«J'ai vu hier la maison des canons avec lesquels on renverse les remparts; je vois aujourd'hui la machine (l'imprimerie) avec laquelle on renverse les rois. Ce qui en sort ressemble à la goutte d'eau venue du ciel: si elle tombe dans le coquillage entrouvert, elle produit la perle; si elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le venin.» L'Emir Abdelkader Un évènement en apparence anodin m'a fait sursauter. Le billet d'avion coûtera moins cher pour les émigrés. Le ministère des Affaires sociales traite les émigrés comme des assistés au lieu de leur donner un couffin, il leur offre des billets d'avion. On l'aura compris, il continue de gérer l'argent du contribuable à la manière d'un calife récompensant, distribuant çà et là des couffins, des chaises roulantes des ambulances et des microbus. Ceci est incompréhensible. Exemple: quand on donne à un émigré lambda 50% de réduction. Le ministre de la Solidarité précise que le budget débloqué comprend également la prise en charge de nos ressortissants après leur arrivée en Algérie pour leur transport vers leurs wilayas d'origine. «Dès leur arrivée en Algérie, le ministère les prend en charge pour rejoindre leurs wilayas d'origine par les différents moyens de transport, terrestre et aérien, ainsi que pour la réservation d'hôtel.» C'est une bonne chose. Pourquoi la même convention ne touche pas le citoyen lambda qui galère au pays pour un salaire en moyenne cinq fois moins important? N'a-t-il pas le droit lui aussi à voyager? Il est vrai qu'il galère déjà pour avoir un visa qui lui coûte au minimum 25% du prix de son billet. Ce n'est pas la première fois que le ministère de la Solidarité se signale par des «actions», le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne sont pas maturées. Pendant les vacances d'été 2008, ce ministère s'était signalé par une action démagogique qui consistait à mettre en place des «aires de jeu avec micro-ordinateurs pour permettre aux enfants de Diar el Ghorba» de prendre leur mal en patience en jouant pendant que l'on s'occupe de leurs parents venus se reposer après une année de travail. Petit retour en arrière. Faisant une lecture de l'émigration dans le temps et dans l'espace, à l'intérieur du processus des migrations amorcé la veille de la Première Guerre mondiale, A.Sayad observe un phénomène de stratification sociale de l'émigration. Le premier âge de l'émigration correspond à la maison traditionnelle. Il est chronologiquement limité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, (1) La phase élaborée: elle est souvent et d'abord signe d'aisance et de réussite de l'émigré. Aussi, l'émigré du deuxième âge s'empresse-t-il d'afficher sa réussite. N'a-t-il pas raison de partir? Pour preuve, cette gigantesque maison, ce commerce au bord de la route. Ahmed Djouher parlant du fossé culturel séparant la dernière génération ayant des lieux affectifs avec le pays d'origine, au point que le leitmotiv est d'y retourner, écrit: «Nos parents ne joueront jamais au tennis, au badminton, au golf. Ils n'iront jamais au ski....Ils ne possèderont jamais de leur vie un appartement ou une jolie propriété quelque part en France.Non, ils ont préféré investir dans des maisons au bled, en ciment, au prix de plusieurs décennies de sacrifices, qui ressemblent vaguement à des cubes et qu'ils appellent des villas.»(2) Il nous remet en mémoire Yamina Benguigui, pour qui «les immigrés ont grandi avec la main sur la poignée de la valise. Pendant longtemps, l'émigré avait pour objectif de revenir au pays «couler de vieux jours, et montrer les signes de sa réussite (maison du troisième âge). Depuis une quinzaine d'années, on constate un ralentissement. Dahmane El Harrachi nous affirmait qu'ils revenaient: "Trouh ta'ia oua touali", ce n'est plus vrai! De plus en plus, les émigrés décident de finir leurs jours en France, à telle enseigne qu'ils demandent de plus en plus des carrés dans les cimetières dans les communes où ils habitent. La responsabilité est en partie due au pays d'origine qui n'a pas su ou pas pu mobiliser les moyens pour rapatrier les vieux, de leur vivant, au lieu de les laisser dans les mouroirs de la Sonacotra. L'émigré veut retourner dignement», c'est-à-dire en montrant que toutes ces années de travail et de sacrifices à l'étranger n'ont pas été inutiles. Ils ont ainsi souvent le sentiment que leurs sacrifices, leur migration est un échec. «...Revenir les mains vides et avouer l'échec et l'inutilité de l'émigration, est impossible. J'ai perdu ma santé ici, j'ai pas mis d'argent de côté, j'ai pas construit une maison là-bas, je n'ai même pas une voiture; c'est la honte de revenir comme ça.»(3). Ainsi dan les faits, «l'émigration de Papa a vécu», l'émigration du siècle dernier, l'émigration à la «Tati» appartient au passé. S'agissant de son apport au pays, une étude intitulée Femip révèle que les émigrés originaires des pays de la rive sud de la Méditerranée, établis en Europe, envoient annuellement entre 12,4 et 13,6 milliards d'euros vers leurs pays d'origine. Ce rapport qui conclut que des trois pays du Maghreb, l'Algérie vient en pole position avec 3,15 milliards d'euros, devançant le Maroc et la Tunisie avec respectivement 2,13 et 0,84 milliards d'euros. Néanmoins, le transfert de la moitié de ces fonds s'effectue par des canaux informels. Diaspora de l'intelligence L'émigration - héroïque notamment par son rôle pendant la Révolution- est remplacée par une émigration de l'intelligence. La connaissance est aujourd'hui la source fondamentale de la création de richesse et le facteur primordial de la compétitivité internationale. Aujourd'hui, lorsqu'un informaticien indien est débauché de son entreprise, dans son pays, pour exercer son métier aux Etats-Unis, on dit de la firme qui le démarche qu'elle fait du «body shopping» (achat corporel) Cette métaphore spontanée est éloquente: elle rappelle le trafic des corps, l'esclavage, sans détour... Pour nous convaincre du fonctionnement erratique de la relation avec l'émigration, deux exemples vont nous permettre de toucher du doigt l'amère réalité d'abord, une réunion où on n'invite à Alger avec un budget conséquent que ceux qui sont dans la norme. «Les Algériens du Canada seront certainement surpris d'apprendre qu'aujourd'hui et demain, une vingtaine de personnes va les représenter aux Journées parlementaires sur l'émigration qu'organise la commission des affaires étrangères, de la coopération et de l'émigration, à la résidence Djenane El Mithak, à Alger. Pour Rachid Boudjarane, président du Regroupement des Algériens du Canada (RAC) qui ne fait pas partie de la délégation, lui aussi estime que ceux qui ont accepté d'embarquer dans cette mascarade feront face à leur conscience. Je dénonce l'incompétence du député. Un vote volé aboutit nécessairement à ce genre de situation. Avec toute mon implication dans la communauté, on n'est même pas mis au courant. En fin de compte, la grande leçon de démocratie ne viendra pas de la communauté des Algériens du Canada, du moins pas de ceux qui font le plus de bruit. 3 nuits dans un grand hôtel algérois et un billet aller-retour Montréal-Alger sur Air Algérie aux frais du contribuable algérien: une belle entrée en saison estivale pour la trentaine d'heureux gagnants de la tombola du système et ses ramifications en Amérique du Nord.»(4) Le deuxième exemple a trait à une rencontre- une de plus, cette fois à l'extérieur- avec la diaspora scientifique regroupée dans Reage, à Paris. Le ministre de la Solidarité a déclaré à cette occasion que l'Algérie «a besoin de tous ses enfants» et «veut valoriser les ressources où qu'elles soient». «Les portes de l'Algérie vous sont grandes ouvertes, j'invite les managers à venir présenter les projets en Algérie.» Le Réseau des étudiants algériens des grandes écoles (Reage) a rassemblé ses adhérents pour présenter le programme de l'année 2009..Après trois ans d'existence, le Réseau compte aujourd'hui plus de 1400 adhérents, étudiants ou diplômés des universités et des plus prestigieuses écoles françaises, à l'instar de HEC, Polytechnique, Mines...L'association a présenté ses projets pour l'année en cours: son annuaire en cours d'élaboration, son nouveau site Internet.(5) Nous rapportons les mots du président pris du site de l'association Reage/. «Le 1er octobre 2008, REAGE a eu 3 ans! Félicitations à tous les artisans de cette belle oeuvre collective! Tout d'abord, le besoin légitime de disposer d'un espace où nous retrouver, pour échanger, pour nous entraider, pour construire ensemble et faire fructifier notre patrimoine commun. Ensuite, la prise de conscience de la nécessité de servir la communauté algérienne d'Europe, de lui permettre de jouer pleinement son rôle, partout où elle se trouve. Forte de plus de 5 millions de citoyens, elle figure au premier rang des communautés d'origine non européenne. Riche de la diversité de ses générations et de ses composantes culturelles et professionnelles, fière de son histoire et de son parcours, comptant en son sein de nombreuses réussites, cette communauté mérite de jouer les premiers rôles, aux côtés de celles qui sont en train de façonner l'Europe de demain. Mais elle souffre encore d'un manque d'organisation et de méthodes, même si elle a les moyens d'aller de l'avant et les atouts pour atteindre ses objectifs. Comptant plus de 400.000 cadres et entrepreneurs -chiffre en forte croissance- présents dans tous les secteurs de l'économie et dans les institutions, la communauté algérienne contribue d'une façon significative à la vie économique, socioculturelle et scientifique de nombreux Etats européens. (...) Enfin, la volonté de servir l'Algérie, de contribuer avec des projets ambitieux et concrets à "l'explosion" de son formidable potentiel économique. Pays de naissance pour les uns, pays d'origine pour les autres, l'Algérie est située à la croisée des civilisations qui ont jalonné son histoire et enrichi son patrimoine: "Rome s'écrirait en minuscules sans elle!" Pourtant, les atouts de l'Algérie sont bien réels et les forces positives sont plus nombreuses qu'on ne le croit, en premier lieu l'option irréversible prise par l'Etat algérien en faveur de l'économie de marché et les nombreux programmes qui l'accompagnent. C'est dans cet esprit que Reage propose, aujourd'hui, de coopérer avec tous ceux qui oeuvrent au développement économique de l'Algérie, sur la base d'un véritable contrat de confiance, sans tabous et dans le respect des intérêts mutuels. Nous avons tellement reçu d'elle. (..) Autour de nous, les exemples de réussites économiques soutenues par l'engagement des communautés de l'étranger ne manquent pas, en Chine, en Inde, en Irlande, au Maroc, en Tunisie, etc.» C'est donc, à non point douter, une organisation tournée vers l'organisation des Algériens entre eux. Ce n'est qu'en troisième lieu où on fait référence à l'Algérie. Il serait intéressant de savoir combien parmi eux ont pris au pays, et combien sont prêts à rendre ce qu'ils ont pris, ne serait-ce qu'en formant un Algérien dans le cadre de thèse. Dans les propositions, on ne voit nulle part, la mise en place d'un fonds ou d'une fondation alimentée par un apport de chacun et qui permettra réellement de faire des actions qui portent et non des études «sans lendemain». S'agissant de la fuite des cerveaux, c'est de plus en plus des universitaires qui s'en vont sans espoir de retour. L'Algérie aurait perdu plus de 100.000 diplômés qui se retrouvent principalement en France et au Canada Pour toute la diaspora algérienne ancienne et nouvelle, un dossier doit être ouvert; Il y a à chercher une réciprocité et un dédommagement pour ces cohortes de diplômés qui n'auront rien coûté aux pays d'immigration. L'émigration algérienne constitue un enjeu d'avenir d'importance capitale aussi bien pour l'Algérie que pour la France ou le Canada. Ce «vivier», constitue une chance en ce qu'il fournit à ces pays un apport démographique et économique, elle n'en constitue pas moins pour l'Algérie un atout de taille: une passerelle culturelle et économique supplémentaire Il faut savoir que nous n'avons pas eu jusqu'à présent une «stratégie de l'émigration» en dehors des résultats, en définitive, controversés de l'Amicale des Algériens en Europe. Il nous faut, sans complexe, réexaminer la place des enfants de harkis qui peuvent apporter beaucoup. L'Algérie a besoin de se réconcilier avec son histoire. Si on ne fait rien, les émigrés ne viendront plus en Algérie, ca rien n'est fait pour affermir le lien ombilical et irrationnel qui liait leurs parents, malgré tout au pays. Du point de vue attraction touristique nous sommes loin de la qualité de service de nos voisins. Pourquoi alors, l'émigré, même avec un préjugé vis-à-vis de la patrie de ses parents prendrait le risque de venir dans un pays où il est mal reçu avec des conditions d'accueil déplorables? A la croisée des chemins Dans le cadre d'une action pérenne avec notre diaspora, je propose la mise en place d'une opération visant à revitaliser notre système éducatif par l'achat d'un million de «laptop» (microordinateur pour les écoliers) leur prix est de 40 dollars (30 euros). On pourrait même innover en les fabriquant ici créant, ce faisant, de la richesse. N'est-il pas possible que notre diaspora de l'intelligence que l'on évalue à 500.000 personnes ne mette pas 100 dollars pour réaliser cette utopie qui fera à coup sûr décoller le système éducatif? Au lieu de toujours donner l'impression que l'Algérie est une vache à lait- il faut tordre le cou à ce slogan- ayons de l'ambition. Aidons notre diaspora à l'étranger en reformatant fondamentalement nos ambassades qui n'ont pas pris la mesure des mutations du monde où «chaque nation compte ses billes». Il faut voir comment la diaspora tunisienne est organisée, comment le patriotisme a encore un sens. Comment l'Egypte ou la Turquie attirent leur diaspora. Notre diaspora de l'intelligence -outre les combines de certains pour des postes- est dans l'ensemble dans l'attente. A nous de faire preuve d'imagination pour les intégrer. S'agissant d'un projet utopique de l'université virtuelle de tous les savoirs, nous n'avons pas besoin de faire venir nos compétences expatriées, à distance, elles peuvent faire un cours en direct, l'envoyer, discuter de recherche par téle-conférences et autres TIC. C'est cela le monde de l'Internet du Web2.0...On l'aura compris, nous sommes à une croisée des chemins. Il nous faut aller vers d'autres légitimités, celles du savoir indexées autant que possible sur un patriotisme sans faille. (*) Ecole nationale polytechnique 1.A.Sayad: Les «trois âges» de l'émigration algérienne en France. Actes de la recherche en sciences sociales, p59-79. Juin 1977. 2.Ahmed Djouder: «Désintégration» Editions Stock, mars 2006. 3.Boutaleb B.: Fin d'une vie entre deux mondes. Les retraités algériens en Ile-de-France, mémoire de DEA de sociologie et démographie des sociétés contemporaines pp. 128. 1994. 4.Samir Ben: Journées parlementaires sur l'émigration- El Watan Edition du 1er juin 2008 5.A.Ouali: Ould-Abbès à l'adresse des diplômés algériens à l'étranger. Liberté 2008.