Entre poésie et narration, l'auteur évoque les conditions de vie de la femme algérienne entre tradition et modernité. «Je pars, sinon j'en mourrais. Je pars pour ne pas en mourir. Je vais traîner la maladie de l'exil, mais ce ne sera pas la mort. Je verrouillerai la porte de la nostalgie et je jetterai la clé au loin, ou dans un puits. Je ne fais rien sinon attendre. Au moindre signe du destin, je pars», lit-on dans le premier roman de Zineb Labidi, publié récemment aux éditions Casbah. Quelque part en Algérie, puisqu'il faut enraciner ces événements en un lieu et un temps...un village et son arrière-pays, désolés et oubliés de l'histoire. Un village qui jusque-là vivait imperturbable, connaît un drôle de bouleversement. Un jour d'élection, ceci dit, comme il y en a eu tant auparavant, soulève une «passion» ou une tension - porteuse de changements - dans ce coin où il ne se passe jamais rien. Imperturbable jusqu'ici, les villageois ou du moins certains «vieux» aux idées arrêtées au moyen-âge sont sommés de ramener leurs femmes pour voter, selon la loi... Une révolution pour ce vieil homme! Ces femmes, «toujours fautives, je ne veux pas être une Leïla, je ne veux ni le silence, ni l'effacement dans le noir de l'oubli. Je ne veux pas changer le monde, je veux juste lui échapper. Je veux aller très loin, en Chine ou au Japon», raconte la narratrice dans un sursaut de clairvoyance. Elle veut irrémédiablement s'en aller, ne plus rien avoir de commun avec les autres, «oublier sans rien, seulement moi et ma tête et l'amnésie». Femme rêveuse? Qu'importe, l'auteur à travers la bouche de Warda qui philosophe, au bain maure et vidant son coeur quand elle ne peut le faire face à son mari: «Ils ont toujours besoin de parler et toujours besoin de crier. Contre qui ils peuvent crier? Contre nous ! Les pauvres ! Ils ne seraient rien autrement. Ils ont besoin de nous, de nos oreilles». Et la narratrice de prendre position: «La grande Warda a raison, ils ont besoin de nous. Mais voilà, moi je n'ai besoin de personne et je ne veux être nécessaire à personne. Je ne veux plus être dans le nous. Ma tête et moi, ça me suffit». Une femme qui veut partir et s'affirmer non pas à travers autrui, mais seule. Comme une grande, un seul individu à part entière. Est-ce difficile? Mais voilà, d'autres ne comprennent pas et la prédestinent déjà à un autre destin, puisque «l'autre» l'a déjà accaparée dans son esprit: perte de raison. On l'appelle le fou, «El Djin». Il est fou d'amour pour cette fille du village qui, elle se fiche complètement de lui. «Lui, rêve d'amour comme les poètes et moi, je rêve de départ». A cette époque, où l'on évoque l'arrêt du processus électoral, le jeune fou est séquestré par l'émir du village qui tend à le guérir puis il est abattu par le second émir, le premier ayant été déchu en taghout...Ecriture réflexive qui se raconte sur le ton de la narration, l'écrivaine Zineb Labidi aborde un sujet fort délicat mais qui éclaire sur les embûches perpétuelles que l'homme rencontrera pour faire bouger les choses a fortiori, les femmes. Incompréhension, malentendu ou carrément rejet. Cela est d'autant plus effrayant lorsqu'il s'agit d'une fille. «Et alors?» s'interroge-t-on dans le livre. «Certaines filles sont mieux que des garçons. Aujourd'hui, les femmes sont les hommes de ce pays». Langage féministe ou simple revendication à l'égalité des sexes, le texte de Zineb Labidi est en tout cas un beau plaidoyer pour toutes ces femmes anonymes, n'ayant guère eu la chance d'exister par elles-mêmes simplement. Elles n'ont pas eu le choix, celui de penser et d'agir par elle-même pour s'accomplir enfin et affirmer leur individualité, leur corps. Le libre arbitre... ployées qu'elles étaient sous le poids de la famille, des traditions et des tabous. Partir, c'est aussi un droit légitime pour la fille! semble clamer l'auteur de La balade des djinns... Le mal est là, autour de nous, même quand il nous veut du bien. «Les garçons ont déserté le village devenu pour eux un étouffoir, et les filles ont discrètement suivies. Les familles ont parlé de traitement médical à suivre chez le frère ou le cousin installé là-bas ou très loin de la grande ville. Puis, les discours masques sont tombés. Plus personne ne cherche à cacher que sa fille étudie ou travaille loin, là-bas»... Admettre une réalité enfin. Zineb Labidi est née en Algérie, en pays berbère chaouia, dans un village au nom inspiré par Kahina. Elle part en France en mars 1996, lorsque le pays devient pour certains peau de chagrin. Elle enseigne la littérature francophone après l'avoir fait en Algérie. Auteur de traduction de contes et de poèmes, Zineb Labidi a publié un recueil de nouvelles intitulé Passagères. Intéressant à plus d'un titre, ce roman nous amène à s'interroger sur la société d'aujourd'hui. Finalement, a-t-elle évolué ou plutôt s'est-elle dégradée? Et cette violence sous-jacente qui bout, a-t-elle déversé tout son fiel ou en reste-t-il encore...Qu'en est-il pour la place qu'occupe la femme algérienne et ses droits ? Une sortie qui intervient au moment où le débat sur les réformes du code de la famille bat son plein. Acceptera-t-on un jour le changement?