Kaddour M'hamsadji vient de publier à l'OPU le deuxième tome de El Qaçba, zman (La Casbah d'Alger autrefois). Dans cet entretien, l'auteur revient avec passion sur le cérémonial et le rituel du mariage dans l'ancien Alger. Il explique les raisons de son projet qu'il juge essentiel dans sa vie d'écrivain. Pour les intéressés, l'auteur dédicacera son ouvrage les 30 et 31 octobre à partir de 14h, au niveau du stand de l'OPU, lors du Salon international du livre d'Alger. Vous venez de livrer aux lecteurs le deuxième tome de El Qaçba, zman, (La Casbah d'Alger autrefois), un livre qui retrace d'une manière nostalgique le cérémonial et le rituel du mariage d'antan, à Alger... D'abord, merci de me permettre de dire qu'il me paraît important d'avoir lu le premier tome d'El Qaçba, zman pour se mettre dans le temps de l'histoire de cette merveilleuse cité, dont de nombreux auteurs ont beaucoup parlé, mais je reste convaincu que ce n'est pas encore assez. Je voudrais ajouter que le deuxième tome consacre mes 50 années d'écriture, puisque ma toute première œuvre éditée, La Dévoilée, est parue en 1959, en France, avec une préface d'Emmanuel Roblès et un encouragement d'Albert Camus. Ensuite, je dois dire aussi que j'ai éprouvé un immense plaisir à écrire, ou plutôt à essayer de restituer dans ce deuxième tome, avec toute ma sensibilité et ma sincérité, l'authenticité du caractère traditionnel d'un événement important : ici le mariage, dans la vie sociale chez nous, et je préciserais du mariage d'autrefois. En effet, pour évoquer la tradition - quelle que soit sa nature -, il me semble nécessaire de remonter loin dans le temps et de m'abreuver aux bonnes sources de notre authenticité, en tout cas, aux sources considérées comme fiables. Sans faire un long discours, je pense qu'à partir de 1830, notre mode de vie a complètement changé. Notre « paraître » et notre « être », même sous l'influence de nouveaux critères de vie à El Qaçba, sont devenus différents de ceux que d'autres que nous connaissaient dans le passé. Certains, sans avoir lu encore le deuxième tome, m'ont fait ce reproche : « Mais la mariée qui illustre la couverture de votre livre ne porte pas le voile ! »... Vous voyez bien qu'il est bon de faire découvrir à la génération actuelle comment était la toilette de la mariée et comment se déroulait le mariage... J'ai donc essayé, sans jugement et sans nostalgie de retracer, comme vous dites, le cérémonial et le rituel du mariage dans les temps d'avant. C'est intéressant de savoir comment on se mariait autrefois dans La Casbah, n'est-ce pas. Votre livre est la résultante d'un long travail de recherche et de témoignages... Il est clair que la réalisation d'un projet qui montre combien les traditions sont parmi les plus belles vertus héritées de l'histoire n'est pas facile. Comme mes aïeux sont natifs de La Casbah - mon père est né à Sour El Ghouzlane mais sa mère et la mienne sont d'origine algéroise -, c'est dans leurs souvenirs que j'ai d'abord puisé et c'est grâce à ces souvenirs que j'ai constitué mes premières recherches sur La Casbah. Des lectures, des rencontres, des témoignages, des visites sur le site, des archives m'ont ensuite encouragé à aller de l'avant dans mes recherches. Oui, la quête a été longue, elle est encore longue, car il y a toujours un détail à revoir, à repréciser, à confirmer, à mettre à l'épreuve de l'authenticité, coûte que coûte. Vous savez, La Casbah est un beau poème inachevé... La poésie est justement omniprésente... C'est chose évidente à l'œil exercé ou simplement curieux de savoir. Le site est là, souffrant mais il est là sous nos yeux. Nos urbanistes ont encore beaucoup à remettre à l'endroit, nos décorateurs à restaurer à l'authentique, nos architectes à réinventer cette œuvre d'art dont tant d'artistes ont chanté la beauté éternelle dans tous les genres d'expression et les regrettés Momo et Flici, en poésie... Aussi, on comprend que les événements heureux dans « El Qaçba » soient célébrés dans la joie, la poésie et les chants, et que les cérémonies traditionnelles soient spécialement pleines d'émotions quand il s'agit de mariage, de naissance, de circoncision, de toute fête familiale, religieuse, nationale, etc. Vous empruntez la narration pour décrire non seulement les différentes étapes du mariage mais également les cérémonies organisées au domicile de la mariée notamment « la nuit du henné »... J'ai pris soin de narrer les différentes étapes du mariage pour aider le lecteur à se représenter et l'ordonnancement raffiné des activités et le respect trop fort de la mise en scène des acteurs dans une sorte de jeu de société dont les règles sont convenues, si j'ose dire, de toute éternité. Beaucoup de familles algéroises sont assez tatillonnes sur ce point d'ordre ! Mais à l'évidence, la nuit du henné ainsi que la nuit de noce sont des étapes parmi les plus marquantes dans le cérémonial du mariage autrefois, comme encore aujourd'hui, du reste. Seulement, il y a quelques différences dans l'enchaînement général de ces étapes et dans la pratique, par exemple, de la mise du henné à la mariée que je laisse les lecteurs découvrir en lisant le livre... Ce livre n'est-il pas un hommage à la femme algérienne, souveraine des us et coutumes... ? Oui, bien sûr ! Les femmes algériennes sont les gardiennes naturelles de nos us et coutumes, j'entends par là les vrais qui ont illuminé les esprits d'autrefois et qui donnent de la lumière au bon sens que chacun de nous souhaite mettre en œuvre aujourd'hui pour progresser. On doit donc encourager nos femmes à préserver et à enrichir ce patrimoine culturel auquel les Algériens sont attachés. Vous affirmez que la fidélité à la tradition est de conserver cette tradition en la recréant comme si elle n'avait jamais existé... Je confirme. Nous vivons une autre époque, mais les valeurs essentielles et les valeurs humaines demeurent. Le respect de l'autre, la tolérance, la générosité, la parole donnée, la fidélité, la pudeur (el h'ya), l'amour du travail, l'amour du beau, l'objet bien acquis,... enfin toutes ces notions de morale, de civisme et de culture, aujourd'hui souvent ignorées ou malmenées dans la pratique, ce sont nos parents qui nous les ont inculquées. Comptez-vous poursuivre votre série - entamée en 2007 - sous l'intitulé El Qaçba, zman (La Casbah d'Alger, autrefois) en publiant d'autres ouvrages ? Je pense bien tenir la promesse faite à mes lecteurs. Cependant, je dois dire que la réalisation de ce projet m'a coûté beaucoup en temps de recherche et de patience, en privatisations de sorties et de rencontres avec mes parents et mes amis. Mais qu'à cela ne tienne, si Dieu me donne santé et me prête vie, j'entamerai le troisième et dernier tome de la série d'El Qaçba, zman ; j'y évoquerai d'autres traditions, coutumes et fêtes. Pour l'heure, je me « repose » en écrivant Le Petit café de mon père, une vraie fausse autobiographie, car j'y mets beaucoup plus de mon imagination que de ma mémoire.