Cinq ans après la Révolution du Jasmin, les choses avancent lentement en Tunisie Après de longues années de répression, les Tunisiens s'expriment enfin librement, mais cet acquis de la révolution de janvier 2011 reste fragile, comme l'ensemble des libertés publiques et individuelles, selon des ONG. Sous le régime de Zine el Abidine Ben Ali, la plupart des Tunisiens chuchotaient dans un coin pour parler de politique, et la presse ne relatait que le discours officiel. Depuis la révolution, des dizaines de journaux, radios et télévisions privées ont vu le jour. Ils offrent un large espace aux débats politiques et toutes les critiques sont permises. «Personne ne peut nier que la liberté d'expression est le principal acquis de la révolution», se félicite Néji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT). La révolution a aussi permis la naissance de dizaines d'associations et ONG telles que Al Bawsala (la Boussole), qui veille sur le travail du Parlement, I-Watch, spécialisée dans la lutte anticorruption, ou encore Shams (Soleil), qui milite pour la dépénalisation de l'homosexualité. Des élections libres et démocratiques ont été organisées et une nouvelle Constitution proclamant de nombreux droits et libertés a été adoptée en 2014. Mais si ce nouveau texte «consacre les libertés publiques et individuelles», et s'il existait au début de la révolution «une volonté politique pour rompre avec un passé répressif, les choses n'avancent pas», regrette Yosra Frawes, de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH). «On est en train d'augmenter le nombre de dispositions juridiques anticonstitutionnelles, liberticides et très rétrogrades, non conformes aux conventions internationales (...) et à la Constitution», avance-t-elle. L'article 23 appelle ainsi l'Etat à protéger la dignité de l'être humain et son intégrité physique, interdisant la torture. Mais «des témoignages sur de mauvais traitements, y compris sur des décès suspects en milieu carcéral, ont été enregistrés», relève Yosra Frawes. En 2015, des jeunes ont encore été arrêtés pour consommation de cannabis en application de la «loi 52», promulguée en 1992 du temps de la dictature et régulièrement utilisée, selon la société civile, pour réprimer la liberté d'expression. En 2013, des rappeurs critiques de la police avaient été emprisonnés sur cette base. D'autres, des étudiants, ont été soumis à un examen anal dans le cadre de poursuites pour homosexualité, malgré les protestations d'ONG nationales et internationales dénonçant une pratique «dégradante» et appelant à une réforme du Code pénal. Par ailleurs, la loi tunisienne permet toujours à un violeur d'éviter la prison en épousant sa victime, dans un pays qui a pourtant la réputation d'accorder aux femmes le statut le plus moderne du monde arabe. Le climat actuel est fortement marqué par la menace jihadiste, dont les autorités n'ont pu stopper la progression depuis 2011. «L'état des libertés connaît une régression et on ne voit pas d'engagement réel du gouvernement pour les protéger. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, il y a des violations des libertés», affirme Néji Bghouri. En matière de presse, des violences contre une trentaine de journalistes ont été enregistrées après la dernière attaque revendiquée par le groupe Etat islamique (EI), fin novembre en plein Tunis (12 gardes présidentiels tués). Après cette troisième attaque majeure en 2015, les autorités ont réinstauré l'état d'urgence. Cette mesure d'exception, prolongée jusqu'en février, donne des pouvoirs accrus aux forces de l'ordre et permet l'interdiction des grèves et réunions «de nature à provoquer ou entretenir le désordre» ainsi que la fermeture provisoire des «salles de spectacle et débits de boissons». Elle offre aussi la possibilité de «prendre toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature». Adoptée fin juillet, la nouvelle loi antiterroriste, «restreint les droits humains» et assure «l'immunité aux agents de l'ordre», ajoutent des ONG. Selon elles, elle accorde des pouvoirs «trop discrétionnaires», comme une garde à vue de 15 jours sans accès à un avocat. «La menace contre les libertés et les droits est toujours là et n'a jamais cessé de l'être», estime le blogueur Azyz Amami, qui fut en 2010 un des organisateurs d'une manifestation contre la censure d'Internet, alors réprimée.