Beaucoup se gourent en croyant qu'ils sont jugés parce qu'ils ont consommé le breuvage de Bacchus! non, non et non! Abdelhamid Bourezg demeure, qu'on le veuille ou pas, l'un de nos meilleurs magistrats du siège. Il est souvent dans son jour. Et pourtant, son jour est le mercredi. Et comme les initiés le savent, tous nos mercredis sont gris. Malgré la grisaille et la tristesse du ciel généralement couvert, ce magistrat brun reste en forme. Rien ne l'arrête dès qu'il entame l'audience, et à neuf heures précises, SVP! Ce mercredi, il avait en face de lui, un jeune détenu inculpé de conduite en état d'ivresse et de refus d'obtempérer face aux policiers qui voulaient appliquer la loi i-e, prendre le taux d'alcoolémie. Tous les citoyens ont dû assister à ces cas de «allez, écrivons: rébellion» où le suspect devient un lion dur à calmer. Et le lion était un fauve, le jeune du mercredi avait plutôt l'air d'un...chaton. La détention préventive d'une semaine aura transformé le «forcené» qu'il était six jours plus tôt, sur les hauteurs de la capitale, un «forçat» lassé des coups de boutoir des nuits noires passées aux «Quatre Ha», cette véritable «université de la délinquance avérée». «Alors, inculpé, on s'est calmé? A lire le procès verbal de la police judiciaire, vous aviez résisté après le premier délit. C'est curieux, tout de même...» balance le juge qui a vu le jeune avocat venu des Aurès gigoter, prêt à sauter au cou de ce juge qui ose lire des passages enfonçants et redoutés. Et là, mes amis, à cet instant Bourezg avait compris que le porteur de la robe noire de Batna n'était pas venu simplement à Saïd Hamdine, le siège du tribunal de Bir Mourad Raïs (cour d'Alger) pour du tourisme. C'est alors que le président passera à la vitesse supérieure rappelant au détenu la loi de la conduite en état d'ivresse, celle relative à la rébellion. Il dit gravement: «Vous savez inculpé, vous n'êtes pas ici pour avoir consommé de l'alcool! n'est-ce pas Maître? Cela entre dans le cadre des libertés individuelles et collectives! Oui, il n'est pas interdit de boire, mais de boire et de prendre le volant! La loi est claire, nette et précise.» Le tout dit presque sans ponctuation. L'assistance, un record ce mercredi, était presque anesthésiée. Il y avait de quoi! Le juge a enfilé la djellaba d'imam, l'uniforme du flic, le costard du professeur en salle pour expliquer au jeune inculpé qu'il ne devait en vouloir à personne. Oui, il ne doit en vouloir qu'à lui-même car commettre coup sur coup deux délits n'arrive pas tous les jours! Nouredine Kassem, le jeune procureur, lui, suit le procès sans intervenir, contrairement à son chef, Halim Boudra, le procureur en titre qui était à Hussein Dey, il y a un peu plus de dix ans où il s'était illustré aux côtés de cette bonne rusée Bahia Allalou Tabi alors présidente de la section correctionnelle, toujours vigilante mais aussi souvent indulgente?... L'avocat de l'inculpé donnait la nette impression de vouloir se jeter dans le bain mais il devra attendre la plaidoirie pour vider ses tripes et sa gibecière à arguments forts et tintants. Et ce n'est pas fini! Passant de la conduite d'ivresse avérée, surtout que le jeune avait refusé la prise de sang, à la rébellion, Bourezg dit: «J'ignore ce que vous ont fait nos jeunes sympathiques policiers, mais pour moi, ils n'ont fait que leur boulot: le premier devoir étant le constat de l'état d'ivresse et le second, vous maîtriser avant que vous ne passiez à d'autres délits!» mâchonne le président qui venait de réaliser que le temps passait et que le jeune détenu commençait à se lasser de la position debout devant deux gaillards de la Dgsn qui feraient sourire Noureddine Benrachedi, leur boss du Central de «Amirouche», un divisionnaire qui a fait et qui fait de l'excellent boulot à la sûreté de wilaya, la plus précieuse du pays et pour cause...la Blanche mérite un tel officier - cadre-chef!!! Au cours de la mise en examen de cette triste affaire qui a vu Kassem, le procureur, réclamer une peine d'emprisonnement ferme de six mois. Le tout balancé robotiquement... Le juge avait beaucoup transcrit au cours du procès. Il a dû surtout s'étaler dans son dispositif, sur les regrets de l'inculpé qui ne pourra plus s'emporter dorénavant et il est assuré de tourner plus d'une fois sa langue avant de balancer quoi que ce soit. La justice est comme ça. Elle est très belle mais elle peut réagir férocement. La preuve, les nombreuses incarcérations, même de grosses légumes, même les...secs!