«Ya raïah, ya el msafer trouh ta'ia oua toualli» Dahmane El Harrachi L'émigration de travailleurs algériens en Europe fut amorcée par un nombre indéterminé de personnes qui laissèrent des traces dans les archives historiques de France et de Belgique, après 1871.(5). En 1905, on estimait à plusieurs milliers les Nord Africains qui travaillaient dans les mines de charbon européennes. En 1913, il y eut une augmentation rapide et on dénombrait 30.000 personnes dont bon nombre de Marocains dans les mines du Pas de Calais. Le mouvement d'émigration algérienne à travers la Méditerranée fut, d'après la «British Naval Intelligence», stimulé par la guerre de 1914-1918 durant laquelle l'Algérie fournit à la France 173.000 hommes pour le service militaire et environ 120.000 pour travailler dans des usines de munitions et autres. Vers le mois d'avril 1917, 2,7% de la population algérienne avaient servi en France dans l'armée française.(6). Après l'armistice beaucoup d'Algériens furent maintenus pour la reconstruction. Entre 1920 et 1924, la France recruta 120.000 travailleurs algériens. Pour la seule année 1929, 71.000 travailleurs algériens arrivèrent en France poussés par la misère et un «miroir aux alouettes». La crise des années trente et l'occupation allemande de la France amenèrent des expulsions d'Algériens. Ce n'est qu'après 1945, avec le Plan Marshall, que la France put se reconstruire avec l'apport de milliers d'Algériens. Il y eut 400.000 travailleurs vers 1955.(7). Pendant la guerre, qui est surtout le fait du «lumpen-prolétariat», selon le mot de Mahfoud Bennoune, les paysans qui survécurent aux différentes opérations militaires, furent entourés, dans des centres de regroupement, de barbelés, de fortifications de champs de mines. La stratégie de la terre brûlée pratiquée par les Français causa la destruction de 8000 villages, le bétail des paysans fut confisqué et consommé par la troupe. Quand en 1962, les paysans furent libérés , ils ne possédaient plus rien...émigrer était de nouveau le seul moyen d'échapper à la faim.(8). Par la suite il y eut une évolution graduelle du comportement à la fois de l'immigré et de son environnement. Le racisme vint au devant de la scène durant les années soixante et soixante-dix , il fut savamment entretenu par une frange de pieds-noirs dont l'émotion a été récupérée par le «Front National naissant» et les déçus militaires de la politique d'abandon de De Gaulle. Il y eut des meurtres racistes, la tension fut à son comble et le président Boumediene décida de stopper en 1973, l'immigration pourtant prévue par les accords d'Evian. Les années quatre-vingts correspondent en France à la venue de la Gauche. L'émigration fut toujours pour François Mitterrand à la fois une variable d'ajustement et de négociation, pour notamment les régularisations, mais aussi le repoussoir que l'on brandit à la face des Français. On comprend alors l'essor fulgurant de l'extrême droite qui a fait ses meilleurs scores durant les deux septennats. L'avènement de la Droite a permis le tassement du Front National, car la politique était en gros la même avec notamment les lois Sarkozy qui ont permis à la police de se sentir pousser du «zèle» sous forme de «bavures», naturellement absoutes... Cependant, malgré la politique d'accueil drastique (Mise en place des visas Schengen) l'avènement de la décennie rouge en Algérie a vu une vague d'émigration vers l'Europe et le Canada de plusieurs dizaines de milliers de cadres et d'universitaires qui viennent sédimenter sur ce qui existait. C'était l'époque où Charles Pasqua se moquait publiquement des Algériens accusés «d'écrire des lettres de menace» pour profiter de l'asile politique.... Graduellement l'émigration a changé quantitativement , le flux est beaucoup plus faible, ce ne sont plus les grandes transhumances des années après les deux guerres mondiales pour relancer l'industrialisation de la France. Il y a aussi un changement qualitatif; et bien qu'il y ait encore des «Harragas», naturellement refoulés, débusqués pour la plupard et chartérisés selon le bon mot d'Edith Cresson. seuls les meilleurs ont une chance d'être acceptés voire tolérés un temps, le temps de leurs performances, mondialisation oblige. Evolution de la détresse de l'immigré; les pathologies spécifiques puis l'errance identitaire et religieuse Il faut savoir que les conditions de vie de l'immigré pendant plus de trois quarts de siècle , en plus du fait qu'il n'est pas «accepté», sont tellement drastiques qu'il contracte une pathologie spécifique. Mahfoud Bennoune rapporte l'étude faite par des médecins français qui a décelé deux types de pathologie ; les maladies d'acquisition et la pathologie d'adaptation. La maladie la plus meurtrière étant la tuberculose qui fait de véritables ravages parmi les Nord-Africains. le cas de Béchir malade est un exemple; opéré de l'estomac pour une maladie professionnelle mais que le médecin ne veut pas garder en observation après l'opération l'accusant de voler la caisse de sécurité sociale. Ce fut un miracle si finalement un autre médecin prit en compte le saignement dangereux de Béchir. En ce qu concerne l'autre pathologie «d'adaptation». La perturbation causée par les conditions sociales rencontrées, le manque de maîtrise de la langue, les difficultés dans le travail, le racisme, font que des symptômes commencent à apparaître chez les sujets déjà angoissés.(9). Dans les années quatre-vingts. Il y eut une «visibilité de l'Islam essentiellement maghrébin», à la fois à l'intérieur de l'Hexagone, à l'extérieur avec la Révolution islamique, l'invasion de l'Afghanistan, la résistance des talibans aidés par les Britanniques et les Américains. Parallèlement, la deuxième et la troisième générations trompées par un pouvoir de gauche avec l'illusion de l'intégration et la panne de l'ascenseur social a donné naissance aux zones sensibles, zones grises, de non-droits en clair aux quartiers défavorisés des «beurs». On parle alors de communauté musulmane mettant dans le même sac, les Français musulmans et les immigrés, les non- pratiquants. L'environnement international et notamment le conflit israélo-palestinien ont constitué des caisses de résonance qui ont amené les autorités à attribuer «le nouvel antisémitisme» aux beurs et partant aux musulmans. Le fait de présenter l'Islam comme la deuxième religion de France n'est pas dénué d'arrière-pensée. Le but est de créer la panique et l'aversion contre l'Islam. Pourtant, on ne parle pas de communauté juive de loin la plus puissante bien que numériquement elle ne représente que 600.000 personnes et on permet à Ariel Sharon de faire pression sur la France en menaçant de retirer les juifs de France à qui il recommande de faire leur «Alya» en Israël. Le tout est de savoir si après les décrets d'Adolphe Isaac Crémieux d'émancipation des juifs d'Algérie en 1870, les juifs doivent plus allégeance à Israël ou à leur «pays»: la France. A titre symbolique et une semaine après les propos de Sharon du 20 juillet, et alors que le moment est mal choisi, 200 juifs français émigrent en Israël.. Voilà le vrai pouvoir et non pas celui d'une «communauté» qui a peur d'affirmer son identité originelle tout en respectant les lois de la République. Paradoxalement on ne parle pas de communauté quand il s'agit de Portuguais, d'Espagnols ou de Polonais, pourtant venus, pour certains, tardivement. On va même jusqu'à voir dans la communauté chinoise une facette de l'enrichissement culturel de la France quand, par exemple, on fête «l'année du lapin ou du singe». A-t-on la même indulgence si on fête le «Mouloud Ennabaoui»? On l'aura compris, si cette fête se déroule, le plus souvent, elle le sera d'une façon clandestine par des musulmans frustrés cultuellement, voire culturellement, pour ne pas paraître hors décor ambiant. Naturellement à côté des quartiers «inintégrables», il y a les bons beurs «sans aspérités ni culturelles ni cultuelles». C'est ainsi que chaque parti politique a ses bons beurs comme faire valoir; le président de SOS Racisme, promu secrétaire national au Parti socialiste, en est un exemple. A droite, c'est la même chose sauf quand il s'agit de «choses sérieuses» curieusement, aucun immigré beur ne se trouve en position d'éligibilité sur les listes électorales (régionales, européennes), malgré leur protestation qui commence à être visible. On l'aura compris, on fera tout pour faire émerger une «beurgoisie» mais pas question d'une intégration franche et loyale. Ce n'est pas demain que nous verrons, l'équivalent d'un Collin Powell dans l'armée française. La position des grandes ONG ne semble pas avoir de poids. Ainsi, l'organisation Amnesty International avait diffusé, le 11 juin 2002, un «appel urgent» aux dirigeants de l'Union européenne «afin qu'ils prennent le recul nécessaire face à ce qu'ils appellent la guerre contre l'immigration illégale». L'organisation explique comment les politiques d'asile et d'immigration de l'UE ont été «détournées par une volonté toujours plus marquée de créer une Europe forteresse». Le rapport note «une nette tendance de nombreux pays européens à mettre en place des lois et des pratiques qui rendent impossible pour les réfugiés le dépôt de leur demande d'asile». Et ce n'est certainement pas aussi, l'Eglise de France qui s'impliquera au nom de la charité chrétienne. Ainsi, après la position courageuse du début dans l'affaire des sans papiers et la remise au pas, l'Eglise en la personne du cardinal Lustiger , ne se sent plus concernée par la détresse des épaves humaines «elle ne peut offrir, dit-elle, qu'un asile spirituel» Conclusion L'une des conséquences les plus tragiques de la mondialisation est l'effritement des nations et des peuples du tiers-monde lancés à travers la planète dans une quête sans fin vers des lendemains qui ne chantent toujours pas pour eux. Après avoir rendu les pays anciennement colonisés exsangues pendant des décennies d'exploitation coloniale, voilà que les pays industrialisés s'en lavent les mains. Ils n'assument pas leur passé. Les rares miettes et subsides qu'ils octroient à des pouvoirs, le plus souvent impopulaires, et acquis, entretiennent encore plus une exploitation à distance. Poussés par la faim, le manque de perspectives dans leur pays, les jeunes sont prêts à tout pour arriver à leur fin souvent au péril de leur vie. Souvenons-nous des dizaines d'émigrés chinois, asphyxiés, de ces deux jeunes Africains qui se sont glissés dans le train d'atterrissage d'un avion. Comble d'ironie, ces mêmes pays européens sont confrontés à deux défis majeurs. D'abord leur population vieillit, il n'y aura pas de relève démographique et de plus, les effets de la mondialisation font qu'ils ont besoin aussi de compétences de plus en plus importantes en qualité et en quantité. C'est le fameux «body-shopping» . Il n'est que de se souvenir des 10.000 visas pour les informaticiens des PVD, voulant travailler en Allemagne.(10). Après avoir disposé de la «chair à canon» pour les guerres coloniales et avoir spolié les pays colonisés de leur matière première envoyée en métropole, après avoir disposé des bras des émigrés pour participer d'une façon décisive au développement des nations européennes au lendemain des première et deuxième guerres mondiales, voilà que les anciennes puissances coloniales volent la matière grise que les PVD ont mis tant de temps et fait tant de sacrifices pour former. Qui remboursera, en moyenne, les 80.000 $ par cadre formé, aspiré par les pays riches? Cette dette du Nord peut contribuer au développement du Sud. Non, il n'est pas juste que le problème des flux migratoires soit traité unilatéralement, les partenaires de la rive Sud se doivent d'être associés pas seulement au moment de recevoir les «charters de la honte» mais aussi et surtout sur les voies et moyens d'un vrai codéveloppement durable qui privilégie la dignité humaine, tant il est vrai que la détresse des pays du Sud est pour une grande part, due au retard scientifique et technologique du fait des politiques d'éducation désastreuses des puissances coloniales. (5).Madeleine Trabous : « Migrations et développement : le cas de l'Algérie » C.D.O.C.D.E. p. 56 et 154. Paris . 1970. rapporté par M. Bennoune : El Akbia, un siècle d'histoire algérienne 1875-1975.p. 174, Edit. OPU. 1986. (6). British Naval Intelligence : « Handbook area guide : Algeria ».p.45. 1944. dans M. Bennoune p.175. op.cité. (7). Augarde : la migration algérienne, p.15. cité par M.Bennoune. op.cité p.177. (8). M. Bennoune : French counter-revolutionary doctrine and the algerian pesantry. Monthly Review n°25 .p.49. (9).M. Bennoune : El Akbia, un siècle d'histoire algérienne 1875-1975.p. 265-269, Editions OPU. 1986. (10). C.E. Chitour ; La nouvelle immigration entre errance et body-shopping. Edition Enag. 2004