Traçant les portraits et le parcours de Boussouf, Messaoud Zeghar ou Mostefa Benaouda, parmi quelques autres figures du Malg, l'auteur écorche la thèse de Fethy Dib... Premier témoignage vécu des origines du Malg (ministère de l'Armement et des Liaisons générales), l'ouvrage de Abderrahmane Berrouane dit Saphar, paru aux éditions Barzakh, est d'abord et surtout un vibrant hommage à son compagnon, Abdelhafih Boussouf, Si Mabrouk, architecte incontestable et incontesté des transmissions et des services spéciaux algériens aussi bien sous l'étiquette du Mlgc (ministère des Liaisons générales et des communications) que du Malg, par après. Rares sont les «Malgaches», surnom des membres de ce fameux département, qui ont livré des témoignages écrits sur l'épopée qu'ils ont vécue et ne serait-ce qu'à ce titre, ce livre constitue un véritable trésor sur une époque éminemment cruciale pour la Révolution algérienne. Né en 1229 à Relizane, l'auteur qui, étudiant à Toulouse, a rejoint la wilaya V en 1956 fut chargé par Boussouf, deux ans plus tard, de la direction de la vigilance et du contre-renseignement. Relatant sa période d'apprentissage des transmissions dans un chapitre intitulé «la Genèse», il nous apprend que le FLN qui diffusait, à l'époque, des tracts spécialement destinés à une certaine catégorie de l'armée française, avait accueilli un certain nombre de légionnaires déserteurs, notamment allemands, et que la période de stage se déroulait «dans une certaine frustration» pour de jeunes gens convaincus d'aller au front. Mais la stratégie de Si Mabrouk «qu'on peut qualifier de visionnaire» allait vite s'avérer édifiante quand le «problème capital, fondamental, de la communication entre tous les responsables de la Révolution allait pouvoir être solutionné par des liaisons radio chiffrées». Les objectifs tracés par Boussouf furent atteints en quelques mois à peine, avec la mise en place d'un centre de formation modèle, le Citt ou centre d'instruction technique des transmissions, qui accueillit en février 1957 la deuxième promotion d'opérateurs chiffreurs baptisée «Larbi Ben M'hidi» en hommage au chef historique qui venait d'être assassiné par Aussaresses. Anecdote des plus symboliques, la communication établie entre Krim Belkacem, «émerveillé» et son ami et frère de combat Ouamrane indique l'importance d'un outil vital pour le combat dans toutes ses composantes. Boussouf, toujours attentif aux idées de ses collaborateurs, souscrivit à l'idée de Abderrahmane Berrouane de développer le service des écoutes et à celle de Laroussi Khelifa de créer une Ecole de formation des cadres de la révolution. La naissance du Service de renseignement et de liaisons du commandement général de la Wilaya d'Oran, avec ses trois sections spécialisées (militaire, politique et technico-cartographique) permit de mieux canaliser l'information alors que Boussouf, devenu ministre du Gpra, était appelé au Caire et remplacé par Houari Boumediene comme colonel de la Wilaya V. Et c'est donc au Caire où il fut reçu par Boussouf, avec d'autres compagnons, que Saphar fut chargé de la nouvelle Dvcr, «chargée de débusquer les taupes et de les neutraliser». Multipliant les évocations des étapes d'organisation et développement des structures du futur Etat algérien, l'auteur indique comment la création de l'APS (Algérie Presse Service), un 9 janvier 1959, «a découlé de l'évolution logique et constante de l'organisation du Malg» et son avènement est «à l'actif de Si Mabrouk». Concluant la genèse de cet ouvrage, l'auteur indique, par-delà une certaine amertume, que le Malg a donné «à l'Algérie indépendante huit généraux, 65 colonels, deux chefs de gouvernements, 19 walis, 37 ambassadeurs et de très nombreux P-DG et DG d'entreprises nationales alors que le plus grand nombre fut dispersé au gré de vents contraires. Traçant les portraits et le parcours de Boussouf, Messaoud Zeghar ou Mostefa Benaouda, parmi quelques autres figures du Malg, l'auteur écorche la thèse de Fethy Dib sur le suicide de Amira Allaoua à l'origine du transfert du siège du Gpra à Tunis, indiquant au passage le rôle néfaste de ce second couteau des services égyptiens alors dirigés par le général Izzet Souleyman. Tout comme il démystifie le complot de la «bleuite» concocté par le tandem Léger - Godard dans lequel tomba Amirouche et qui visait l'élimination des jeunes diplômés de la Wilaya III historique désignés comme traîtres. Et de conclure avec l'épisode Mohamed Harbi, neveu de Ali Kafi, soupçonné de porter atteinte au moral des troupes et menacé de la peine de mort n'eût été l'intervention sourcée de Abdelhafidh Boussouf qui le lava de cette accusation. Ouvrage truffé d'anecdotes et de détails peu courants, conférant à la révolution sa véritable dimension humaine, le témoignage de Abderrahmane Berrouane brode une variante singulière dans la trame complexe et opaque de la lutte armée dont on comprend un peu mieux les ressorts et les soubresauts qui n'ont pas manqué d'influer dramatiquement sur le devenir de l'Algérie indépendante. * Paru aux éditions Barzakh