Présenté dans le cadre de la commémoration du 50e anniversaire de la guerre d'Algérie, Algériennes est de loin le film le plus émouvant mis au service d'une cause des plus humanistes... Après avoir produit Ecrivains des frontières, Djamel Sellani, français d'origine algérienne, réalise son premier documentaire Algériennes, initialement intitulé Les femmes dans la guerre d'Algérie. Après 3 ans de galère et d'embûches en tout genre, voilà enfin le projet mis en boîte. Diffusé d'abord sur la chaîne belge Rtbf le 28 octobre et le 2 novembre dernier, le film a été projeté mardi soir à la filmathèque Mohamed Zinet de L'Oref, en présence du réalisateur (Les films du cyclope) et des coproducteurs Waly S.Taïbi (Image Création.com) du côté belge et de Hossine Saâdi (Ciel Communication) du côté algérien ainsi que les trois antagonistes du film, trois moudjahidate qui, à travers ce film de 57 minutes, vont remonter le fil du temps et évoquer leur passé anti-colonial, un passé douloureux, jalonné de tortures et de gégène. Appuyé par des images d'archives octroyées par la Télévision nationale, Algériennes s'ouvre sur le 1er Novembre date du déclenchement de la guerre de Libération nationale, qui a vu précipiter des milliers de femmes algériennes et européennes dans la lutte. C'est avec une vive émotion et un pincement au coeur qu'on suivra le parcours de ces trois combattantes, femmes courage qui ont fait leur la cause pour la liberté et la dignité humaine. 40 ans plus tard, ce film refait le parcours de ces lieux historiques, symboliques qui ont marqué à jamais leur mémoire et leur corps mutilé. Elles avaient à l'époque à peine 20 ans, la fleur de l'âge. Et pourtant, c'était la guerre. Eliette Loup remet les pieds dans la ferme où elle est née à Chebli et revoit ces paysans sur qui elle avait transféré tout son amour paternel...Fille de colon, d'origine française et espagnole, Eliette Loup s'est toujours mobilisée du côté des Algériens. «En tant qu'Européenne, je n'étais pas fière parce que je me rendais compte du racisme et de l'injustice. C'est pour cela que j'ai participé à la guerre. Pas seulement pour une justice sociale, mais pour le recouvrement de la liberté et la dignité». Louisa Ighilahriz est la première femme qui a osé attaquer certains généraux français, suite aux tortures qu'elle a subies. Avec cette femme de fer ayant travaillé dans les renseignements, on ne pouvait que vibrer à son témoignage insoutenable par tant de souffrances et de douleurs qu'elle a dû endurer, seule ou auprès de ses soeurs moudjahidate. «Des tortures musclées, j'ai subi l'innomable...». Louisa évoque le nom du commandant Richaud qui l'a sortie de cet enfer. A la villa Susini, lieux où rodent encore les fantômes des suppliciés, nous pénétrons en images bouleversantes dans le sentier d'exécution et de déshumanisation. Et de nous montrer du doigt cette baignoire de l'ignominie qui servait de lieu de tortures infâmes, insalubre, nauséabonde et puis ces geôles des condamnés à mort dans la prison de Sarkadji, ex-Barberousse, dans laquelle elles se sont rendues avec Fatma Baïchi, autre militante qui raconte les années de pauvreté et de gégène. Un mot qui fait frissonner rien qu'à l'entendre. On imagine ainsi toute la force admirable de ces femmes qui ont eu à retourner dans ces lieux pour reconstituer leur histoire, devenue ainsi la nôtre et qu'il faut aujourd'hui ne plus taire. Le réalisateur nous plonge aussi en plein coeur de la Mitidja et ses résistantes de la première heure. Algériennes se veut ainsi un grand hommage à Na Ouardia, la gardienne du mausolée où s'est tenu le congrès de la Soummam, hélas éteinte il y à peine quelques mois. Douleur mais aussi joie, insouciance teintée de poésie, émaillent ce film plein de tendresse qui évoque avec pudeur et gravité les souvenirs de cette terrible Bataille d'Alger, ses morts, ses «enterrés vivants» et ses abus fait aux femmes mais aussi l'entraide et la solidarité de ces femmes en prison qui n'ont jamais flanché ou abdiqué devant l'ennemi. En dépit de ces «crimes crapuleux», le film évoque par la voix de Fatma Baïchi, le temps du pardon qui, avoua-t-elle, «peut panser ma plaie. Je pardonne, c'est la vérité. On peut pardonner...» Algériennes sera diffusé ce soir à la Maison de la culture de Tizi Ouzou. Une version longue sera distribuée dans les salles, début janvier, en France et en Algérie. A propos du film, le réalisateur Djamel Sellani confie: «Au départ, c'était une fresque historique sur le rôle des femmes pendant la guerre d'Algérie. J'avais envie de faire un film sur les femmes anonymes qui ne sont pas mythifiées ou sacralisées. C'est pourquoi j'ai filmé les femmes de Kabylie et de Chebli. Pour moi, les femmes ont joué un double combat, celui d'avant et d'aujourd'hui, dans la lutte de libération, pour la dignité mais aussi dans l'émancipation des femmes. Je me rendais compte que je me trompais en focalisant sur les femmes connues en désacralisant, je resacralisais d'autres femmes. 80% des femmes qui ont participé à la guerre sont des anonymes. Ce n'est pas pour autant qu'elles ont eu une reconnaissance, c'est un peu l'hommage que j'avais voulu rendre à ces femmes en m'inspirant un peu de la vie de ma mère.... Ensuite, ce sont les contraintes techniques, économiques de télévision qui ont fait que le film se focalise sur ces trois portraits très fort de femmes.»