Un hommage est très important car il permet de se souvenir de ceux qui nous ont quittés. Mais le meilleur hommage qu'on puisse rendre à un créateur c'est de lui donner la voix et de faire connaître son œuvre. L'essayiste Joseph Joubert a dit un jour : “Il faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents.” Pleine de bon sens et de sagesse, cette citation nous apprend surtout que la mémoire est l'âme de la société et qu'il est impératif de regarder le passé et de se souvenir des autres. De ceux qui nous ont précédés et fait que nous puissions être là où nous sommes aujourd'hui, et mener la vie qu'on croit avoir choisie, mais qu'on n'aurait jamais eue sans les sacrifices et l'engagement de ceux qui nous ont précédés. En Algérie, la mémoire est une obsession. Elle a toujours été le moteur et le refuge des créateurs. Car, sans un regard serein sur le passé, l'avenir serait vacillant et sans perspectives. Pour ne pas oublier donc, et dans le cadre des débats de la mémoire, le forum d'El Moudjahid, en collaboration avec l'association Mechaâl el-Chahid, a organisé, hier matin, un hommage à Mohamed Boudia, qui a péri dans un attentat à Paris le 28 juin 1973, et à Mustapha Kateb, disparu un certain 31 octobre 1989, et bien qu'en 2009, on fêtait le vingtième anniversaire de sa disparition, aucun hommage n'a été programmé. Cette évocation a coïncidé avec la veille du quarante-septième anniversaire de la récupération de la souveraineté sur l'Opéra d'Alger ou le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, comme on l'appelle aujourd'hui, qui a eu lieu le 7 janvier 1963. Pour présenter Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, le comédien Abdelhamid Rabia a composé un poème où il a rappelé le parcours des deux hommes. Un parcours sans faute où se sont conjugués passion pour les planches et engagement. En présence du fils de Mohamed Boudia, de plusieurs artistes et amis des deux figures de proue du théâtre algérien, Taha El-Amiri, comédien et membre de la troupe artistique du FLN, a évoqué l'homme qu'était Mustapha Kateb et son grand apport au théâtre algérien. “Il ne donnait aucune importance à l'argent. Son intérêt était concentré sur l'art et le théâtre. Et l'école de théâtre qu'il a créée a sorti des monstres de la scène à présent, tels Sidi Ali Kouiret, Yahia Ben Mebrouk (dit l'Apprenti), Hadj Omar, etc.”, se souvient-il. Il a raconté le cheminement de Mustapha Kateb qui a fait partie, dès 1947, de la première troupe artistique algérienne, créée à l'initiative de Mahieddine Bachtarzi, et qui a vu l'éclosion de talents, à l'exemple de Mohamed Touri, Rouiched, Allel El Mouhib, Abdelhalim Raïs, et la liste est encore longue. De 1947 à 1956, l'intérêt de Mustapha Kateb a porté sur la création de pièces théâtrales et puis, en 1958, il a formé et présidé la troupe artistique du FLN à Tunis, qui a eu un rôle important et déterminant dans l'éveil populaire et dans l'éducation artistique du peuple. Autodidacte et “qasbadji”, Mohamed Boudia a fait de la résistance et de l'opposition un mode de vie. Il a consacré sa vie à la lutte pour les causes nobles, et s'est totalement engagé dans la lutte du peuple palestinien. Sa quête infatigable pour la liberté lui a valu une mort atroce à Paris, dans sa propre voiture en 1973. La thèse de l'accident a été écartée, et à présent, l'assassinat est la seule explication revendiquée et approuvée par tous. L'initiative des organisateurs de cet hommage est louable, mais le meilleur hommage qu'on puisse rendre à ces gens qui ont résisté sur les planches et par l'art, c'est de jouer leurs œuvres et permettre au public de découvrir toute la dimension humaine et artistique de leur travail.