard pour reconnaître l'époque. Le spectateur se reconnaîtra dans les décors colorés du contraste accentué par un calibrage reflétant la ville d'Oran bien ensoleillée. Le spectateur se rendra compte que le réalisateur a pris soin du petit détail comme les plaques d'immatriculation des voitures. Sur le plan de la textuelle, l'accent des personnages ne souffre d'aucune ambiguïté tant les acteurs, malgré l'usage excessif du français, s'exprimaient assidument, sans plagiat, l'intonation locale. Pourtant, les acteurs sont venus de divers horizons, Khaled Benaissa est de Annaba, Lyès Salem est d'Alger vivant en France, Djamel Barek de Tiaret vivant en France tandis que Idir Ben Aïbouche est de Tizi Ouzou vivant à Alger. Dans son oeuvre, Lyes Salem a ratifié un tableau historique de l'Algérie post-indépendance en n'omettant aucun détail pouvant susciter «la petite remarque» des cinéphiles ou encore celle des critiques de cinéma. Boualem Hafid, cinéaste très connu dans le monde du cinéma à Oran, dira que «Lyès est doué dans la réalisation dans de tels films, son oeuvre (Mascarade) atteste d'une telle évidence». Le film est à caractère politique. Il pouvait être tourné dans n'importe quelle ville. Le choix porté sur Oran n'est ni un jugement de valeur sur la ville ni une manière de cataloguer ses habitants. Des cinéphiles bougiotes ont été au plus haut niveau de leur «émulation» en appréciant le spectacle lors des journées cinématographiques de Béjaïa. «J'aurais souhaité que le film soit tourné en Kabylie, pourquoi pas à Béjaïa? s'est demandé un cinéphile s'appuyant sur ce qu'il a qualifié «de belles prises de plans d'Oran ensoleillée». Le MDS d'Oran a, en diffusant un communiqué, affirmé que «la réalisation de ce film entre dans le cadre d'un sérieux travail de mémoire que nous saluons et que nous devons tous faire». Et de dénoncer que «les censeurs de tout bord, à leur tête les intégristes islamistes, ont déjà commencé à déverser sur lui leur fiel et leurs violentes vociférations à travers, entre autres, la chaîne privée Ennahar TV et sa star du moment Cheikh Chems Eddine». «Soyons nombreux à cette projection pour exprimer notre soutien à la liberté de création, notre refus de toutes les milices et cabales contre la liberté de pensée et notre appui aux efforts citoyens», a conclu le communiqué. Le film est le deuxième long métrage de Lyès Salem, après Mascarades réalisé en 2007. Il est coproduit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel et Laith Media. Son réalisateur a remporté le titre «Valois» du meilleur acteur pour son interprétation du rôle de Djaâfar lors du 7e Festival du film d'Angoulême le 26 août 2014 et le titre de la meilleure réalisation du Festival d'Abou Dhabi tenu tout récemment. «un tel film avec cette audace du traitement de l'Histoire puisse être financé par une agence algérienne et projeté dans une salle de cinéma municipale sans censure, illustre, on l'espère bien, une fin de l'ère de la censure et de l'autocensure», dira Abdelkrim Houari.