Quand le pédagogue est passionné d'histoire de son pays, il éduque et instruit. Il dispense à la jeune génération l'enseignement essentiel: celui de l'amour de la patrie. Aussi, à la suite de la publication de son magnifique ouvrage La Résistance à l'occupation dans la région de Miliana (1830-1843) (*), m'est-il agréable d'évoquer et de rendre hommage ici à une personnalité marquante de l'Education nationale, estimée et respectée, notre très regretté el hâdj Ahmed Benblidia (Miliana, 31 mai 1901-Birkhadem / Alger, 1er juillet1988). Un pédagogue nationaliste C'était un homme de culture et de raison, un enseignant paisible et plein d'esprit et autant d'humour, un discret éducateur nationaliste éclairé de nombreux jeunes élèves algériens auxquels il accordait un égal et vif intérêt et dont plusieurs sont de glorieux chouhadâ, tel Ahmed Bougara dit Colonel Sî M'hamed et dont beaucoup sont des militants et des moudjâhidîne qui se souviennent de l'instituteur ou du directeur d'école qu'il fut. En effet, Ahmed Benblidia a, très jeune, exercé son métier d'instituteur, la toute première fois, à Sidali Kassem (?), un petit village en Oranie, puis à Aïn Cherkh (?). On note qu'il a enseigné, par exemple, à El Khemis Miliana, à Miliana (vers 1920, à l'école indigène Kelkouli dont les élèves ont obtenu un prix lors de la traditionnelle fête des fleurs), à Médéa (1940), à Alger (1951), rue du Soudan (Basse-Casbah), boulevard Lutaud (Champ-de-manoeuvre), à Birkhadem (1961-1962), directeur du Collège d'Enseignement Général (CEG). Bilingue (français et arabe), en plus de ses brillantes études primaires et secondaires dans sa ville natale et de sa formation à l'Ecole normale de Miliana (créée plus tard, après celle d'Alger-Bouzaréah qui date de 1865), il était pourvu du diplôme du Brevet d'arabe qui, institué à l'époque coloniale, était très convoité et très difficile à obtenir, évidemment par les étudiants indigènes à cause des conditions strictes de préparations imposées par le système éducatif colonial en Algérie. L'«historique» du «brevet d'arabe» mériterait un développement spécifique, par ailleurs... Quant à moi, j'ai connu notre regretté El hâdj Ahmed Benblidia à la rentrée scolaire d'octobre 1961 au CEG de Birkhadem, où j'enseignais le français depuis la rentrée scolaire d'octobre 1960. J'étais alors le seul enseignant algérien dans cet établissement qui comprenait des classes primaires et des classes du premier cycle du secondaire, le CEG. Ahmed Benblidia avait remplacé le directeur Logel. Et très vite, je m'étais trouvé en compagnie d'un frère aîné, aux attentions riches en amitiés et en complets rapports professionnels, et à la bienveillance toute paternelle. Il connaissait ma famille et il m'apprit qu'il avait eu, en d'autre temps, un excellent ami, hélas! décédé depuis près de trente ans, mon très regretté beau-père Mahmoud Khodjet El Djeld, alors cadi à Orléansville et il ne tarissait pas de me faire l'éloge de ses qualités intellectuelles, fraternelles et particulièrement nationalistes. Il appelait «ma fille», mon épouse, et souvent après les classes de l'après-midi, il cueillait une fleur dans le jardinet de son logement de fonction de directeur et montait au premier étage pour la lui offrir et prendre avec nous ce que l'on appelle «qahwat el-açr, le café de l'après-midi»... Une anecdote! Un jour que je recevais dans ma classe la visite de M.Wurceldorf, un inspecteur français de l'éducation (nous étions au début du mois de février 1962), et que celui-ci me félicitait de mon bon travail et m'exprimait aussi soudainement son intérêt pour ma première oeuvre littéraire La Dévoilée (préface d'Emmanuel Roblès et appréciation d'Albert Camus) publiée en France (1959) et se trouvant en librairie à Alger, mon directeur Ahmed Benblidia se tourna vers moi en souriant et murmurant: «Oh! le cachottier! Je ne savais pas que tu étais écrivain!». L'inspecteur souffla: «On ne peut pas toujours tout savoir.» Sî Ahmed Benblidia m'enlaça affectueusement avec toute la force de ses bras, et si j'ose dire, il m'a définitivement adopté comme son jeune et grand ami. J'ai de nombreuses anecdotes sur l'affection qu'il m'avait accordée. Pendant la terrible période de l'OAS, sévissant à Birkhadem, lui et moi, échangions nos modes de précautions à l'intérieur de l'établissement... Et dès le 2 juillet 1962, il m'a demandé d'aller, lui et moi dans ma voiture, au centre-ville d'Alger afin de participer à la liesse populaire fêtant les prémices de l'indépendance. Le mois suivant, Ahmed Benblidia était à la retraite et recevait chez lui quelques-uns de ses anciens élèves. Pendant quelque temps, il aidait à organiser les services de l'APC de Birkhadem. Peu après, il était rappelé à l'Education nationale pour être chargé de l'Inspection Académique d'Alger. Par la suite, le Ministère lui confiait la direction des Enseignements puis, jusqu'en 1980, une mission de conseiller. Des leçons d'histoire J'en arrive, tout en faisant mes excuses à mes lecteurs d'avoir été long, à la pertinente initiative de Mohammed Benblidia de publier, en dépit de nombreuses difficultés inhérentes à l'élaboration et à la fabrication, lui agissant et aidé de sa fratrie (dont Ennadji et son épouse) et des amis, de l'ouvrage en question: La Résistance à l'occupation dans la région de Miliana (1831-1843) d'Ahmed Benblidia. Et douce surprise, voici, me dis-je, tout ravi, qu'el hâdj Ahmed Benblidia était tout aussi cachottier que moi! Il ne m'avait jamais parlé de son intention d'écrire le présent livre. Il s'agit donc d'un labeur soigné assuré par El Kalima éditions, composé, en interaction de textes et d'images (icônes, photos, peintures, cartes, références, bibliographie, diverses listes importantes, recherches ethnographiques et archéologiques,...), en format album (21x30 cm) avec une jaquette de qualité. Dans sa courte mais judicieuse préface, son fils Mohammed nous apprend: «Il y a bientôt quarante ans que ce livre écrit par notre père Cheikh Ahmed Benblidia sur l'histoire de la résistance dans la région de Miliana à l'occupation française, aurait dû être imprimé et publié. [...] Et c'est grâce, en particulier, à l'insistance et à la pugnacité de l'une d'entre nous, que nous atteignons notre but. [...] Dans ce livre qu'il qualifie lui-même d'essai, le cheikh Ahmed Benblidia reconstitue l'histoire ordonnée d'une ville et de sa région durant une décennie de guerre contre les armées de Valée et de Bugeaud. Il s'est appuyé d'abord sur des documents écrits, des annales, des correspondances des belligérants ou témoins de l'époque, des recherches à la Bibliothèque nationale ou aux archives d'Aix... mais aussi sur ce qu'il appelle l'histoire vraie, la tradition orale, plus précisément sur les souvenirs des habitants de Miliana, et même sur des témoignages émouvants qu'il avait recueillis, tout jeune, auprès de vielles personnes ayant vécu certains des événements dramatiques de l'époque. [...] Ce livre redonne la parole à notre père pour nous dire encore ce que furent le courage des Algériens, et des habitants de Miliana et des régions avoisinantes, leurs contributions et leurs sacrifices pour résister à l'envahisseur et vivre libres!» Et ce que furent les crimes contre les populations de Miliana et de sa région, organisés par les chefs de guerre français, entre autres, les maréchaux de France Valée et Bugeaud avec sa cynique devise: «Ense et aratro, par l'épée et par la charrue.» Dans son avant-propos, l'auteur Ahmed Benblidia avise, non en historien professionnel, mais en pédagogue averti, qu'il nous propose un travail personnel, un essai, soit donc humblement une tentative réussie, une longue réflexion sur l'histoire de sa région qu'il aimait et qu'il connaissait. Et c'est tout en son honneur d'homme de conscience d'en parler avec le langage du coeur et de la raison historienne, se fondant sur les faits datés pour mieux éclairer la vérité historique: «L'histoire telle qu'on l'enseigne jusqu'en 1962 dans les écoles d'Algérie, faisait bonne place aux chapitres relatifs à la conquête de notre pays par la France. [...] À en croire les moins discrets [Manuels et enseignants], l'expédition de 1830 aurait été comme une grâce céleste, un événement providentiel tout au moins pour le bonheur des populations algériennes qui se trouvaient, disaient-ils, en plein chaos économique, social, intellectuel et moral. [...] En attendant que l'ouvrage que nous appelons de nos voeux voie le jour, [...] nous proposons [...] un petit essai limité à la région de Miliana.» Quant à nous, nous pénétrons à pas feutrés et respectueux dans l'histoire de la résistance à l'occupation dans la région de Miliana. C'est un travail sérieux, dense, fiche après fiche technique et pédagogique, des préparations de leçons d'histoire, documents à l'appui. Il suffit de lire, de savoir lire et de comprendre. On découvre aisément la résistance des courageux guerriers de l'armée populaire de la région de Miliana, sous la direction de l'émir Abdelkader et de ses lieutenants. On découvre aussi la cité antique et celle qui faisait partie du territoire de la tribu berbère des Maghraoua, Miliana et ses traditions, ses saints et ses musées, ses populations et ses personnalités et ses quartiers (dont la fameuse «Pointe des blagueurs»). Lisons: 1- Caractéristiques de la région. 2- Sid-Ali El Khelladi. 3- El Hâdj Mahieddine Es-Segheir. 4- Mohammed Ben Allel, Ould Sidi Ali Embarek. 5- Rupture de la paix de la Tafna. 6- Occupation de la ville de Miliana. 7- La situation se dégrade. 8- Les atrocités contre la population civile du Zaccar. Incontestablement, l'ouvrage La Résistance à l'occupation dans la région de Miliana (1830-1843) d'Ahmed Benblidia est un travail de grand pédagogue féru d'histoire de sa ville natale, rédigé avec un style simple et efficace, loin des fioritures amphigouriques de certains «spécialistes» de l'histoire de l'Algérie. Et comme en classe, un bon point d'encouragement pour El Kalima Editions! (*) La Résistance à l'occupation dans la région de Miliana (1830-1843) d'Ahmed Benblidia. El Kalima Editions, Alger, 2013, 212 pages.