«Oui, nous sommes arrivés au point de rupture où le 'vivre ensemble'' risque de sombrer dans la barbarie la plus répugnante d'un libéralisme de catastrophe, nourri d'ostracisme et de fascisme religieux où se mêlent les doctrines économiques et politiques à la théologie et aux traditions religieuses.» Sidi Mohammed El-Ghaouti BESSENOUCI suite et fin Comme précédemment souligné, la façon de raisonner de Sidi Mohammed El-Ghaouti Bessenouci n'est pas sans rappeler l'analyse de Michel Foucault surtout que l'ensemble de l'oeuvre du philosophe français, largement inspirée par Nietzsche et Kant, est une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres (la médecine, la justice, les rapports familiaux ou sexuels...) et pose des problématiques, à partir de l'étude d'identités individuelles et collectives en mouvement. Pour l'universitaire tlemcénien, s'il est exact que les vérités de cette dialectique organisée ne peuvent être contestées et qu'elles s'imposent formellement à l'esprit, il ne serait d'autre voie, à son sens, que celle de rejoindre Eugène Tassin qui préconise, «non pas de penser la redéfinition ou la reconstruction d'un ordre plus égalitaire», mais qui propose simplement de concevoir un principe de vivre ensemble qui serait «une promesse de rassemblement et de convention non pas de dominer mais d'agir ensemble». En effet, en s'inscrivant dans la revendication d'un agir commun par la promesse, il est donné aux sujets la possibilité d'être emmené au-delà de ce que l'institutionnalisation de la vie sociale leur aurait permis: «Certes, cette potentialité est incertaine, fragile et temporaire, mais elle est réelle puisqu'elle en appelle à cette 'altérité'' réclamée par Emmanuel Levinas, qui aspirait à une manière nouvelle de penser, plus ouverte, plus créatrice pour échapper aux modèles séculaires. Au fond, sa philosophie est une recherche sur la relation avec autrui et la reconnaissance de l'autre dans sa différence, aussi bien culturelle que religieuse, en d'autres termes un pas vers l'au-delà de l'être, à l'instar du Bien platonicien.» Est-ce à dire que la question du vivre ensemble se pose dans nos sociétés dominées par un égocentrisme et une insensibilité forcenés? Ce à quoi la même source répond ainsi: «Oui, nous sommes arrivés au point de rupture où le 'vivre ensemble'' risque de sombrer dans la barbarie la plus répugnante, d'un libéralisme de catastrophe, nourri d'ostracisme et de fascisme religieux où se mêlent les doctrines économiques et politiques à la théologie et aux traditions religieuses.» Sidi Mohammed El-Ghaouti Bessenouci me fait part de quelques inquiétudes en mettant expressément l'accent sur le fait avéré que la crainte de la métamorphose liée au refus de la liberté et à la méfiance à l'égard de l'esprit critique engendre fatalement l'agression à l'endroit de ceux qui sont réputés différents: «Comment en sommes-nous arrivés là? Y aurait-il, dans la nature humaine, dans la culture et les traditions, quelque indice qui l'autoriserait? À quelle distance (dirait Roland Barthes) dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une sociabilité sans aliénation? Des questions pertinentes que se pose la même source dont la réponse, estime-t-elle, s'ordonnerait d'une manière inévitable autour de cette controverse polarisante de la spiritualité qui a été (et qui sans doute demeure) à la base du développement de nos civilisations à travers les âges, cette spiritualité qui est une fonction vivante naturelle de l'être humain. Mieux, soutient l'universitaire de l'ancienne capitale des Zianides à un moment pourtant où le tout idéologique emporte tout sur son passage, nous avons quasiment oublié que les civilisations, durant des millénaires, étaient liées à ce qu'on dénomme la Tradition! «C'est-à-dire la conscience selon laquelle 'l'Esprit'' précède la Matière. Nous avons oublié notamment que l'être humain n'est pas une fin en soi, mais un maillon d'un grand tout qui le contient et le dépasse; les événements récents et ceux qu'ils annoncent probablement nous forcent pourtant, au-delà de l'émoi qu'ils suscitent en nous, à repenser en profondeur le phénomène de radicalisation et la manière d'y faire face.» Sur quoi donc, sur quel terroir, sur quelle dimension de la vie humaine porterait la question du vivre ensemble? Rejoignant en cela une étude intitulée par l'Unesco «Diversité et inter-culturalité en Algérie», Sidi Mohammed El-Ghaouti Bessenouci n'est pas loin de penser que la culture peut se définir comme «un ensemble complexe regroupant les traditions, les us et coutumes, les croyances et rites, les pratiques, comportements et attitudes des membres de la société, qu'ils soient des groupes ou des individus». Tous ces éléments, matériels et immatériels, contribuent donc, souligne la même source, à la définition du profil de l'identité culturelle collective. Pour autant, beaucoup de choses peuvent changer par le fait de la rencontre avec d'autres cultures et l'influence mutuelle qui en découle: «Ainsi, dès lors qu'une référence commence par la production scientifique, intellectuelle et artistique de cette société, je serais en droit de m'interroger sur ce que les grands noms de cette partie du Monde, aux confins de l'Occident et de l'Orient, ont produit comme discours et comme courants de pensée touchant à la notion du «vivre ensemble»?» [email protected]