Un ministre qui ne craint pas d'aller au charbon Le ministre des Affaires religieuses a osé. Il a pulvérisé cette chape de plomb maintenue sur un domaine qui concerne en premier lieu les scientifiques plus que les autorités religieuses. Il fallait déchirer cette camisole de l'ignorance. Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses, encore lui, l'a fait! S'exprimant hier, sur les ondes de la Radio nationale, Mohamed Aïssa a affirmé que l'observation du croissant lunaire annonçant le début du mois de Ramadhan pour l'année 2015, «aura lieu mercredi 29 Chaâbane 1436 de l'Hégire correspondant au 17 juin 2015 (aujourd'hui Ndlr)». C'est clair net et précis. Il n'y a plus de doute puisque le ministre se réfère à des données scientifiques: «Nous sommes carrément dans la référence prophéticale et les données scientifiques du Centre de recherche en astronomie astrophysique et géophysique (Craag)», a-t-il tranché relevant que cette année, il y a eu une divergence entre l'Algérie et le monde oriental. Pour ce dernier, c'était hier, mardi, la nuit du doute. «Nous savons par la donne scientifique que le croissant qui va naître réellement par la conjonction aujourd'hui à 15h 06 heure algérienne n'est pas visible ni à l'oeil nu ni par le télescope aussi moderne qu'il soit. Pour cela, les Orientaux vont continuer Chaâbane 30 jours et, par conséquent, le 1er jour du Ramadhan sera jeudi, 18 juin», a expliqué Mohamed Aïssa qui a souligné que le croissant lunaire sera même visible, aujourd'hui, à l'oeil nu compte tenu des conditions liées à l'astronomie mais aussi des prévisions météorologiques. Sitôt cette annonce faite, la folie intégriste s'est déchaînée sur le Web traitant le ministre de tous les noms. Ce n'est pas la première salve qu'il subit. Dès sa nomination à la tête du ministère des Affaires religieuses, il a été descendu en flammes par la mouvance salafiste. Mais Mohamed Aïssa ne semble pas perturbé outre mesure. «Je suis un récidiviste». s'entête-t-il. Sûr de lui, il développe un discours d'une incroyable clarté au point de choquer même ses collègues du gouvernement rompus à la langue de bois. Il fait de l'islam ancestral et de la tolérance son cheval de bataille. Le ministre rappelle par exemple que les Algériens «sont plus proches de l'islam de Cordoue que de celui des bédouins d'Arabie». Il ne se gêne pas de critiquer ouvertement les imams cathodiques: «Je remarque avec amertume que nous sommes actuellement en train de clochardiser la chose religieuse et d'abrutir l'intelligence algérienne avec des chaînes qui sont en train d'interpréter les songes et les rêves». Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, il corse son discours et a même affiché son intention de rouvrir les lieux de culte chrétiens et juifs fermés durant les années 1990 pour raisons de sécurité. «Je suis chargé des Affaires religieuses et non des Affaires islamiques», rappelle-t-il. Et c'est le tollé chez les islamistes. C'est la première fois qu'un ministre ose des propos qui recadrent le débat sur la religion sans langue de bois. Il faut dire au passage que la démarche du ministre ne dérange pas seulement les salafistes. Les amateurs de l'immobilisme, ceux qui veulent régenter dans l'opacité, l'ambiguïté et la clandestinité tous les domaines de la vie sociale, en sont aussi des victimes collatérales. A l'assiduité méticuleuse du mouvement des astres dans l'immensité de l'espace, les musulmans ont opté pour l'à-peu-près et le doute. L'Algérie ne faisait pas exception. Chaque année l'odieuse mascarade de «la nuit du doute» est servie aux citoyens, suprême insulte à leur intelligence et au génie du trio Copernic-Galilée-Képler. Cette année donc pas de polémique pour choisir le début du Ramadhan et par conséquent, le jour de l'Aïd El Fitr sera défini à l'avance et les Algériens seront libérés d'un suspense, une obsession nationale qui consistait à guetter le début et la fin du Ramadhan. Mohamed Aïssa pulvérise cette chape de plomb maintenue sur un domaine qui concerne en premier lieu les scientifiques plus que les autorités religieuses.