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La crise enfin réglée?
ACCORD NUCLEAIRE CONCLU À VIENNE ENTRE L'IRAN ET LES 5+1
Publié dans L'Expression le 15 - 07 - 2015

L'Occident finit par réaliser que la politique de confrontation et de sanctions n'avait pas d'impact sur le programme nucléaire de l'Iran
Il faudra maintenant s'atteler à mettre en oeuvre l'accord. Ceci pourrait s'avérer plus difficile encore que les négociations elles-mêmes car plusieurs parties travaillent ouvertement à le torpiller.
Pour rappel, le programme nucléaire de l'Iran a été lancé en 1956 par le Shah d'Iran, avec l'aide de puissances occidentales, notamment la France qui forma les premiers physiciens iraniens, les Etats-Unis qui fournirent le premier réacteur nucléaire et l'Allemagne qui décrocha le contrat pour la construction de la première centrale électronucléaire à Bushehr. Après 1979, il fut poursuivi par la République islamique, dans un climat de confrontation avec l'Occident et avec pour objectif la maîtrise du cycle du combustible qui est un droit reconnu à tout Etat partie au Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP, auquel l'Iran avait adhéré en 1974).
La crise du nucléaire iranien éclata en 2002, lorsque furent découverts le site d'enrichissement d'uranium de Natanz et le réacteur à eau lourde (donc plutonigène) d'Arak qui n'était pas déclaré à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (Aiea), le chien de garde du régime de non-prolifération nucléaire. Elle éclata dans un contexte marqué par l'arrivée au pouvoir des néoconservateurs à Washington. L'administration de Bush fils envahit l'Irak en 2003, sans autorisation du Conseil de sécurité, et le monde entier s'attendait à ce que l'Iran soit le prochain pays sur la liste. Une troïka européenne (Allemagne, France et Grande-Bretagne) prit en charge le dossier du nucléaire iranien dans l'intention de négocier une solution pacifique. Elle trouva des oreilles attentives à Téhéran auprès du président réformateur Mohamed Khatami et de son chargé du dossier nucléaire Hassan Rohani (actuel président iranien).
L'Iran accepta de geler son programme nucléaire, de soumettre tous ses sites au contrôle des inspecteurs de l'Aiea et signa le Protocole additionnel qui autorise l'Agence à mener des inspections intrusives, mais ne le ratifia pas. En contrepartie, il devait bénéficier d'une coopération nucléaire civile.
En 2005, le président Mahmoud Ahmadinedjad arrive au pouvoir. Il prit prétexte des tergiversations des Occidentaux et relança le programme nucléaire. La confrontation entre Téhéran et l'Occident prit une tournure dramatique: sanctions unilatérales et multilatérales (Conseil de sécurité) graduelles contre l'Iran pour asphyxier son économie et le priver de l'achat d'armes pour assurer sa sécurité, tentatives de déstabilisation, assassinat de scientifiques, cyberguerre.
Le président Ahmadinedjad fit face et accéléra le programme nucléaire. L'Iran réalisa des progrès énormes: maîtrise de l'enrichissement de l'uranium jusqu'à 20%, multiplication et perfectionnement des centrifugeuses qui servent à enrichir l'uranium (à 5% au plus pour fabriquer du combustible pour les centrales nucléaires et jusqu'à 90% pour fabriquer des bombes nucléaires; la frontière entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire est mince), reconstruction et mise en service de la centrale de Bushehr. A titre d'exemple, au début de la crise, l'Iran disposait de moins de 200 centrifugeuses. Lorsque le président Ahmadinedjad quitte le pouvoir en août 2013, il en avait 19.000 et un nouveau site d'enrichissement d'uranium à Fordo.
La main tendue d'Obama
L'Occident finit par réaliser que la politique de confrontation et de sanctions n'avait pas d'impact sur le programme nucléaire de l'Iran même si l'économie du pays s'en ressentait. En 2009, le président Obama fut le premier à «tendre la main» à Téhéran pour trouver une issue négociée à la crise. Cette offre fut ignorée (pour différentes raisons dont certaines liées au jeu politique interne iranien) jusqu'à l'élection du président Hassan Rohani et son intronisation en août 2013. Par petits pas, les Américains et les Iraniens amorcèrent un rapprochement jusqu'à négocier directement et dans le cadre du groupe des 5+1.
Après des années de blocage, les négociations entre l'Iran et les 5+1 reprirent en octobre 2013. Un Plan d'action conjoint ou Accord partiel fut signé dans la nuit du 23 au 24 novembre 2013, à Genève. Il repose sur le principe de base suivant: limitation du programme nucléaire iranien en échange d'un allègement des sanctions occidentales. Il était le prélude à la conclusion d'un accord définitif dont le but est «de parvenir à une solution globale, durable, acceptée par toutes les parties, qui garantirait que le programme nucléaire de l'Iran sera exclusivement pacifique». La partie iranienne pourrait ainsi «jouir pleinement de son droit d'utiliser l'énergie nucléaire à des fins pacifiques en vertu des articles pertinents du TNP». Le programme d'enrichissement serait mutuellement défini avec des limites pratiques et des mesures de transparence (inspections de l'Aiea) ainsi qu'un processus, par étape, pour la levée globale de toutes les sanctions liées au programme nucléaire de l'Iran». L'approche intégrée retenue veut qu'il «n'y aurait d'accord sur rien tant qu'il n'y aurait pas d'accord sur tout».
L'Accord de Genève expirait le 24 juillet 2014, date à laquelle il ne fut pas possible de conclure, comme prévu, un accord global et définitif. Au même moment, l'Aiea confirma que l'Iran respectait ses engagements et a dilué son stock d'uranium enrichi à 20%. Ceci fut considéré comme encourageant par les Occidentaux qui décidèrent de poursuivre les négociations. Après 18 mois de discussions intensives, dans le cadre des 5+1 et sur une base bilatérale, principalement entre les chefs de la diplomatie iranienne et américaine, un accord-cadre fut signé à Lausanne, le 2 avril 2015. Selon la version occidentale, les principaux points arrêtés portent sur:
1-L'enrichissement de l'uranium, soit la diminution du nombre de centrifugeuses de 19.000 à 6104 pendant 10 ans. Par ailleurs, pendant au moins 15 ans, l'Iran n'enrichira qu'à 3,67%, réduira drastiquement son stock d'uranium enrichi et ne construira pas de nouveaux sites d'enrichissement;
2-Le Breakout time ou le temps nécessaire pour produire assez de matières fissiles pour fabriquer une bombe, actuellement de 2 à 3 mois, sera porté à un an et ce au moins pendant dix ans;
3-Les usines d'enrichissement: une seule, celle de Natanz, sera conservée. Celle de Fordo n'accueillera plus de matières fissiles pendant 15 ans.
4-Le contrôle: l'Aiea est chargée du contrôle régulier de tous les sites nucléaires iraniens et les inspecteurs pourront accéder aux mines d'uranium et aux lieux de production du «yellocake» (première étape du processus d'enrichissement). Il s'agit d'inspections intrusives qui dépassent le cadre de l'accord de garanties qui lie l'Agence et l'Iran. Il n'est pas exclu que Téhéran ratifie le Protocole additionnel.
5-Le réacteur à eau lourde d'Arak sera reconstruit pour se limiter à la recherche et à la production de radio-isotopes médicaux. Aucun réacteur à eau lourde ne sera construit avant 15 ans.
6-Les sanctions seront levées dès que l'Aiea aura certifié que l'Iran a respecté ses engagements (une très lourde responsabilité pour l'Agence). Elles seront rétablies si l'Accord n'est plus appliqué. Ce volet est le plus délicat et posera des problèmes à l'avenir.
7-Les périodes d'application de l'accord varient de 10 à 15 ans.
Finalement, un accord global et définitif a été conclu le 14 juillet 2015. Il s'agit en fait d'annexes précisant les détails techniques des dispositions de l'Accord de Lausanne. Il constitue une étape importante dans le règlement de la crise nucléaire iranienne. L'Iran préserve son droit à l'enrichissement et son infrastructure nucléaire. L'Occident obtient les garanties voulues et la visibilité nécessaire (Breakout time) pour empêcher Téhéran de construire la bombe nucléaire. Mais ce n'est aucunement la «fin de l'histoire».
Ils veulent torpiller l'accord
En effet, il faudra maintenant s'atteler à mettre en oeuvre l'accord. Ceci pourrait s'avérer plus difficile encore que les négociations elles-mêmes:
plusieurs parties travaillent ouvertement à torpiller l'Accord:
-Israël ne se réjouit pas de sa conclusion. Ce pays promet de le saborder et de continuer à veiller à ce que l'Iran n'ait pas la bombe atomique. Il laisse ouverte l'option militaire dans l'espoir de voir arriver à Washington une administration plus attentive à ses thèses que ne l'est celle du président Obama qui a résisté à toutes les pressions pour faire triompher la voie diplomatique.
-La majorité républicaine du Congrès américain est acquise à Israël et l'a démontré lors des négociations entre l'Iran et les 5+1. Le président Obama a les moyens constitutionnels pour l'empêcher de saborder l'accord (veto), mais qu'adviendra-t-il après la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en novembre 2016? L'application de l'accord aura-t-elle atteint le stade de l'irréversibilité? Rien n'est moins sûr car elle est appelée à s'étendre sur au moins une dizaine d'années.
-A Téhéran, les opposants à l'accord sont contenus par le Guide suprême Ali Khamenei qui appuie la ligne «négociatrice» du président Hassan Rohani (pour le moment et sans abandonner sa rhétorique antiaméricaine). Ils ne désarmeront pas. Par ailleurs, il se dit que le Guide est malade. Qu'adviendrait-il en cas de lutte ouverte pour sa succession? De telles périodes sont propices aux enchères et aux dérives dangereuses.
Dix ans, c'est trop long. Beaucoup de choses peuvent arriver. L'application de l'accord conclu ce 14 juillet 2015, à Vienne, est un véritable pari sur l'avenir. Un pari pour la paix qui concerne toute la communauté internationale.
Une paix fragile surtout dans l'environnement de l'Iran qui se trouve dans une région volatile, nucléarisée (Chine, Inde, Pakistan, Russie et surtout Israël), truffée de bases militaires américaines, avec à ses frontières des dizaines de milliers de soldats de pays qui lui sont hostiles. Israël a actuellement le monopole de l'arme nucléaire au Moyen-Orient et possède les vecteurs nécessaires pour les délivrer. Il refuse la proposition iranienne et arabe de dénucléariser la région malgré les décisions prises par l'ONU. Il est soutenu dans son intransigeance par les Etats-Unis qui ont fait échouer la dernière Conférence d'examen du TNP pour le protéger. L'Iran n'a pas agité ce dossier car il a tenu à dissocier les affaires régionales des négociations sur le nucléaire, rejetant l'idée d'un «package» afin de garder probablement des cartes dans sa manche pour les jouer en temps opportun. Mais pourra-t-il faire table rase de ses positions antérieures sur la question du nucléaire israélien?
Enfin, la crise du nucléaire iranien fait partie de toutes les autres crises au Moyen-Orient qui mettent en danger la paix internationale, mais ont permis à l'Iran de consolider ses positions dans la région au grand dam des pays du Golfe. Le pays des Perses est devenu un acteur incontournable dans cette partie du monde d'où les Etats-Unis semblent se désengager militairement au profit de la région Asie-Pacifique. Une question cruciale se pose: une fois la crise nucléaire réglée, quelle serait la nature des relations de l'Iran avec l'Occident? Pour le moment, même s'ils sont devenus objectivement alliés dans le combat contre Daesh, il est trop tôt pour conclure à un renversement d'alliance par les Etats-Unis au Moyen-Orient au profit de l'Iran et au détriment des pays arabes du Golfe.
Pour le moment, ces derniers semblent avoir choisi le théâtre yéménite pour passer directement à l'action contre leur voisin perse. L'affrontement est-il la bonne solution? En effet, le concours de l'Iran est déterminant pour la stabilisation de cette région du monde que recherchent désormais les Etats-Unis et pour laquelle ils ont besoin d'alliés fiables. Débarrassé du fardeau de la crise nucléaire et donc des sanctions, Téhéran pourra relancer son économie et devenir plus incontournable encore.


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