En survolant la région du M'zab, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pleine de reconnaissance pour mon ami Djillali Sari. N'est-ce pas lui qui égrène sempiternellement que de toutes les régions jouissant d'une notoriété bien établie, assurément, c'est cette vallée qui fait l'unanimité des connaisseurs. C'est elle qui demeure la plus appréciée, la plus prisée et la plus recherchée. La plus fascinante et la plus envoûtante, serais-je tenté de renchérir. Pareille destinée, se plaît à clamer la même source, la vallée du M'zab la doit avant tout à l'ingéniosité de ses créateurs, les bâtisseurs anonymes de la pentapole. Il faut qu'elle soit particulièrement attachante, soutient pour sa part Claude Pavard un auteur particulièrement ébloui par ses lumières, pour que les Mozabites y reviennent toujours comme le saumon qui remonte aux sources de sa naissance. Il faut qu'elle recèle une magie bien forte pour que des sentiments aussi puissants l'entourent depuis dix siècles. Il faut que la réalité rejoigne la légende pour que ce miracle de pérennité survive malgré les guerres, malgré les crises, l'usure du temps. Et ce ne sont pas les faux-barrages imposés par quelques réfractaires qui auront raison de la détermination d'une communauté soucieuse de profiter de la douceur du printemps pour grimper dans les palmiers femelles pour y répandre le pollen des palmiers mâles. Les calottes blanches qui leur recouvrent le chef en toutes saisons, souligne l'auteur de Lumières du M'zab, constellent les palmes vertes. Chèvrefeuille et jasmin enivrent à nouveau et toujours, le soir, les centaines de cours intérieures, rougeoient doucement au flanc des cités dominées par la lumière du minaret, âmes des familles, âme du M'zab. D'El Atteuf plus que millénaire à Berriane, en passant par Melika et l'incontournable Ghardaïa où la nature est en état de grâce et le ciel céruléen, de Béni Izguen à Bounoura sans oublier la réformiste Guerara, le commun des mortels découvre ce que le génie des hommes est capable de produire quand il est porté par une foi ardente. Une foi irréfragable irriguée, s'il est permis de s'exprimer ainsi, par un idéal, une spiritualité, une doctrine théologique, un art de vivre, un modèle de société: l'Islam. L'ibadisme pour ne pas le désigner qui stipule que la religion doit être continuellement vivifiée par la foi, les oeuvres et la pureté des consciences, que tous les croyants sont égaux. André Ravereau n'avait-il pas écrit dans Le M'zab une leçon d'architecture que la beauté d'une forme vient des forces conciliées pour la produire. Au M'zab, les formes concilient toutes les forces sociales et techniques. L'équilibre de la société elle-même s'y exprime; l'unité, l'égalité sociale, religieuse, d'après la foi. Ainsi, toutes les maisons ont la même hauteur, pareille à la mosquée. C'est cette foi inextinguible qui déterminera aussi des prises de position insondables que les Mozabites sauront mettre au service de la cause nationale. Témoin le lourd tribut payé par les ibadites lorsque la ville d'Alger fut assiégée en 1541 par la flotte chrétienne conduite par Charles Quint et dès le 18 juin 1830 à Staouéli au moment de l'invasion française. De nombreux Mozabites sont tombés au champ d'honneur durant ces deux périodes alors que bien d'autres connaîtront, tout au long de la guerre de Libération nationale, les affres des geôles et les exécutions sommaires. Mais qui a dit que cette communauté ne s'est jamais impliquée dans la défense et la sauvegarde de la souveraineté nationale?