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Le drame du M'zab nous interpelle tous
Publié dans Liberté le 12 - 08 - 2014

Gravissime est ce drame perdurant depuis neuf mois dans un double contexte, intra et extra territorial déstabilisant. Nullement fortuit est le réveil brutal de vieux démons mettant en cause bien des certitudes et d'acquis ! Avec des conséquences prévisibles incalculables, faute d'une volonté inébranlable d'élimination des racines de la fitna ! Sereinement, qu'on en juge au vu de l'interaction de facteurs déterminants tant sociohistoriques et culturels que démo-économiques dans un écosystème des plus fragiles...
Les bâtisseurs d'une vallée des plus inhospitalières en paradis terrestre
Jusqu'à l'orée du 2e millénaire, la chebka du Msab, terra incognita... n'était qu'un désert aride à hyperaride. C'est par leur foi et profonde conviction, suivant leurs principes égalitaires, que les ibadites, issus du premier Etat post-Numidie, l'Etat de Tahert, la matrice de l'Etat algérien musulman, que cette contrée a été transformée en terre paradisiaque. Par excellence, le chef-d'œuvre d'une ingénierie d'hydraulique sans hydrauliciens, d'architectes sans architectes et d'urbanisme sans urbanistes... Bel et bien l'architecture qui a subjugué les maîtres de renom du XXe siècle, tels Le Corbusier (1887-1965) ou F. L. Wright (1867-1959).
En somme, le modèle d'écodéveloppement avant la lettre, bien avant la conférence de Stockholm (1972) ou les recommandations du PNUD. D'autant que pour tout observateur avisé, c'est au cours des années 1980 que des symptômes sont apparus. De fait, en 1982, prémonitoire, a été le classement de la vallée au patrimoine universel, eu égard à la concomitance de phénomènes d'ordre tout aussi bien naturel que démo-urbanistique qui auraient dû s'accompagner, impérativement, par le réaménagement rationnel de la vallée afin de juguler la conurbation en puissance de Ghardaïa.
Des crues exceptionnelles de 1994 à celles centenaires d'octobre 2008
Des crues exceptionnelles sont intervenues notamment celles du 29 au 30 septembre 1994 avec un pic estimé à 1120 m3, à l'origine de dégâts considérables suite aux écoulements parvenus jusqu'à la sebkha Safioune. D'autres sont survenues du 19 au 20 janvier 2004 avec des hauteurs de 49 mm relevées en 48 heures, puis le 15 avril avec une hauteur de 38,8 mm, de nouveau durant la nuit du mardi à mercredi, le 16 juin, avec 31,1 mm dont 23,4 mm en moins d'une heure, d'où une tornade recouvrant la commune de Daya Ben Dahoua sise à 20 km de Ghardaïa (données ONS). Cependant, pas de comparaison avec les crues d'octobre 2008, qualifiées de tsunami fluvial, accompagnées de violents orages. Les inondations ont débuté lundi 30 septembre 2008, après quatre années de sécheresse. Coïncidant avec la fin du mois de Ramadhan, le 1er octobre a été marqué par des précipitations diluviennes de... 150 mm en 1 heure en provoquant le débordement de tous les oueds de la vallée, alors que d'habitude seul l'oued éponyme de la vallée déborde sans mettre en danger la vie des habitants. Une première, selon les octogénaires consultés sur le terrain en 2011. Un bilan des plus lourds, compte tenu de l'ampleur des dégâts matériels avec des pertes humaines estimées à une centaine d'âmes... En tout état de cause, les conséquences auraient pu être limitées si chacune des cinq cités composant la pentapole était demeurée circonscrite à ses remparts et si la vallée avait été épargnée du foisonnement de constructions diverses, et si les lits des oueds n'étaient pas obstrués par les déchets ménagers et gravats... Est-ce pour autant une fatalité, sachant que l'intensité des précipitations avec leur grande irrégularité constituent la règle générale non l'exception, plus particulièrement à travers les zones subarides à hyperarides et que les moyens d'y pallier ne manquent pas. Les débordement de l'oued M'zab avec ceux de N'sa, Zegrir et Metlili résultent du déversement des eaux accumulées plus en amont, en provenance du violent ruissellement des versants méridionaux totalement dénudés de l'Atlas saharien, et recueillies en grande partie par l'oued El-Abiod, le trop-plein se déversant directement dans l'oued M'zab. Les travaux d'endiguement auraient dû s'achever à temps... En fait, l'impératif s'imposant à travers nombre de villes et localités du Nord !
La surdensification de la vallée
Plus que les données statistiques traduisant la forte croissance démographique résultant simultanément du croît naturel et de l'exode rural, le terrain en soi constitue une référence incontournable ! C'est ainsi que par rapport à la décennie 1980, précisément celle du déclenchement de perturbations mettant en cause l'occupation traditionnelle de la vallée, la différence est parlante, criante. Stupéfiante ! Effectivement, partout, de près ou de loin, s'observe la cassure, la rupture avec l'ordre l'harmonieux d'antan de la pentapole et son environnement naguère réservé exclusivement aux cultures irriguées souvent étagées. Désormais, face à la mythique Ghardaïa qu'attestaient les posters ornant les devantures des agences de voyages, toutes ses anciennes terres sont densifiées anarchiquement par l'habitat, les commerces et divers services, suite à sa fonction de chef-lieu de wilaya. Au lieu de leur implantation en dehors de la vallée, là où l'espace constructible est largement disponible.
Aussi l'activité agricole à l'origine même de la vivification de la mythique vallée est-elle réduite à sa plus simple expression... à des traces de palmiers proches de Mélika, que E. Masqueay qualifiait de "forêt" aux années 1880, ceux de Bounoura et El-Atteuf sont en grande partie gagnées par le béton. Partout, la surdensification des constructions s'observe jusqu'aux berges des oueds aux lits tapissés de mares d'eau glauques, source de graves pathogènes non étrangers au paludisme dûment déclaré récemment...
Autant de phénomènes affectant la nappe phréatique, suite à la consommation excessive de ses ressources à bon prix. Partout des nuisances révélatrices d'une sursaturation de la vallée, d'un surpeuplement avec son corollaire, l'urbanisation anarchique, aux conséquences multiformes agressant sans cesse l'environnement non avec de redoutables retombées aux différents plans...
Tout en ne permettant pas de cerner l'évolution en fonction à la fois des origines et des catégories socioprofessionnelles des habitants, les derniers recensements de la population de 1977, 1987,1998 et 2008 sont édifiants à tous les égards. Il en est ainsi de l'avant-dernier, davantage du dernier, soit une croissance de 2,61% contre 2,42% pour la wilaya, et 1,92%. au niveau national. Plus édifiant sera le prochain devant intervenir en 2018.
La conurbation de Ghardaïa au détriment de sa vocation touristique...
Même en s'étendant allégrement sur la RN 1 faute de place à travers la vallée, Ghardaïa se confond pratiquement avec Mélika, Bounoura, Béni Isguen et El-Atteuf.
Une conurbation sursaturée, "s'étouffant" dans un espace exigu, car la croissance par rapport aux autres communes sises à l'extérieur de la vallée est relativement faible en 2008, soit 1,13% contre respectivement 2,02% et 2,09% pour Berriane et Guerara, deux autres cités ibadites éloignées de la pentapole, la première sur la RN 1, d'où sont parties les premières flammes. Quant aux taux d'urbanisation tendant à s'approcher sensiblement de 100%, ils ne masquent pas moins la faiblesse d'insertion avec des retombées incalculables durant ces neuf derniers mois de destructions et de vandalisme.
S'agissant de Ghardaïa, chef-lieu de la wilaya depuis 1974, elle confirme bien la sursaturation. Alors qu'elle ne comptait que 14 075 habitants en 1954, puis sûrement bien plus en 1966 et en 1977. Postérieurement, même si les données englobent la pentapole, elles sont édifiantes sous tous les égards (tableau). C'est ainsi qu'en accusant 58,2% en 1998 la densification hors des remparts s'est donc généralisée, plus particulièrement pour ce qui est de Ghardaïa, du reste, perceptibles sur le terrain dès 1982, en s'essoufflant faute d'espace suivant le faible taux de 2008, soit 11,6% contre 58,2% en 1998 et 22,2% en 1987. Des bouleversements de fond en comble qui auraient dû se traduire par une "urbanisation éclatée" conformément aux recommandations formulées officiellement quoique tardivement, en 1998, mais sans effet sur le terrain, tandis qu'un nouveau ksar a été initié et mis en chantier par les ibadites.
Tafilelt : la ville du XXIe siècle
Contrairement à la dilapidation de dizaines de milliers de terres arables à travers le Tell, Tafilelt, s'est poursuivie sans la destruction d'aucun palmier ni d'aucune micro-parcelle cultivable. A merveille, en recouvrant l'escarpement de pierrailles totalement calcinées surplombant la sacro-sainte Béni Isguen, la symbolique autant de la foi que d'ingéniosité légendaire des Mozabites.
Effectivement, tout en épousant parfaitement son site, Tafilelt s'est affranchie totalement des dédales de venelles par l'étagement régulier des constructions entrecoupées régulièrement de voies rectilignes, toutes parallèles suivant les courbes de niveaux. Si certaines sont suffisamment larges pour fluidifier la circulation, d'autres le sont moins pour préserver l'intimité des riverains.
Inaugurée en 2004 par le chef de l'Etat, soit quatre années avant les crues centenaires d'octobre 2008, Tafilelt a vaincu aisément le tsunami fluvial... contrairement à la pentapole, transformée en radeau flottant... Assurément, point de miracle ! Ce rendez-vous avec le IIIe millénaire exprime la sagesse légendaire de ses de ses bâtisseurs, leur ouverture sur le monde extérieur tout au long du XXe siècle, tour à tour suite à l'adhésion à la Nahda avant même l' arrivée de cheikh Mohamed Abou à Alger, en août 1903, l' innovation pédagogique dispensée par l'Institut de cheikh Bayoud (1888-1973) , le fervent défenseur du Sahara algérien, à la création de la presse engagée par le téméraire Abou Yagdân (1899-1981)..., à la composition de l'hymne national par Moufdi (1908-1977), beaucoup plus aussi à l'adoption des pratiques managériales, excellemment illustrées par l'agro-industriel et authentique mécène feu H. Y. dans les années 1980 suivant le témoignage du Pr Messaoud Djennas (2006). Précisément, l'agro-industriel qui livrait le fromage à Alger, produit au sein de ses étables implantés au M'zab, nullement à partir de la poudre largement subventionnée par les pouvoirs publics.
Conclusion
Point de fatalisme, ni d'évènements fortuits et inexplicables, à la lumière de l'approche mettant en évidence l'interaction de facteurs déterminants parvenus, à force tout aussi bien de foi que de conviction profonde que d'abnégation persévérante multiséculaire à transformer la chebka du M'zab aride à hyperaride en une vallée paradisiaque, à merveille classée, en 1982, patrimoine mondial. Précisément, l'heureux évènement qui aurait dû inciter les pouvoirs publics à agir en conséquence, à préserver coûte que coûte l'éco - système fragile. D'autant que c'est, en 1974, que Ghardaïa est devenue chef-lieu de wilaya, et que, rapidement, elle allait absorber tôt ou tard des dernières terres de la vallée en précipitant l'irréversible : la sursaturation de la pentapole, inexorablement la conurbation de Ghardaïa, en concomitance, de plus en plus aggravée par d'autres phénomènes contingents, cycliques, des crues survenues tout aussi bien en 1994 et 2004, qu'en 2008... Des effets certes catastrophiques mais n'auraient-ils pas été réduits sensiblement si tout a été mis en œuvre, à temps, pour endiguer des eaux de l'oued El Abiod se déversant sur l'oued M'zab ? Or, même le plan initié en 1998 par le ministère de tutelle n'a pas eu de suite alors qu'il recommandait, à juste titre, "l'urbanisation éclatée", et que pour leur part, les bâtisseurs-créateurs de la pentapole, tirant les enseignements des inondations, dès 1994, réalisaient Tafilelt, du reste inauguré par le chef d' Etat, en 2004 et qu'à cette date comme en 2008, la nouvelle n'a pas été affectée. Par excellence, l'illustration éclatante de l'auto-développement local qui aurait pu limiter grandement les effets des crues de 2004 avec celles de 2008, au grand dam des apprentis sorciers en connivence avec d'autres forces, occultes, qui ont jeté l'huile sur le feu exploitant ainsi les moindres brèches, ici et là, à différents niveaux ! Comment peut-on se passer de la participation active et citoyenne des Mozabites, de leur ingéniosité légendaire ? Ces authentiques créateurs d'une deuxième révolution urbanistique, dans le silence et l'efficience ! Ces maîtres d'œuvre et réalisateurs de chefs d'œuvre, partie intégrante du patrimoine tant national que mondial ! Ces mêmes bâtisseurs ne revendiquant dans le feu et le sang que l'application implacable de leur droit à la vie et la sauvegarde de leurs biens conformément aux droits institutionnels de la République ! D'autant que les Mozabites n'ont jamais été ni autonomistes ni scissionnistes ! Que le tout sécuritaire, condition nécessaire mais nullement suffisante, pourrait-il se poursuivre sans identification des manipulateurs toujours actifs mais tapis dans la pénombre ?
Références
Djennas M. (2006) : Vivre c'est croire, Mémoires (1925-1991), Alger, Kasbah, 556 p.
Ministère de l'Equipement et de l'Aménagement du territoire (1998) : Les villes du Sud dans la vision du développement durable, p.97-1007
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