Après le déluge, le quartier sombre désormais dans la confusion. Responsables locaux et citoyens s'échangent les accusations. Il y a tout d'abord l'acheminement des dons, qui est, depuis le début de la catastrophe, le centre d'une grande polémique. Les sinistrés, squattant les écoles et les APC, déclarent à la presse n'avoir réceptionné aucune aide. De son côté, l'administration répète à qui veut l'entendre que l'opération se déroule dans les meilleures conditions, notamment durant ce ramadan avec l'ouverture de quatre points de distribution de repas chauds. Fait paradoxal, les sinistrés refusent de s'y rendre. Le vice-président de l'APC, M. Ben Amar, «ignore les raisons». Les sinistrés, de leur côté, justifient leur comportement par le fait qu'à travers ces restaurants, les autorités veulent nous obliger à quitter les lieux. Une attitude qui traduit un manque de confiance des sinistrés vis-à-vis des autorités locales. Sur un autre chapitre, le détournement des denrées suscite l'indignation des uns et le démenti des autres. Il s'agit des responsables locaux réduisant la polémique au stade de rumeur. Visant la déstabilisation de l'APC «ces mêmes cercles, ayant profité de l'anarchie qui a régné durant la dernière décennie», sont bien entendu, pointés du doigt. Par ailleurs, depuis le samedi noir, 439 familles ont été relogées, les autres devaient être expulsées vendredi dernier à minuit, l'information nous a été confirmée le même jour par M.Ben Amar. Contacté par nos soins à 15h30, il a déclaré que les élèves rejoindront les classes samedi. Rendez-vous raté, les élèves ont été obligés de rebrousser chemin samedi. Plusieurs écoles telles que El-Kindi, Askri-Ahcène, Malek-Ben Nabi, etc. étaient toujours occupées. Interrogé un responsable au sein de ladite APC nous a affirmé avoir reçu des instructions afin d'annuler l'expulsion. «Le Président nous a déclaré qu'il existe des logements pour tout le monde, et nous avons confiance en lui donc je ne quitterai pas l'APC jusqu'à ce qu'on me reloge», déclare cette quadragénaire. L'on précisera que cette sortie a nourri également des espoirs chez les faux sinistrés espérant un laxisme dans le traitement de leur dossier de la part des responsables locaux. Dans ce sens on a appris que d'autres familles ont rejoint les écoles samedi matin. Selon notre interlocuteur l'expulsion va être appliquée au plus tard mercredi prochain. « Nous avons deux listes à évacuer, après cela nous appliquerons l'expulsion », précise-t-il, et d'ajouter: «Les écoles devront rouvrir leur portes aux écoliers samedi prochain». Justement à l'école El-Kindi nous avons rencontré une directrice dans tous ses états. Après l'évacuation des quatre dernières familles ayant squatté l'école, vendredi soir, elle a été surprise de les retrouver samedi matin au même endroit. Une classe de la 4e année primaire n'a pu ainsi reprendre les cours. Ces familles ont été relogées à Reghaïa. «L'endroit est très loin, d'autant que je suis veuve avec quatre filles à ma charge», nous dira l'une d'elle avant d'ajouter: «La-bas il n'y a ni bus ni taxis, on est isolé, il n'y a aucun moyen de rejoindre notre travail». Ces familles ne constituent pas des cas isolés. Des dizaines de sinistrés reviennent le lendemain de leur relogement à l'APC pour déposer un recours. Motif: l'endroit est trop loin ou trop exigu, telle cette sexagénaire qui refuse d'habiter un studio avec ces cinq enfants. L'APC est confrontée à d'autres problèmes, plus complexes, telle l'évacuation des familles sinistrées dont les frères habitaient sous le même toit avec leur petite famille. Ils refusent d'être relogés dans le même appartement. C'est le cas des sinistrés du 8, rue Berazouane à Bab El-Oued qui ont rejoint leur habitation menacée d'effondrement malgré l'interdiction des services de sécurité. La position des responsables locaux est ferme: «Ils habiteront sous le même toit nous ne pouvions les loger individuellement», nous dira l'un d'eux. Les habitations évacuées connaissent de nouveaux squatters à Bab El-Oued précisément au 1 rue Khaled-Dekar. Ainsi, trois familles occupent un appartement dans un immeuble qui risque l'effondrement d'où l'urgence d'une intervention des autorités locales afin d'éviter l'erreur commise en 1989. Les familles accusent l'administration d'avoir relogé des faux sinistrés. «Je suis prêt à citer des noms», déclare un quadragénaire au vice-président chargé du social. «Trop tard, lui répondra-t-il, il fallait réagir avant». Après le déluge, Bab El-Oued sombre dans l'anarchie.