De tirs d'obus en attentats-suicides, Boko Haram n'est plus seulement une menace extérieure ancrée au Nigeria, de l'autre côté de la frontière: les insurgés islamistes constituent désormais un péril intérieur. Pendant des années, «on pensait qu'on allait rester à l'abri de ça», confie Ibrahim Foukouri, un député de Diffa. C'est pourtant dans cette région du sud-est que le Niger subit depuis une semaine des opérations meurtrières de Boko Haram. Elle n'est séparée que par une rivière du nord-est du Nigeria, le fief des islamistes nigérians qui ont décrété un «califat» dans les zones conquises dans le sang ces derniers mois. Après les premières attaques venues du Nigeria, le ministre nigérien de la Défense, Mahamadou Karidjo, soulignait que «la position défensive» sur laquelle campent les forces nigériennes depuis fin 2014 - quelque 3000 soldats déployés du côté nigérien de la frontière - n'était «pas une bonne position». Il souhaitait que ses troupes puissent «franchir le pas». Sans surprise, il a été exaucé: le Parlement a autorisé lundi dernier à l'unanimité l'envoi de troupes nigériennes au Nigeria dans le cadre de la force régionale anti-insurgés. Et maintenant? «On attend le feu vert d'Abuja», explique un responsable gouvernemental. «Mais si (Boko Haram) continue à tirer sur nous, on pourrait passer la frontière pour sécuriser la zone», précise-t-il. Pas sûr, cependant, que traverser la rivière suffira à protéger la région de Diffa, à l'ouest du lac Tchad: les dernières attaques montrent que des islamistes armés sont présents sur le sol du Niger. Et les soupçons se portent sur de jeunes Nigériens ralliés à Boko Haram. Le président Mahamadou Issoufou l'a reconnu cette semaine, demandant aux jeunes, «notamment de la région de Diffa», «de ne pas céder à la sirène» de Boko Haram, et exhortant ceux qui s'y sont «déjà engagés» à «rebrousser chemin». «Maintenant, le ver est dans le fruit», s'alarme un acteur de la lutte contre l'extrémisme au Niger. Sous couvert d'anonymat, il s'inquiète aussi de l'afflux de milliers d'habitants de Diffa ayant fui ces derniers jours à Zinder, la deuxième ville du pays, à environ 400 km à l'ouest. «C'est peut-être une stratégie de Boko Haram: chasser tous ces gens pour gagner Zinder, via des combattants infiltrés parmi les déplacés. Ils rejoindraient sur place les cellules dormantes, qui sont prêtes à agir», juge-t-il. L'un d'entre eux, qui voyageait parmi des dizaines de déplacés apeurés, a ainsi été arrêté par les forces nigériennes alors qu'il transportait des explosifs entre les deux villes, a indiqué une source humanitaire. Selon des experts, la pénétration des islamistes radicaux dans une région comme Diffa a préparé le terrain à Boko Haram, à coups de messages téléchargés sur les téléphones portables, ou de discours sur des médias privés professant un islam d'inspiration wahhabite. Un mouvement s'opère du Niger vers le Nigeria, s'inquiète le député Fakouri, évoquant «cette vague de jeunes gens, des filles et des garçons, qui vont de l'autre côté». Cet opposant faisait partie des députés locaux qui, en décembre dernier, avaient mis en garde sur le nombre croissant de jeunes Nigériens qui viendraient grossir les rangs de Boko Haram. Une circulation d'autant plus aisée que les mêmes communautés, parlant une même langue (le kanouri), vivent de part et d'autre de la frontière et commercent depuis toujours: «c'est la même famille», «une même région», insiste l'élu. Boko Haram a aussi prospéré sur les faiblesses de la région nigérienne proche du lac Tchad. «Il n'y a pas une politique de distribution des richesses», tonne Souley Adji, professeur de sciences politiques à l'université de Niamey.