Dans ce témoignage, un journaliste algérien Youssef Zerarka (*), se souvient de Roger Hanin. Il se confie à L'Expression. Fils de Bab El Oued, j'ai longtemps caressé le rêve de rencontrer, un jour, Roger Hanin. Et pour cause! Le commissaire Navarro était un de mes comédiens préférés, mais il était, aussi et surtout, un «oulid el houma», un enfant de «BEO». C'est à la rue Mizon, au pied de la cité des Eucaluptus et du cimetière El Kettar, que le natif de la basse-Casbah a grandi et appris les rudiments de la vie. Mon rêve est devenu réalité au printemps 2000 au siège de Canal+. Correspondant de l'APS à Paris, j'ai été convié à une présentation presse de Là-bas... mon pays, le film d'Alexandre Arcady auquel a également collaboré - en qualité de conseiller historique - Benjamin Stora. C'est mon ami Dahmane Arkoub qui a «zyeuté» Navarro: «Oulid houmtek» est là, il est en discussion avec Antoine de Caunes (le journaliste Pierre Nivel dans le film). Nous avons patienté cinq petites minutes avant d'aller à la rencontre de Roger Hanin. Nous nous présentons: «Dahmane de Kouba! Youssef de Bab El Oued!». Navarro sourit et interroge: «Quel côté à Bab El Oued?» «Avenue de la Bouzaréah (colonel Lotfi), pas loin des Trois Horloges». Réplique du «commissaire»: «Ah, tu n'es pas loin de la rue Mizon!». Le temps d'un buffet express, nous le soumettons, Dahmane et moi, à quelques questions sur son vécu algérois et sur le regard qu'il porte sur l'Algérie à l'heure de la crise. D'emblée, il nous tacle gentiment en précisant qu'il ne se considère pas comme un «pied-noir». «Le vécu de ma famille remonte loin dans l'histoire de l'Algérie. Nous ne sommes pas venus en 1830», note Roger Hanin qui n'a jamais fait mystère de son inimitié pour les ultras de l'Algérie française. A l'écoute, depuis toujours, de l'actualité de la rive Sud, Roger Hanin parle du «bled» presque en connaissance de cause. Il analyse la situation comme s'il y était. «C'est malheureux ce qui s'y passe. Notre pays ne mérite pas ce qu'il endure.» Et le comédien de nous rappeler ses prises de positions en prenant à témoin les interviews et autres tribunes libres qu'il a publiées. Le regard de Navarro est à rebours de celui de nombre d'éditorialistes de l'Hexagone. Hasard de la couverture journalistique, je rencontre Roger Hanin une seconde fois, trois années plus tard, dans une célèbre salle parisienne. A l'affiche: un concert de Lili Boniche accompagné du pianiste Maurice El Medioni. Peu avant le début du spectacle, j'aborde Navarro sur le ton de la plaisanterie: «Alors, vous êtes venu en mélomane ou en voisin de Lili?». Réponse du tac au tac de Navarro: «Je suis venu en voisin et en amateur du châabi.» Navarro est un familier de Lili Boniche. Ils sont restés liés par une amitié nourrie par les sonorités musicales algéroises. Installé au premier rang face à Boniche, Roger Hanin s'installe dans le spectacle et succombe lorsque l'ami Lili entonne son texte préféré qui n'a rien d'un hymne «nostAlgérique» (dixit Boniche lui-même). Dans la salle, les youyous poussent et l'artiste «dit» son qcid en regardant Roger Hanin: «J'aime toutes les villes, un peu plus Paris... lakin machi comme l'Algérie... comme elle est belle nhabha f'lahbal...fine nkoum ma nensaha... Alger Alger, chhal n'habha!». * Journaliste de beIN Sports à Doha