L'augmentation des prix engendrera également une baisse des dépôts auprès des banques L'expert financier Mohamed Ghernaout qui est aussi un ancien cadre de la Banque centrale répond dans cet entretien à nos questions au sujet du plan de rationalisation du Premier ministre et sur la valeur du dinar et pense que la dévaluation conduit à court terme à une augmentation des recettes fiscales. L'Expression: La Banque centrale annonce dans son rapport de conjoncture du premier trimestre de 2015, une chute de la valeur du dinar de plus de 11% par rapport au dollar US, s'agit-il d'une dépréciation ou d'une dévaluation? Mohamed Ghernaout: Avant de répondre à cette question, donnons quelques définitions pour que le citoyen comprenne de quoi il s'agit. Un taux de change exprime la valeur d'une monnaie par rapport à une autre monnaie. Ce taux peut être flottant, il change au gré des offres et de la demande du marché. Il peut être fixe, il ne change pas. C'était le cas du dinar jusqu'en 1986 quand bien même il était pondéré par rapport à plusieurs monnaies. Le changement de la valeur qui a eu lieu juste après par «glissement» par rapport au dollar était une dévaluation. On se souvient que ce «glissement» a suivi celui du prix du pétrole qui avait atteint 14 dollars le baril en moyenne en 1986. Le dinar étant resté surévalué, on procéda alors à deux dévaluations en 1991 et 1994 dans le cadre des programmes d'ajustement signés avec le FMI mais également pour se conformer aux prescriptions de la loi sur la monnaie et le crédit introduite en 1990 qui prône le flottement libre du dinar. La politique des changes va devoir à partir de 1997 avoir une cible, le taux de change effectif réel qui n'est qu'un indicateur de compétitivité de l'économie nationale par rapport aux produits du reste du monde. Ce qui implique des ajustements fréquents et toujours dans le sens de la baisse de la valeur nominale du dinar pour prendre en charge le différentiel d'inflation. C'est ainsi que le «glissement» des années 1980 va changer de dénomination pour s'appeler désormais «flottement dirigé». La direction que devrait prendre ce «flottement», c'est le taux de change effectif réel. Cependant, puisque les différents «flottements» que le pays a connus et notamment à partir de 1998/99 ne sont pas le fait du marché international des changes, mais surtout de celui du pétrole qui représente le principal produit d'exportation et donc, la principale source de devise du pays alors que le marché des changes local ne sert que pour la redistribution du pactole journalier devises mis sur le marché par la Banque centrale à des taux préalablement fixés, c'est pour moi une dévaluation. C'est également une dévaluation car, la chute du dinar, n'a pas concerné que le dollar mais l'euro également. Moi, je ne comprends pas pourquoi nos autorités évitent de dire qu'elles ont dévalué leur monnaie alors que les Chinois n'ont pas caché leurs dernières dévaluations. Il ne faut pas le Cacher quand cette mesure devient plus que nécessaire, vitale. Pouvez-vous expliquer les divers objectifs qu'un gouvernement peut poursuivre en dévaluant la monnaie? En théorie, la dévaluation d'une monnaie a deux objectifs: la réduction de la dépense (exchange reducing policy) et par ricochet du PIB et le déplacement de la dépense (exchange shifting policy) qui signifie qu'on doit délaisser les secteurs non rentables et l'on ne doit investir que dans les secteurs où le pays a un avantage économique. La réduction de la dépense résultera de l'augmentation des prix des produits importés, ce qui doit permettre l'augmentation de la demande des produits locaux et relancer la demande globale et partant la croissance et le développement de l'économie nationale. Disons qu'au plan du secteur réel, la dévaluation conduit au renchérissement de toutes importations. Pour les biens de consommations, il y a globalement deux sortes: ceux qui ne sont pas subventionnés et dans ce cas la dévaluation va se répercuter directement sur le prix final et donc sur l'inflation de ces produits et ceux qui bénéficient de la subvention de l'Etat, l'impact se fera au niveau de cette dernière qui va augmenter. La Banque centrale annonce déjà un déficit de la balance des services et des paiements mais peut-être également la balance commerciale pour 2015, un résultat que le pays n'a pas connu depuis 1995. L'accroissement des prix des biens d'investissements importés conduit à une baisse de ces produits et partant à une augmentation de chômage qui est déjà à un niveau inquiétant malgré le développement d'une foultitude de programmes d'emplois d'administratifs alors que l'augmentation des intrants conduit à une augmentation des coûts de production et partant des prix de revient. L'effet conjugué de toutes ces augmentations engendre une inflation par les coûts et partant à une baisse du pouvoir d'achat de la population qui peut déclencher des mouvements de grèves suivis de demandes d'augmentation des salaires, bref un scénario que le pays a vécu en 2010 et 2011. Le PIB en volume devrait en conséquence se contracter. Au plan monétaire, les avoirs extérieurs du système bancaire et notamment de la Banque centrale et les crédits à l'économie, surtout, pour le secteur public vont augmenter, ce qui rend encore plus vulnérables et ces entreprises et leurs banques respectives. Par ailleurs, la dévaluation a conduit à une détérioration de la confiance des citoyens en leur monnaie, le dinar, qui s'explique par l'augmentation ces dernières années de la circulation fiduciaire hors du système bancaire, l'envolée des prix de l'immobilier et de l'or, la chute de la valeur du dinar sur le marché parallèle synonyme de recours de plus en plus des opérateurs économiques locaux et étrangers pour préserver le pouvoir d'achat de leurs avoirs mais également les faire fuir à l'étranger. L'allocation des devises des citoyens se rendant à l'étranger pour différents motifs y compris touristique va diminuer. L'augmentation des prix engendre également un accroissement de la propension à consommer des revenus des ménages et des entreprises et partant une baisse des dépôts auprès des banques. Au plan des finances publiques, la dévaluation conduit à court terme à une augmentation des recettes fiscales sur les produits importés d'abord (à travers les droits et taxes), puis sur les autres produits du fait de l'inflation (taxe d'inflation). Ce qui permet à l'Etat de financer les subventions des produits de première nécessité, refinancer et recapitaliser les banques publiques et même d'augmenter les salaires! Ce qu'on dénomme chez nous par l'expression «men laheytou bekharlou». Au plan du secteur extérieur, la dévaluation devait conduire à une baisse des importations et éviter l'érosion aussi bien des réserves de changes que du fonds de régulation des recettes des hydrocarbures. La dévaluation conduit également à une augmentation de la dette en devises des opérateurs économiques et donc du pays en dinars. Mais du fait du caractère négligeable de la dette extérieure en devises étrangères, l'importance de l'excédent de la balance courante fait que celle-ci ne comporte aucun risque de défaut de remboursement de la dette. La dévaluation d'une monnaie a pour objectif, également, la réduction des importations et l'encouragement des exportations des produits non traditionnels (hydrocarbures et dérivés ainsi que les produits miniers). Or ce qui s'est passé, est le contraire. Non seulement les exportations non traditionnelles n'ont pas crû mais même les importations n'ont pas cessé d'augmenter et ce malgré les mesures administratives de restriction des importations prises en 2009 dans le cadre de la loi de finances complémentaire. Ce qui veut dire que les importations du pays concernent, peut-être, des produits insensibles au prix, non trouvables sur le marché local et très demandés par la population au point de les acheter à n'importe quel prix! Pis encore, les dernières statistiques du recensement économique révèlent que non seulement notre économie est devenue une économie de bazar, mais qu'on n'avait pas une industrie pour remplacer les exportations des hydrocarbures même à moyen terme. Quelles sont les solutions adéquates à cette situation? Vous constatez que ce sont des scénarios catastrophes que le pays a connus depuis presque 30 ans avec les mêmes causes et effets (chute des prix du pétrole et dévaluations) de 1986, 1991, 1994, 1998 et notamment en 2009 où le prix du Brent, le pétrole de référence du pétrole algérien, avait atteint le prix de 37 dollars (qui est devenu le prix de référence pour l'établissement de la loi de finances et partant de l'excédent qui devait être logé dans le compte de régulation des recettes). Nous faisons le même constat et nous n'avons pas trouvé de réponses depuis le programme signé avec le FMI qui a été stoppé pour des raisons populistes qui n'ont rien à voir avec l'économie, c'est parce que l'Etat n'a jamais eu de stratégie de sortie sérieuse de la dépendance du secteur des hydrocarbures. Il faut, à mon sens reprendre les réformes et notamment, libérer l'acte d'investissement des carcans administratifs; encourager les investissements exportateurs; recourir à l'endettement extérieur pour des projets destinés aux exportations et notamment pour le financement à long terme; privatiser les entreprises publiques; repenser la réforme financière et notamment bancaire y compris la Banque centrale et notamment sa politique monétaire et le refinancement sans toutefois relever les taux d'intérêt. Il faut aussi développer la titrisation des actifs à l'effet de redynamiser le marché financier; réformer la politique des subventions des produits de première nécessité en ne ciblant que les personnes vulnérables à l'effet d'aller à la vérité des prix à moyen terme et revoir la politique des finances publiques ainsi que l'organisation des administrations fiscale et douanière sans oublier de réformer le système éducatif et universitaire en encourageant la recherche.