«Dites au monde entier qu'il cesse de nous envoyer tous ces avions ! Puisque nous n'avons rien reçu ! Puisque nous n'avons rien vu et que nous n'aurons rien !» C'est une autre mort qu'on leur «propose». Une mort par facilité. A petit feu. Sans faire trop de bruit. Juste crever de faim. De froid aussi. De maladie. A défaut d'être emporté par une crise de qontta, cette colère sourde et ulcéreuse qui fait vibrer les Trois-Horloges, Triolet, Frais-Vallon, Bouzaréah... 17h40. Un jeune homme entre et annonce aux quelques centaines de femmes et d'enfants entassés dans le hall de l'APC: «C'est l'heure, vous pouvez manger!» Au loin retentissent les appels à la rupture du jeûne. Mais manger quoi? Ces familles entières, couchées sur des couvertures usées et nauséabondes, n'auront rien pour le f'tour. «Hamdoulillah, des voisins m'ont ramené un peu de chorba et quelques baguettes de pains», nous dit cette mère de famille, rescapée, comme la plupart des personnes ici, de la rue Rachid-Kouache. «Sinon qu'est ce que je vais donner à mes enfants?» Son bébé dort à poings fermés. Extenué par les pleurs de toute une journée. «Nous sommes ici abandonnés par tous, les bébés ici jeûnent comme les grands, mais pas pour les même raisons», nous apostrophe cette autre femme en hidjab noir. «Le premier jour du Ramadan, on a eu droit à des repas froids de Khalifa...à 22 h. Mais ce n'est pas une nourriture pour les bébés et les femmes enceintes!» Une autre nous montre une femme en djelleba noire: «Son bébé âgé de deux ans est mort hier, peut-être de typhoïde, voyez dans quelles conditions nous pourrissons depuis une semaine!» Une autre explose: «Et ces couvertures, ce sont des gens du quartier qui nous les ont ramenées. Regardez comment on vit ici!» Dans ce cercle de femmes, les propos fusent de partout, mais toujours la même douleur, la même humiliation, mais aussi cette combativité de lionne. «Les responsables de l'APC nous ont ordonné de dire, chaque fois que la presse vient nous voir, que tout va bien, ils nous ont menacés de ne plus nous aider», nous confie une autre mère «Comme s'ils nous avaient déjà aidés!»