Par la volonté des hommes, il ne reste que le souvenir amer du déluge qui a tout englouti la matinée du 10 novembre, par la défaillance des hommes, tous les dysfonctionnements ont été mis à nu par ce même déluge. L'heure est au bilan. Un mois après les intempéries qui se sont abattues sur Bab El-Oued, les chiffres communiqués par la cellule de crise de la wilaya d'Alger renseignent sur l'ampleur d'une catastrophe où tout a manqué sauf la solidarité. Le dernier bilan officiel fait état de 712 morts, 115 disparus et 12 personnes hospitalisées. Sur les 1.587 familles sinistrées, 1.326 ont été définitivement relogées, 156 sont toujours (jusqu'à hier) dans les centres de transit. Les établissements scolaires, au nombre de 30 squattés ont été récupérés, il reste cependant 7 infrastructures encore occupées. Sur le plan de la distribution des repas, pour la journée d'hier, 33 515 repas chauds ont été distribués dans le cadre de l'opération «Maïdat El Hilal» en plus de 64 restaurants qui ont servi, la même journée 6.370 repas. Pour l'aide internationale, 26 pays, 27 ONG, 54 avions et un effectif de 110 personnes ont afflué après la catastrophe pour assister le peuple algérien. Concernant les bâtisses à usage d'habitation, 6.120 logements ont été expertisés, et 26 autres ont été démolis dans les quartiers de Bab El-Oued, Raïs Hamidou, Bologhine et de Oued Koriche. Les bâtisses évacuées, sont au nombre de 21 dont la majorité à Bab El-Oued. L'éclairage a été rétabli à 100%, ce qui n'est pas le cas pour le réseau routier dont 25% restent encore à réhabiliter, et encore moins pour les lignes téléphoniques, puisque les familles résidant aux alentours du lieu du drame doivent attendre. S'agissant des indemnités, 640 familles ont bénéficié d'une avance sur l'allocation du capital décès, estiméee à 10 millions de centimes. Cela étant, avant le bilan définitif qui se chiffrerait à des milliards, les «dégâts collatéraux» de ces inondations s'étaleront sur une longue période. Des dégâts sur la santé, la société et le rapport entre les pouvoirs publics et la société. Les maladies respiratoires et les complications asthmatiques ont caractérisé, ces dernières semaines, la région de Bab El-Oued «engluée» par un nuage de poussière soulevé par les mécaniques évacuant la boue séchée par le soleil. Du côté de l'hôpital psychiatrique Drid-Hocine, on signale de plus en plus de consultations, de patients souffrant de traumatisme induit par la catastrophe, et qui nécessite une surveillance sur plusieurs années. Sur le plan politique, le fossé séparant la société des pouvoirs publics s'est creusé et reste difficile à combler même au prix du tiers du budget de la relance économique. La vague de boue qui a tout englouti a fait émerger toutes les défaillances dans la gestion de la cité. D'aucuns s'interrogent sur la visite du premier officiel étranger sur les lieux du drame avant les responsables algériens, l'ambassadeur français en l'occurrence. C'est après cela que le ministre de l'Intérieur s'est rendu à Bab El-Oued, puis plusieurs fois le Premier ministre et au troisième jour le Président de la République. Sur fond de mécontentement, un sentiment de laissés-pour-compte, les sinistrés de Bab El-Oued ont vécu les premières semaines du drame. Inondés par les dons, les responsables chargés de l'opération de distribution ont buté sur un système de fonctionnement complètement coupé des relais de la société. Paniqués devant la situation, des officiels algériens accusaient tantôt les constructions illicites, tantôt la France coloniale qui a détourné le lit d'un fleuve pour se résigner, enfin devant la colère divine. Tant bien que mal, les choses ont repris leur court normal après deux semaines d'atermoiements. Sur le terrain, l'opération de relogement a constitué la tâche la plus compliquée tant il était difficile de séparer les sinistrés du drame de ceux du système. Parallèlement, le déblaiement continuait de jour comme de nuit par les éléments de l'ANP et un corps, qui n'est pas à sa première preuve dans l'action citoyenne, la Protection civile. Ces derniers assistés par des citoyens bénévoles qui ont manifesté leur solidarité encore une fois lors d'un téléthon dont ils attendent toujours les résultats. C'est dans ce climat, trouble et dramatique que le président français Jacques Chirac s'est rendu sur le lieu le plus touché par les inondations : Bab El-Oued pour marquer sa solidarité avec les Algériens.