La réapparition du terroriste le plus recherché du monde porte un coup terrible au bilan présenté par Bush. Si Ben Laden n'existait pas, il aurait fallu l'inventer. C'est ce que doivent se dire tous les observateurs d'une élection US engageant le devenir de la planète. Al Jazeera, qui dit avoir reçu la bande vidéo à son bureau pakistanais, a ainsi «brutalement» diffusé un message du chef d'Al Qaîda, venu chambouler les donnes électorales à trois jours à peine de l'épilogue du duel entre Kerry et Bush. Washington, paniquée, avait tenté au plus haut niveau d'en interdire la diffusion. Rien n'y fit. Quelques heures plus tard, un communiqué du Pentagone, citant les services secrets américains, devait confirmer l'authenticité de la bande. Ben Laden, donné pour mort pour les uns, et traqué et incapable du moindre mouvement dans les infranchissables montagnes séparant l'Afghanistan du Pakistan et de l'Iran, est non seulement en vie, mais donne l'air d'être en bonne santé, de suivre de près les évènements mondiaux et d'être prêt à commettre de nouveaux attentats. «Bien que nous soyons entrés dans la quatrième année après le 11 septembre, Bush continue (...) de vous tromper et de vous cacher toujours les véritables raisons» de ces attaques, «ce qui signifie que les raisons demeurent pour la répétition ce qui s'est passé» le 11 septembre, autrement dit pour de nouveaux attentats. Difficile d'être plus clair, ni de mieux gêner Bush même si les services psychologiques de celui-ci peuvent en tirer avantage en criant de nouveau au loup et en exhortant le peuple américain à opter pour le vote-refuge. A seulement trois jours du scrutin présidentiel aux Etats-Unis, c'est en ces mots qu'Oussama Ben Laden s'est rappelé au souvenir des Américains, dans un enregistrement diffusé par la chaîne satellitaire du Qatar, Al Jazeera. La dernière vidéo le montrant, remontait au 10 septembre 2003. On l'y voyait, avec son bras droit, l'Egyptien Ayman Al-Zawahiri, se promenant dans une zone montagneuse. Cette fois, Ben Laden apparaît derrière une table, vêtu d'une tunique blanche et d'un «thoub» (sorte de cape lui couvrant les épaules) de couleur ocre, la tête coiffée d'un turban blanc. Ben Laden a aussi pour la première fois accusé le président américain de négligence le jour des attentats du 11 septembre, en ayant, selon lui, tardé à réagir après que la première des deux tours du World Trade Center eut été percutée par un avion. «Nous étions convenus avec Mohamad Atta [le chef des terroristes], qu'il finirait toutes les opérations en 20 minutes avant que Bush et son gouvernement puissent réagir». «Il ne nous était pas du tout venu à l'idée que le commandant en chef des forces armées américaines laisserait 50.000 de ses citoyens dans les deux tours faire face seuls à cette situation horrible alors qu'ils avaient tant besoin de lui», a ainsi ironisé Ben Laden, visiblement au meilleur de sa forme. Le 11 septembre 2001, M.Bush avait été discrètement informé par l'un de ses assistants qu'une tour du WTC avait été percutée par un avion alors qu'il se trouvait dans une école en compagnie d'enfants en dehors de Washington. Son visage était devenu grave, mais il n'avait pas réagi immédiatement, finissant le programme prévu. «Il a estimé qu'il était plus important de s'intéresser aux propos d'une petite fille (...) plutôt qu'aux avions et leur attaque contre les tours, ce qui nous a donné trois fois le temps dont nous avions besoin pour mener à bien les opérations», a ajouté ce chef terroriste. Ce sont là autant de raisons qui font qu'Al Qaîda peut encore mener de nouveaux attentats sur le sol américain, quitte à utiliser des méthodes et des moyens moins spectaculaires et plus proches de ce qui s'est passé en Espagne, au Maroc et en Turquie. Ben Laden, insidieusement, enfonce Bush en faisant indirectement campagne en faveur du démocrate Kerry. La démarche, arme à double tranchant, a toutes les chances de se retourner contre l'adversaire du locataire de la Maison-Blanche puisque les Américains ont beau avoir perdu confiance en les méthodes expéditives de leur président, ils n'en demeure pas moins qu'ils restent les ennemis jurés de Ben Laden et de l'ensemble de ses partisans, ce qui ne fait que les rapprocher de leur président. C'est à cause des risques d'attentats nouveaux que Washington a salué avec autant de force l'extradition d'El-Para vers notre pays. Celui-ci se trouvait en contacts réguliers avec Aymane Zawahiri, adjoint direct de Ben Laden. Il constitue donc une véritable mine d'informations que les services algériens, experts en matière de lutte antiterroriste, sont les mieux habilités à exploiter. Apparemment les Américains auraient tenté sans succès d'éviter la diffusion de la cassette, estimant que Al Jazeera «ne doit pas donner un moyen d'expression aux terroristes», a ainsi expliqué un haut responsable du Département d'Etat. En réponse, il semble que la chaîne n'ait pas diffusé la totalité de la cassette. Les spéculations vont même bon train sur le contenu censuré de la bande vidéo au regard de la gravité des passages qui ont déjà été diffusés. Pour ce qui est de l'impact que peut avoir cette vidéo sur la campagne, la plupart des journaux américains ont signalé que le président sortant en tire un léger avantage car la réapparition de Ben Laden crée une diversion de dernière minute et met de côté les difficultés de l'administration Bush à pacifier l'Irak. Ben Laden remet sur le devant de la scène le terrorisme thème sur lequel M.Bush est gagnant par rapport à son concurrent, indiquent les experts. Et comme le résume Allan Lichtman, professeur en sciences politiques à l'American University, «tout ce qui détourne le débat de l'Irak est bon pour Bush». La réponse des deux principaux candidats à la Maison-Blanche à la vidéo n'a bien sûr pas tardé et a déjà créé entre eux une nouvelle polémique. «Les Américains ne se laisseront ni intimider ni influencer par un ennemi de notre pays. Aussi longtemps que je serai président, nous ne serons pas captifs de la peur. Aussi longtemps que je serai président, nous serons déterminés, inébranlables et nous mettrons les terroristes en fuite», a déclaré le président Bush, en campagne dans l'Ohio, Etat-clé de la course à la Maison-Blanche. De son côté, le sénateur du Massachusetts a affirmé, lors d'un passage en Floride, qu'il serait capable de «conduire une politique contre le terrorisme plus efficace que celle de Bush». Le candidat démocrate n'a d'ailleurs pas hésité à critiquer l'action de George Bush dans sa traque contre le chef d'Al Qaîda: «Je regrette que quand George Bush avait l'opportunité en Afghanistan à Tora Bora, il n'ait pas utilisé nos forces pour traquer et tuer Oussama Ben Laden. Il a fait sous-traiter ce travail aux seigneurs de guerre». Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'invitation de Ben Laden dans une campagne où les coups ont volé drus vient relancer débats et polémiques face à des Américains qui ne savent toujours pas à quel président se vouer.