« Ma mémoire se brouille et s'enfonce dans l'oubli Un rameau se propose d'écrire un temps de ma vie. » Lorsque jaillissent les complaintes d'une voix perturbée par les exils et les inquiétudes, quand au gré des haltes lointaines se dessine le regard des nostalgies, et lourdement s'élève une main traductrice des maux douloureux, le poète n'aspire guère aux rencontres fictives, celles qui alourdissent les mots des espoirs incertains. Le recueil de poèmes Le cri du cerisier de Nacéra Tolba inonde sa propre parole d'une interrogation permanente : celle d'une pause paisible dans le cours du temps humain. Ne point oublier, demeurer lucide et fidèle aux ancrages ancestraux, cette ville, Constantine, qui triomphe des lourdeurs et des insatisfactions: «O Constantine, réponds à mon appel je t'en prie ; Seule, je revis les moments que j'avais vécus. Un rêve nostalgique, que je refuse de partager. Quand je pense à toi, je m'invente des histoires pour me soulager.» Le partage des instants d'inquiétude n'est-il pas vécu comme un intense besoin d'échapper aux pesanteurs existentielles? L'âme tourmentée du poète tente une délivrance psychique dans cette extraordinaire opération d'aération par le mot, celui qui atténue toute cette faculté d'étouffement intérieur, de perturbation individuelle. Toutefois, la préface du journaliste B.Hamidechi influe ma démarche propre d'écriture, et lorsqu'il écrit: «Exercice parfait qui nous enchante et n'a pas besoin des grands gourous de la critique.» Au fait, l'art poétique n'a guère besoin de ces nombreuses lectures critiques, où le texte émotionnel de l'auteur se trouve décomposé en autant de sens, en autant de vecteurs signifiants. Pour ce critique, il n'y a guère de place pour de nombreuses approches dans Le cri du cerisier. Ne partageant guère cette appréciation qui s'apparente à mon jugement de valeur - car le rôle de la critique est justement de saisir les nombreux mécanismes sémantiques qui jalonnent le corps poétique - je m'efforce de ne point répondre à cette formule de la stagnation uniforme, et aussi d'inviter les nombreux critiques à énoncer leurs remarques particulières. Le poème est un large faisceau lumineux, celui d'une conscience individualisée, où le lecteur anonyme découvre souvent sa propre image réfractée sur les rives des émotions du poète: «J'écris pour toi des tendres vers les nuits angoissées. Je chanterais pour toi l'orientale symphonie.» Ce chant de Nacéra Tolba est-il exclusivement l'émanation de sa propre musique intérieure, ou bien demeure-t-il un reflet de cette floraison extérieure, celle du mugissement pluriel de la vie? Et lorsque les difficultés de l'existence traversent l'épreuve individuelle, quant au détour d'un échec affectif se détruit cette espérance en une main tendue où les réverbérations lumineuses des certitudes s'effilochent dans l'inquiétude de l'aurore, car: «Les bonheurs, les rires s'enchaînent par des leurres ; Les angoisses, les peines se fondent par des pleurs. Et le plaisir démentiel nous engage vers le gouffre du malheur. Le paradis insolite reste au-delà de l'impitoyable ère. Il attend les cléments aux pénibles labeurs». Cette réalité amère décrite par Tolba n'est-elle pas un reflet des incertitudes existentielles ? Le pouvoir tranchant des mots est cette attente des compréhensions mutuelles, où la parole apaisante s'élargit dans l'infini horizon des clameurs verbales, où Le cri du cerisier ne serait guère un écho éphémère, ne traduisant qu'une furtive éclosion de beauté, brusquement évanouie dans la tiédeur stridente du silence. Ce chemin de la vie parsemé d'innombrables obstacles, où cette quête d'un instant de quiétude disparaît dans les lueurs incandescentes des égarements: «Quand le temps traîne sur la terre craquelée. La chaleur ravage les oasis dépeuplées. Je marche au fond de la nuit inachevée. Plus que le temps me paraissait.» Cette longue et éprouvante obscurité, où l'âme du poète erre sans référence aux mutations temporelles, n'est-elle pas le référent sémantique de la poésie de Nacéra Tolba? Cependant, des lueurs d'espoir éclaboussent le texte poétique d'une luminosité hésitante, mais où la conviction en une meilleure marche humaine apparaît: «Prions ! pour répondre à sa douleur. Et revoir l'eau du désir couler dans nos artères (...) Mais le futur serait encore charmant.» Ce futur n'est-il pas exprimé par le poème Maman? Un texte d'un présent fort limpide, d'une lecture aérée, où les outils de cette fameuse critique «critiquée» par Hamidechi ne serait que d'inutiles concepts non opératoires. Car le vrai sens de la mère demeure celui qui résonne dans le champ universel, comme une intonation incessante, où le murmure de la douce berceuse évite au Cri du cerisier de disparaître à l'aube des crépuscules: «J'aimerais offrir à maman. Les prémices du printemps. J'écris le nom de maman. Sur les cieux, les mers et les ruisseaux. J'écris le nom de maman. Avec l'encre de mon coeur ruisselant.» Ce recueil Le cri du cerisier a obtenu la médaille d'or au grand prix international de poésie, Marseille 1995. La parole poétique algérienne qui sillonne la planète n'est-elle pas une manière d'offrir à l'Algérie toute cette merveilleuse beauté des mots d'humanité, de paix et d'amour?