Bien plus qu'une passion, le théâtre est pour lui ce qu'est l'oxygène pour le commun des mortels: la vie. Son regard s'illumine instantanément lorsqu'il évoque les planches. Comédien jusqu'au bout des doigts. Acteur de très grand talent, Lamri Kaouane, sétifien bon teint, la quarantaine enjouée, a cette chance rare d'exercer le métier pour lequel il est taillé. Un métier qu'il respire. Et à pleins poumons. Tant et si bien, d'ailleurs, que le Kaouane que vous pourriez rencontrer au détour d'une venelle de l'antique Sitifis, volubile et gesticulateur à souhait, n'est pas bien différent du Kaouane sur les planches. Naturel, attachant et pétillant. Sur scène, ce spécialiste du One man show au pur «accent» sétifien, et avec ses faux airs de Mohamed Touri, vous envoûte par sa faconde, sa facilité d'élocution et la maîtrise de son jeu théâtral. «C'est le choc provoqué par la mort du défunt président Boumediène, à la fin de l'année 1978, qui m'a conduit vers les planches», confie-t-il. «J'avais tellement de choses à extérioriser et le théâtre a été une sorte d'exutoire, cela a été le déclic, quoi». L'attrait soudain mais irrésistible pour le quatrième art amènera Kaouane à fonder, avec une poignée de copains, la troupe «El Afaq» qui se distingua, à la fin des années soixante-dix, par quelques pièces écrites collectivement, pas très connues, certes, mais qui ont permis l'émergence du talent d'acteur de Lamri. A cette époque, des trois ou quatre artistes sur scène, le public n'avait d'yeux que pour lui. Entre 1985 et 1987, Kaouane fera des rencontres importantes et déterminantes pour son avenir de comédien. En effet, à la faveur de stages de recyclage effectués à Mostaganem, alors terre promise du théâtre amateur en Algérie, Lamri tirera un profit immense de l'expérience et des conseils de Djamel Saber et des regrettés Abdelkader Alloula et Abderrahmane Kaki, «des monuments irremplaçables qui m'ont définitivement cloué sur les planches», avoue-t-il, le ton grave et le regard étincelant mais avec cet éternel sourire rivé au coin des lèvres. L'émergence du mouvement associatif, dans les années quatre-vingt-dix, favorisera la naissance, sous la houlette de Lamri Kaouane et de Mourad Bencheikh, de l'association Ech-Chiheb. Ce sera l'époque d'une production théâtrale féconde et de très grande qualité: Mouftaraq Ettouroq (la croisée des chemins), Es-Saratane (le cancer) et Ettahadi (le défi), entre autres, connaîtront un succès retentissant et contribueront à faire apprécier, aux quatre coins du pays, l'imagination et la vitalité du théâtre sétifien. Ce seront précisément ces pièces, interprétées par trois, voire deux acteurs sur scène, qui dévoileront la prédilection de Kaouane pour le monologue. Un genre théâtral difficile, s'il en est, mais taillé sur mesure pour Lamri dont la diction, la spontanéité et la gestuelle trouvent matière à subjuguer. La période située entre les années 1995 et 1999 sera, de loin, la plus prolifique en matière de création artistique dans la wilaya de Sétif. Des opérettes (en fait, de véritables fresques artistiques) furent écrites et mises en scène, avec le concours, notamment de Azzedine Mihoubi (Sitifis, l'Epopée du 8-Mai 45, Aïn Fouara...). Cela donnera l'occasion à des centaines de jeunes sétifiens de communiquer et de se retrouver sur scène, mais toutes ces fresques historiques seront frappées de l'empreinte de Kaouane qui donnera la pleine mesure de son immense talent d'acteur. Un acteur complet qui n'excelle pas seulement dans la comédie. De nombreuses et remarquées apparitions dans des feuilletons réalisés et diffusés par l'Entv seront une autre démonstration de l'éclectisme théâtral de ce comédien hors pair. Ce sera pourtant dans le one man show que Lamri Kaouane trouvera ses vrais repères, «mes plus fortes sensations mais pas un carcan», tient-il à préciser. C'est ainsi tout naturellement qu'en 2002, à l'issue des journées du monologue et du One man show mises sur pied à Constantine, Kaouane fut choisi pour représenter notre pays au Festival international de l'oralité organisé en Espagne. C'est l'époque de Djinn ou balaâtouh (ou le diable dupé). Un one man show caustique mais non moins satirique écrit par Youcef Taâouinit et racontant les déboires d'un «dégourdi» pas si futé que cela. Elche, Barcelone, Alicante et Toulouse constitueront pour Kaouane des étapes marquantes qui l'encourageront à interpréter avec un franc succès Rodjla 100% du même Youcef Taâouinit, puis Takh Chlakh, une libre adaptation d'une oeuvre d'Arthur Miller, jouée en duo avec Djamel Garmi du TNA. L'on peut regretter qu'un acteur aussi talentueux, reconnu comme tel de l'autre côté de la Méditerranée, soit relativement méconnu du grand public en Algérie. La télévision constituant aujourd'hui un incontournable tremplin, il ne fait pas de doute que la diffusion par la télévision nationale de l'une des pièces interprétées par Lamri Kaouane donnerait l'occasion à des millions d'Algériens de passer de purs moments de bonheur, et permettrait à ce comédien si attachant et si amoureux de son art, de connaître la consécration qu'il mérite.