Le discours de Bouteflika devant les hommes d'affaires allemands s'inscrit également en faux contre ses directives. Décidément, rien ne va plus dans le secteur des finances. Dans un document portant communication de l'Association professionnelle des banques et établissements financiers, dont nous avons obtenu copie en exclusivité, la circulaire d'Ouyahia portant obligation aux entreprises publiques de ne traiter qu'avec les banques obéissant au même statut y est stigmatisé à mots à peine couverts. Que l'on en juge. Le document en question, daté du 19 septembre, fait suite à une réunion des P-DG des banques, à leur demande, ce qui trahit tout le trouble qui a gagné le secteur financier algérien depuis la mise en application de la directive gouvernementale portant domiciliation des opérations des entreprises publiques. D'entrée de jeu, et dès le premier paragraphe de la communication, dont une copie a sûrement été transmise à la chefferie du gouvernement, la directive est diplomatiquement contournée, pour ne pas dire contestée. Nous pouvons lire en effet que «les organes statutaires de l'Abef ont examiné (...) les interprétations excessives et non fondées dont se prévalent certaines entreprises en se référant à la dernière directive gouvernementale concernant la domiciliation des opérations bancaires des entreprises et établissements publics». Il apparaît, a priori, une sorte de contradiction, pour ne pas dire bras de fer, entre Ouyahia et certains de ses ministres, connus du reste pour être très proches de Bouteflika. Il s'agit d'Abdelatif Benachenhou, que l'on dit être le «véritable inspirateur de cette communication». Benachenhou, faut-il le rappeler, était allé jusqu'à critiquer avec une rare virulence la mesure d'Ouyahia avant de revenir sur ses dires, préférant sans doute contre-attaquer de manière plus feutrée, séant mieux aux us et pratiques démocratiques dans notre pays. Toujours est-il qu'une critique directe de la démarche d'Ouyahia est formulée dans le paragraphe suivant: «les organes de l'Abef ont (...) étudié le contenu réel de cette directive et ont pris connaissance des cas de refus de chèques, de cautions, de garanties ou de contre-garanties émis par des banques privées au profit de certaines entreprises publiques». Il ne fait aucun doute que ce genre de tracas, appelés à se multiplier dans le cas où la mesure n'est pas, sinon retirée, du moins amendée, concourent à éloigner les investisseurs étrangers au moment où Bouteflika multiplie les démarches dans le but de drainer le maximum de capitaux internationaux dans le cadre de la mise en chantier de son plan portant consolidation de la relance économique. Il y a de cela à peine quelques jours, le chef de l'Etat, en compagnie des hommes d'affaires allemands qui accompagnaient le chancelier Gerhard Schröder, contredisait foncièrement la démarche de son chef du gouvernement. Bouteflika affirmait en effet pour ce qui «concerne la restructuration et l'approfondissement du secteur financier, (que) les réformes ont commencé avec la modernisation du système des paiements, la stabilisation de la situation de liquidité des banques, le renforcement du contrôle prudentiel des banques et l'ouverture du secteur à l'initiative privée et aux banques internationales. Il reste maintenant à accélérer cette réforme délicate et complexe. Elle passe par la mise à niveau des banques publiques et leur ouverture progressive dans le cadre de formules de partenariat, le développement du secteur bancaire privé et une implication plus importante des grands groupes internationaux qui nous apportent la solidité, le savoir-faire et l'intégration dans le système financier international». L'Abef, somme toute, montée au créneau contre une vision qui ne sert en rien l'ouverture économique en cours, et encore moins la venue des investisseurs tant étrangers que nationaux, tente d'infléchir la politique d'Ouyahia tant qu'il en est encore temps. Elle formule ainsi des recommandations sur la base de l'ensemble des anomalies constatées sur le terrain. La première consiste à dire que «la directive gouvernementale ne concerne que les opérations initiées par les entreprises et établissements publics et qui requièrent l'ouverture et la tenue d'un compte». La seconde indique que «la directive instruit les opérateurs publics mais ne restreint en aucune manière les opérations bancaires émanant des banques privées, ni les transactions ou les engagements par signature émanant de celles-ci ou transitant par elles». La troisième, quant à elle, précise que «les chèques, les virements, les effets de commerce émis par les banques privées sur ordre de leurs clients au profit d'entreprises ou d'établissements publics ne doivent en aucun cas faire l'objet de refus de la part des opérateurs publics sous le seul prétexte qu'elles rentrent dans le champ d'application de la directive gouvernementale». Il en est conclu que «les contre-garanties, les cautions et les avals émis par ces mêmes banques au profit d'opérateurs publics ne doivent être acceptés que sur la base de l'analyse de risques prévus en la matière». Il est ainsi conclu que «les refus observés ces derniers jours constituent des interprétations non fondées du contenu de la directive gouvernementale». Alors que nous avons assisté tout aussi ébahis qu'impuissants à la chute de trois banques privées dans le pays, Al-Khalifa, la Bcia et l'Union Bank, ce qui a fortement décrédibilisé le système bancaire et monétaire de notre pays, les directives d'Ouyahia risquent, pour le moins, de faire disparaître les quelques établissements encore présents mais dont beaucoup battent dangereusement de l'aile. Il convient de souligner que nous risquons d'aller vers un bras de fer dans les prochains jours puisqu'Ouyahia, interpellé sur cette question au niveau de l'APN, avait persisté et signé, se contentant de souligner qu'il y avait assez d'entreprises privées pour faire tourner les banques évoluant sous le même statut. Une déclaration et une mesure qui contredisent foncièrement l'esprit et la lettre des directives présidentielles. Il est vrai toutefois qu'Ouyahia, qui en a connu d'autres, peut très bien s'en sortir avec l'élégante dextérité qu'on lui connaît en se pliant discrètement aux «remarques amicales» des banquiers algériens.