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Réforme et Coran
ISLAM
Publié dans L'Expression le 22 - 12 - 2014

La mosquée Ketchaoua à Alger
Islam Réforme et Coran les musulmans lorsqu'ils parlent de polygamie, ils le font en évoquant uniquement le milieu du verset pour ne pas avoir à rappeler ni la condition des orphelins ni la peur de l'iniquité et ils omettent alors de rappeler le verset 129 de sourate Ennissa.(5e partie et fin)
Nous avons vu que ceux qui appellent à la réforme de l'islam ont développé cinq approches. Dans un article précédent, nous avons présenté les deux premières («l'approche par la relecture» et «l'approche par la réorganisation»). En ce qui suit, nous allons passer en revue les trois autres approches.
Alors que les approches par la relecture et par la réorganisation insistent sur le fait que, dans cette réforme, «il ne s'agit pas d'appliquer la critique au Coran, de lui ajouter ou de lui retrancher quoi que ce soit»(1) étant donné que «son contenu est indiscutablement définitif»(2), les tenants de la troisième proposition, plus radicale, veulent, quant à eux, que le Coran soit tout simplement amputé de tout ce qui «dérange» sous prétexte qu'il le rend «incompatible» avec la «modernité».
C'est dans cette troisième approche - que nous appellerions «approche par l'amputation» - que l'on sent le plus «l'influence des sciences humaines, particulièrement de l'anthropologie et de l'histoire des religions (...): rôle du symbolique et de l'imaginaire, passage de l'oral à l'écrit, fonction du mythe, etc».(3)
L'amputation du Coran de ses versets «obsolètes»
Les adeptes de cette approche se démarquent violemment et avec beaucoup de bruit de leurs prédécesseurs. En France, où ils sont présentés comme des spécialistes, ils haussent le temps, multiplient les déclarations, occupent les plateaux de télévision et de la radio et certains vont même jusqu'à lancer des manifestes. Dans un de ses longs passages, le «manifeste» de Bidar ne laisse aucune place au doute, il confirme que ces nouveaux réformateurs, qui semblent bien répéter ce qu'on leur dit, en ont après le Coran lui-même. Ainsi lit-on qu'«Il est significatif que l'appel à de «nouvelles interprétations du Coran» ne donne jamais lieu à un véritable examen critique du texte... Hormis chez Youssef Seddik, qui s'est engagé dans une démythification du texte coranique, ou chez Ghaleb Bencheikh, qui a le courage de déclarer «obsolètes» les versets discriminatoires à l'égard des femmes. Mais il faut d'urgence s'engouffrer dans la brèche (souligné par nous) et, osons le dire une fois pour toutes, déclarer caducs tous les versets incompatibles avec les valeurs des droits de l'homme (souligné par nous): versets discriminatoires non seulement contre les femmes, mais aussi les juifs, les chrétiens, les non-croyants, ainsi que l'ensemble des versets guerriers appelant à la violence et au jihad.»(4)
Les adeptes de cette approche qui crient au scandale devant «l'inégalité des sexes face à l'héritage»(5) s'interrogent ouvertement sur l'opportunité de respecter les règles prescrites dans le Coran quant à l'héritage: «que dire aussi de l'héritage inégal savamment entretenu depuis quatorze siècles entre garçons et filles, entre frères et soeurs, alors même que la famille nucléaire est devenue la règle dans les grandes villes, et que les femmes ont acquis des statuts qui leur permettent de générer de la richesse et donc de transmettre?»(6) et ils n'hésitent pas à déclarer simplement tombés en désuétude tous les versets qui ne cadrent pas avec certaines valeurs occidentales avant de proposer de «refonder tous les principes de l'islam, y compris les prescriptions de la loi religieuse et la lettre du Coran, à la lumière des droits de l'homme. Ne rien laisser hors de portée de l'esprit critique. Déclarer caduc tout élément du texte sacré, de la pratique, des coutumes, qui serait en contradiction avec les valeurs de liberté individuelle, d'égalité des sexes, de laïcité, de tolérance entre les peuples et les religions»(7). Et la messe (si on ose dire) est ainsi dite!
Cette attitude à l'égard des versets du Coran pose en réalité, pour le musulman, problème et soulève plusieurs questions. Qui a la capacité de déclarer caduc ne serait-ce qu'un seul verset? Qui a autorité de déclasser les versets? A notre avis, nul ne peut d'un côté reconnaître l'aspect sacré d'un verset et, de l'autre, prétendre être apte à l'abroger car ces deux comportements sont incompatibles.
Les versets relatifs à la polygamie et à la lapidation figurent aussi, dans cette approche, parmi ce qu'il est devenu nécessaire de jeter par-dessus la vitre de la modernité. «Il ne devrait pas paraître révolutionnaire, radical ou antimusulman que d'affirmer clairement que la polygamie est historiquement dépassée, tout comme la lapidation ne saurait être tenue pour une marque de foi, pas plus que l'inégalité des sexes face à l'héritage.»(8)
A ce propos, il y a lieu de noter deux points. Le premier concerne la polygamie et le second la lapidation.
Pour ce qui est de la polygamie, il est claire que, en tant que pratique, celle-ci a été conditionnée dès le départ à une seule et unique circonstance «in khiftoum alla touksitou filyatama» (Ennissa, verset 3) (Si vous craignez d'être injustes envers les orphelins) mais même dans ce cas, Dieu précise que «in khiftoum alla taadilou fawahidatoun» (si vous craignez de ne pas être équitable (envers ces femmes), alors n'en épousez qu'une seule) avant de déclarer à la fin de la même sourate (verset 129) «wa lan tastati'ou an ta'adilou bayn ennissa wa laou harastoum) (Vous ne pourrez jamais être équitables avec les femmes, même si vous le vouliez) ce qui ressemble fortement à une double contrainte débouchant sur une difficile, voire une impossible pratique de la polygamie.
Malheureusement, les musulmans lorsqu'ils parlent de polygamie, ils le font en évoquant uniquement le milieu du verset pour ne pas avoir à rappeler ni la condition des orphelins ni la peur de l'iniquité et ils omettent alors de rappeler le verset 129 de sourate Ennissa.
En ce qui concerne la lapidation, cette pratique est dite découler d'un verset qui aurait fait l'objet d'une abrogation dans le texte mais pas sur le plan de l'applicabilité. En d'autres termes, il est rapporté dans certains écrits qu'il existait bel et bien un verset de la lapidation (Ayat el rajm) dans la sourate El Ahzab mais qu'il a été abrogé, néanmoins, nous dit-on, cette abrogation ne concerne pas son application!
N'ayant pas, nous-même, suffisamment de connaissances dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous avancer sur ce point. Néanmoins, il nous semble qu'il n'y a pas de raisons pour qu'un verset qui n'existe pas dans le Coran soit applicable car si un verset est réellement retiré du Coran par Dieu (ce qu'il faut vraiment démontrer en plus) c'est parce qu'il n'est plus applicable sinon il aurait gardé sa place parmi les autres versets. L'argumentation avancée dans ce cas nous semble peu solide, le musulman ne devant se référer qu'aux seuls versets existants réellement.
Un des problèmes de «l'approche par l'amputation» est qu'elle semble ne pas convenir même à ceux qui en sont les vrais instigateurs et qui n'ont pu s'empêcher de remarquer que «le problème que pose ce type de réforme est qu'il génère un «islam à la carte» où chacun retire les versets qui le dérangent» (9) et que cette manière d'opérer conduit à ce que «ces réformes n'offrent aucune garantie pour le futur».(10)
Pour faire face à cette inquiétude, il est préconisé de laisser le bon sens et la logique dans les vestiaires car, contrairement à la raison elle-même et allant jusqu'à défier l'honnêteté intellectuelle, ils reconnaissent que «faire du bon sens le fondement de ces réformes leur ôte toute crédibilité quant à leur prétention à résoudre définitivement les problèmes que pose le Coran dans une perspective occidentale. (11)
Ainsi, comme il ressort clairement de ces lignes, il est clair que certains réformateurs (pas tous bien sûr), ne sont pas réellement intéressés par un appel à une quelconque réforme de la pensée islamique, ni même - comme ils le prétendent - de l'Islam mais ils visent la destruction de cet édifice car, au fond, le Coran - et donc l'Islam aussi - pose problème à leurs commanditaires.
La quatrième approche développée par certains réformateurs par rapport au Coran et que nous appellerons «approche par le doute et la subversion» est celle qui consiste à vouloir jeter un doute sur le Coran en en remettant en cause le statut.
Cette approche vient en complément de la précédente car ses initiateurs se sont vite rendu compte que, tant que les gens continuent à croire que le Coran est la parole de Dieu, il sera difficile de leur faire admettre un quelconque retrait des versets. «Si on croit que le Coran est la parole directe de Dieu, comment peut-on s'arroger le droit d'en éliminer certains versets?»(11), se demandent-ils avant de clarifier leur stratégie «faire du Coran un livre inspiré et non révélé, leur permet de dire que les versets appelant à la guerre, par exemple, sont les marques humaines dans le Coran d'un homme pris dans les vicissitudes d'une histoire tumultueuse». (12)
«Le Coran, disent certains, n'est qu'une succession d'interprétations multiséculaires rien d'autre»(13) alors que d'autres déclarent hautement qu'«il s'agit au premier chef de redéfinir le statut du Coran»(14) avant de préciser leur pensée: «Est-il, ainsi que le proclame la tradition, un texte divin dans son contenu et dans sa forme, dicté d'une manière surnaturelle au prophète Mahomet, le rôle de celui-ci étant celui de transmetteur passif? Ou bien le Coran, étant en langage humain, est-il, pour le croyant, divin par son origine et son inspiration, mais aussi humain, dans la mesure où la personnalité du Prophète, sa culture et ses conditions de vie individuelle et communautaire ne pouvaient pas ne pas intervenir dans l'élaboration de ce texte sacré?»(15) (souligné par nous).
Que ces mots ressemblent à s'y méprendre à ceux des Koraïchites qui accusaient Mohammed (Qsssl) d'avoir rédigé le Livre allant même jusqu'à désigner celui qui l'aurait aidé à le faire. «Et Nous savons parfaitement qu'ils disent: «Ce n'est qu'un être humain qui lui enseigne (le Coran).
Or, la langue de celui auquel ils font allusion est étrangère [non arabe], et celle-ci est une langue arabe bien claire.»(16).
Le Coran est-il une oeuvre divine ou humaine?
Mais si les Koraïchites avaient, au moins, le mérite de dire ce qu'ils pensaient eux-mêmes, certains des réformateurs de nos jours ne font, en réalité, que répéter ce qu'ils doivent dire ou exécuter exactement ce qu'ils ont reçu pour mission de faire. Faire du Coran une oeuvre humaine a toujours figuré parmi les manoeuvres de ceux qui s'en sont pris à l'Islam et, jusqu'à aujourd'hui, cela ne cesse de constituer un objectif subversif primordial car, ainsi qu'ils l'avouent eux-mêmes, «faire du Coran une oeuvre de Mahomet permet certes de limiter la portée des versets coraniques violents au contexte dans lequel ils ont été écrits, mais d'un autre côté cela fait s'effondrer tout l'édifice théologique musulman».(17)
A cette tâche qui vise à désacraliser le Coran en lui ôtant son caractère divin, nombreux sont ceux qui se sont attelés au cours de l'histoire et il en existe jusqu'à nos jours bien entendu.
Ainsi, pour l'historien britannique, John Wansbrough, le Coran n'aurait été qu'un processus d'assemblage, à partir de sources différentes, et qui n'aurait été achevé que 200 ans après la mort du prophète Mohamed (Qsssl), au 3ème siècle de l'Hégire exactement et il serait, en plus, fortement influencé par la Chrétienté et le Judaïsme.
En réalité, toute l'oeuvre de Wansbrough avait consisté à vouloir séparer, dans le temps, le prophète (Qsssl) de l'Islam et le Coran, ce qui devait servir à enlever au texte toute sacralité car il aurait été plus facile ainsi de prétendre à une écriture à la manière de la Bible, c'est-à-dire par des compagnons du Prophète (Qsssl). Mais «les écrits et théories de Wansbrough ont été fortement critiqués, non seulement par les chercheurs musulmans et les musulmans dans leur ensemble, mais aussi par les Occidentaux».(18)
Suspendre l'applicabilité de certains versets
Il existe une cinquième approche, que nous pourrons appeler «l'approche par la suspension d'applicabilité» ou «par la levée d'applicabilité» ou «par le moratoire» et dont la réflexion de base consiste non pas à retirer ou déclarer obsolètes des versets mais à en suspendre l'application. C'est la démarche dont Tariq Ramadan est le représentant le plus connu.
On le devine assez aisément, cette approche veut s'appuyer sur l'histoire de Omar Ibnou El Khattab lorsque, durant une période de misère, connue sous l'appellation de am el maja'a (année de la faim), il avait décidé de suspendre l'application du verset 28 de Sourate El Meida qui prescrit la peine de l'amputation de la main applicable aux voleurs.
Partant de l'analogie avec cet épisode, Tariq Ramadan entre-prend de généraliser la démarche au point d'en faire une approche. Ainsi, pour des sanctions comme la peine de mort, la lapidation et la répudiation, il appelle les pays musulmans à en suspendre l'application et à organiser un débat pour essayer de sortir avec des attitudes communes. Pour ce qui est de la polygamie, cependant, il déclare que ceux qui vivent dans un pays doivent en respecter les lois y compris celles interdisant la polygamie.
Y a-t-il une différence entre cette approche et celle qui préconise le retrait de versets? Certainement, car la suspension de l'application d'un verset présuppose la reconnaissance du verset lui-même alors que l'autre approche cherche à retirer carrément ce verset du Coran.
Néanmoins, beaucoup de questions subsistent et demeurent posées. Qui peut procéder à cette suspension? Les savants de manière générale? Les savants religieux seulement? Les hommes politiques? Ou bien alors tout ce beau monde réuni? Et est-ce que la suspension adoptée dans un pays engagerait les autres?
La caractéristique de cette approche c'est qu'elle rencontre une opposition assez forte et qu'elle essuie un double rejet. Un rejet d'abord, de la part de certains musulmans parce qu'ils refusent d'admettre cette suspension et un rejet de la part de certains non-musulmans, d'un autre côté, parce qu'ils trouvent la démarche elle-même trop molle.
Comme on le voit donc, de toutes les approches présentées jusque-là, ce sont la troisième et la quatrième approches qui semblent les moins réellement mues par une réforme - si l'on peut parler de réforme - du monde musulman. Elles paraissent, au contraire, poursuivre quelques objectifs qui, pour le moins que l'on puisse dire, visent à faire «s'effondrer tout l'édifice théologique musulman» pour reprendre les mots utilisés par les stratèges de l'approche Ces deux approches ne sont, en fait, que pure contestation du Coran.
Une contestation qui se focalise sur la «démythologisation» qui «définit les croyances religieuses par le caractère mythologique et, en conséquence, décide le passage du «mythos» au «logos». En second lieu, définissant le rite comme superstition et magie, et la morale comme idéologie et mystification, elle sera un effort de démystification et invitera au passage du rite à la technique et du normatif au positif. Elle sera désacralisation dans la mesure où elle dénonce l'aliénation de la religion ou de la foi dans les institutions religieuses et cherche le passage de la société sacrale au monde profane».(19) En fin de compte, les prétendus «réformateurs de l'islam» veulent soit restructurer le texte sacré sous prétexte qu'il a été mal ordonné, soit le réécrire parce que, soutiennent-ils, il renferme des versets et des commandements dépassés soit, alors, démontrer, à coups de subterfuges, qu'il est oeuvre humaine et l'approcher en tant que simple texte humain dans lequel seraient passées beaucoup de mains mais, dans tous les cas de figures, ils veulent le changer ou changer son statut et ne surtout pas le laisser tel qu'il est. Est-ce le sens qu'ils donnent à leur réforme? Est-ce là le prix que les musulmans devraient payer pour un renouveau du monde musulman? Non, merci! Pour l'honnêteté intellectuelle, on ne saurait mettre un point final à ce papier sans rappeler qu'il existe, non pas une autre approche, mais juste un autre voeu de réforme de l'Islam, celui qui s'élève sur un socle de haine viscérale de l'Islam et des musulmans, celui qui puise dans les marécages puants de l'insulte, de la dévalorisation et du mépris des hommes et de l'univers, celui qui ironise et qui fait appel à une passion déchaînée mais nous n'en avons pas tenu compte pour moult raisons. Il y a, d'abord, le fait que ceux qui ont fait le choix de cette perception ne sont généralement ni musulmans ni d'aucune autre religion. Il y a, ensuite, la bassesse du niveau auquel ils appellent, un niveau fait de chewing-gum pour braconniers d'une autre espèce et il y a, aussi, le fait malheureux qu'ils se croient pouvoir ainsi s'attirer la bénédiction de ceux pour lesquels ils essaient de se faire... modernes et pour lesquels ils jouent des coudes pour se faire voir comme des enfants dociles de la modernité. Pauvres créatures! (pour ne pas dire autre chose par respect pour nos lecteurs!).
Références (1)Boukrouh, Le Soir du 01/12/2014, p.7 (2)Ajimi, Vers la ́ ́réforme islamique ́ ́, (http://oumma.com/Vers-la-reforme-islamique) (3)Claude Gilliot in Dictionnaire de l'Islam, Religion et civilisation, Encyclopedie Universalis, France, 2013 (4)Bidar Abdennour, Manifeste pour un islam européen, Le Monde, 14.02.2005 (5)Chebal Malek voir http://www.atlantico.fr/decryptage/islam-quelle-reforme-veut-on-malek-chebel-646074.html (6) idem (7)Bidar Abdennour, Manifeste pour un islam européen, Le Monde, 14.02.2005 (8) Chebal Malek, op.cit. (9)www.lesreligions.fr/articles/Islam-Reforme-illusoire.phpp (10) (11) (12) idem (13)www.imamsetrabbins.org/ public/deposit/pdf/Bencheikh.pdf (14)http://www.canal-u.tv/ video/universite_de_tous_les_savoirs/penser_l_islam_aujourd_hui_abdelmajid_charfi.3005 (15)idem (16)Annahl, 103 (17)www.lesreligions.fr/articles/Islam-Reforme-illusoire.php (18)Wikipedia (19)Diop Ismaila, «Islam et modernité chez Mohammed Abduh: Défi de son époque et enjeux contemporains», thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2009, p.22


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