«Bien sûr, les cercueils ne sont pas taillés sur mesure; mais les morts s'adaptent à tout.» François Caradec Pendant des mois, on nous a rabattu les oreilles avec une imminence d'une révision constitutionnelle dont seuls les partisans de la politique politicienne revendiquent la nécessité. Cependant, le citoyen moyen qui se débat chaque jour dans ses problèmes quotidiens avec pour fond sonore les échos des affaires de détournements publics, se demande si cette rumeur de révision n'est qu'un leurre pour lui faire tourner la tête ou détourner son attention fixée sur l'escalade des prix... c'est le moment de se remettre en mémoire cette série de films hollywoodiens (à Hollywood, quand le numéro un marche, on s'empresse toujours de lui fourguer une suite, puis un troisième...jusqu'à épuisement du filon et à la lassitude des spectateurs) habilement tressés par des scénaristes habitués au fantastique et au merveilleux: c'est l'histoire d'un jeune homme qui se réveille un matin et toute la journée il est poursuivi par les coups du sort assénés par une fatalité de laquelle le jeune héros parvient toujours à se tirer pour le plus grand soulagement des spectateurs sensibles et des producteurs intéressés. Il s'endort et au réveil, le cauchemar reprend et la même journée vécue la veille s'annonce terriblement de la même façon pour le jeune héros qui arrive tout de même à changer un détail significatif. Une journée sans fin est le titre de ce cauchemar récurrent. C'est ce genre d'histoire que semble connaître le peuple algérien, depuis qu'une certaine «élite» a décidé de son incapacité à décider lui-même de son sort. A chaque crise politique que connaît le régime, un texte fondamental, véritable deus ex machina, sort du chapeau du prestidigitateur qui le fait aussitôt plébisciter par un corps électoral qui va découvrir des vertus merveilleuses dans un texte que la prochaine crise renverra aux poubelles de l'Histoire. Rappelez-vous de la première et unique Assemblée constituante algérienne: en 1963, elle désigna une commission pour rédiger le texte fondamental qui devait réconcilier tous les Algériens après l'échec du congrès de Tripoli et l'été de la discorde. Mal leur en prit aux rédacteurs: ils eurent la surprise de voir sortir des laboratoires du Nil (c'est ce que l'on raconte du moins) un texte préparé en catimini par le duo Boumediene-Ben Bella avec le concours de juristes égyptiens inspirés par le centralisme démocratique des pays de l'Est et par le nassérisme en vogue à l'époque. Cette Constitution faisait du secrétaire général du FLN le candidat unique à l'élection présidentielle. Tous les pouvoirs émanaient du parti unique. Le président, possédant les deux casquettes, avait des pouvoirs exorbitants. C'est ce que le juriste français appelait «le serpent qui se mord la queue»: le président de la République était l'alpha et l'oméga du système constitutionnel. Sous le coup de la colère et de l'indignation, ce président de l'Assemblée, Ferhat Abbas, démissionna et Aït Ahmed préféra sortir dans l'opposition armée. On connaît la suite: Ferhat Abbas fut assigné à résidence dans le Sud profond et Aït Ahmed fut fait prisonnier dans un maquis de la Kabylie. Le texte adopté par un peuple qui avait crié «Sbaâ snin, barakat», fut suspendu deux années plus tard par le coup d'Etat du 19 juin et l'Algérie fut dirigée par le régime de l'exception et des ordonnances jusqu'en 1976, année où Boumediene, arrivé à l'apogée de son règne, se fit voter une Constitution sur mesure qui ressemblait à celle de 1963 et consacrait le caractère présidentialiste du régime.