Invité d'honneur du Sila, la France déroule son tapis de programme qui comprend de nombreuses conférences dont celle qui a eu lieu vendredi à l'IFA... «Il en faut des auteurs comme Maïssa Bey et des langues comme la sienne, qui vivifient notre langue, l'oxygène pour nous enrichir davantage, surtout en cette période où comme vous le savez, la France est ternie par la montée de l'extrême droite...», dira celle qui a été durant des années conseillère du président français Mitterrand, mais aussi l'animatrice fétiche du Cercle de minuit et aujour-d'hui directrice de France culture mais aussi journaliste à France Inter et ecrivaine émérite pour ne citer que cela. Deux femmes d'exception qui se connaissent depuis longtemps puisque Laure Adler qui avouera avoir lu les premiers écrits de Maïssa Bey, dira qu'elle avait été immédiatement «éblouie par la grâce de cette écriture qui cachait en elle malgré son apparente simplicité une exigence dans la manière de transgresser cette langue, une littérature à la fois universaliste mais assez particulière dont j'en étais très admiratrice dans sa façon de vouloir cartographier l'Algérie de ces destins singuliers, aussi bien dans la littérature que dans le théâtre...» Dans sa rencontre avec l'auteure de Entendez-vous dans les montagnes, Maïssa bey, vendredi dernier à l'IFA, il était question de femmes au pluriel comme insistera notre auteure de Sidi Bel Abbès. Pour rentrer dans le vif du sujet de son roman, Hiziya, qui vient d'être écarté dans la sélection finale au Prix littéraire Fémina, Laure Adler, brossera paradoxalement un portrait assez négatif de la situation de la femme en France qualifiant que son statut et sa situation ont régressé par certains endroits et ce pour tenter de comprendre par une série de questionnements comparatifs liés à l'histoire du roman, comment vivent les filles en Algérie. Sorti en septembre aux éditions Barzakh, Hiziya faut- il le savoir, s'inspire directement de la romance bédouine de l'Algérie des années 1800. Une tragique histoire d'amour Hiziya, éternisée par le poète Benguitoun et chantée par Mohammed Ababsa et Khlifi Ahmed notamment. Aussi, Laure Adler débutera son échange analytique avec Maïssa Bey en s'intéressant d'abord à la forme de son roman dont elle dira qu'il existe trois types de topographies qui s'entrechoquent malgré l'apparence unitaire du récit. Pour Maïssa Bey ceci s'explique par le fait qu'il existe une multiplicité de voix. A commencer par celle de Hiziya, cette belle jeune file décédée à l'âge de 23 ans après avoir connu une histoire d'amour légendaire, d'où cette envie d'écrire, fera-t-elle remarquer, sur cette douleur et que la langue arabe a su bien restituer dans ce poème et dont très peu de langues parviennent à la chanter ainsi. «Ces poèmes-là je n'en ai pas beaucoup étudié à l'école ou très peu. Ça m'a amené à vouloir savoir comment peut -on nier ce corps-là aujourd'hui? Et par rapport à toutes les femmes c'est là où j'ai imaginé une autre Hiziya qui peut-être est parmi nous, et qui ne demanderait qu'à aller jusqu'au bout mais elle ne sait pas vers quoi. J'ai donc commencé à écrire l'histoire d'une fille qui vit à la Casbah qui vit un quotidien qui est le nôtre...» et de rajouter: «Mais il manquait cette révolte et cette âpreté qui est en moi d'où cette seconde voix sur laquelle d'autres interviennent...» Pour Maïssa Bey il était essentiel de restituer ces voix de femmes d'aujourd'hui avec toutes leurs aspirations, interdits et ambitions peut-être. Des voix de femmes qui sont souvent agitées par moult contradictions liées à notre société et ses tabous, poids des traditions, voisinage, moralité etc. tout comme la maman de Hiziya qui est décrite comme une femme hyperpieuse, farouchement attachée aux traditions et aux qu'en dira-t-on. Car souligne Maïssa Bey «nous sommes dans une société dominée par le regard de l'Autre et le poids de son jugement.» Et puis, Maïssa de se reprendre et de préciser que Hiziya ne constitue cependant, nullement l'archétype de la femme algérienne tout en soulignant sa méfiance à l'égard des généralités qui figent les gens dans un seul carcan. Fruit total de son imaginaire, la mère de Hiziya ressemble toutefois beaucoup à l'image que l'on s'imagine de la maman algérienne. Le père quant à lui est décrit comme un être passif qui s'est réfugié dans le passé glorieux et héroïque de l'Algérie par peur d'affronter la réalité de l'Algérie d'aujourd'hui. A ce propos, Laure Adler soulignera dans ce roman l'absence de manichéisme dans le regard de Maïssa Bey qui se refuse de juger personne. «Ces images, ces personnages inspirés de gens autour de moi je les ai vus dans ma tête effectivement avant de les écrire» relèvera Maïssa Bey à la question de Laure Adler de savoir si elle a été approchée par un réalisateur pour une éventuelle adaptation cinématographique de son roman tant sa valeur descriptive et imagée est somme toute palpable, estime-t-elle. Répondant aux différentes questions du public dans la salle, l'auteure de Bleu blanc vert dira que «le salut dans le rapport entre les individus viendra dans la communication qui pourra s'installer entre eux», a-t-elle conclu et ce, en faisant référence à une scène de dialogue entre Hiziya et son frère sans trop révéler la suite...