L'artiste devant sa toile «Tantôt attachée à mes traditions et parfois enchaînée, je m'oppose à l'incompris refusant toutes sortes de chaînes», confie l'artiste sur le catalogue. Ravie l'artiste Kenza Bournane qui a étrenné son exposition de peinture après trois ans de travail en «solitaire». Il avait un public aujourd'hui et même s'il pleuvait et la galerie Yasmine n'est pas si à côté. Une assistance foisonnante qui pourrait faire le contrepoids avec la thématique picturale déclinée sur différents toiles, toutes de grand format. C'est que l'espace prend d'un coup de l'importance à force de se retrouver dans, l'exiguïté de ce vernissage où il était, faut-il le reconnaître, difficile de bien apprécier le tableau. D'en saisir la substance. D'abord, parce que ces oeuvres-là se regardent de loin et puis, cette aura surdimensionnée donnée à chaque oeuvre tranchait avec le sentiment de petitesse qui entourait soudainement cette exposition. Une émotion nous étreint pourtant quand on regarde ces tableaux. Pourquoi? Le sujet lui-même donne le ton. «Sur le fil», titre de l'expo, pourrait bien se compléter par «du rasseoir» tant les échappées linéaires qui ponctuent chaque tableau sont mises en exergue, mais là c'est de la guillotine dont il s'agit beaucoup plus. La peinture est une matière qui lorsqu'elle sèche donne cette apparence d'être coupée au couteau. Ses plis convergent vers une certaine épaisseur de l'esprit qui remplit paradoxalement le vide de l'espace. Car les peintures de Kenza ont cette fausse apparence du vide sidéral. Ce qui au premier degré est incontestablement vrai. Ses tableaux déclinés en plusieurs parties, d'abord en noir et blanc, puis rouge et bleu, dans les tons ocre et puis dans des mélanges naissants, se matérialisent en une variation esthétique conférant à ce vide comblé une espèce de charnière temporaire que dénonce en quelque sorte la peinture de cet artiste autodidacte. Il y a ici et là des chaises vides et puis ces silhouettes ou spectres humains en file indienne et enfin ce visage peint en rouge qui pleure. Le temps n'a pas d'emprise sur la douleur. La patience et la mort. Mais il n'y a pas que ça, il y a des lignes, des accords géométriques et ces quelques mots écrits à la main ici et là pour dire la monstruosité «immonde» de l'homme qui peut se métamorphoser en «démon». Kenza Bourenane a privilégié l'abstrait pour exprimer sa sensibilité qui peut paraître obscure de prime abord. Une certaine terreur s'en dégage mais un appel vers la paix et l'évasion aussi au fur et à mesure que notre regard se dilue dans des couleurs moins pâles, plus animées et chaleureuses. Mais toujours ce petit vide sidéral et puis ces traits droits qui délimitent les contours de ces «cases». Il y a un certain ordre dans ce chaos que l'on peut discerner, voire déchiffrer, à quelques exceptions près dans quelques toiles où la peinture plus foisonnante se permet le mélange, le brouhaha et le tumulte, la fusion comme une aspiration vers le magnifique, même si ce n'est pas tant la perfection qui est recherchée, mais une certaine harmonie dans cette béatitude folle de couleurs mixées. Des corps vaporeux, des teintes enfumées d'où s'échappe une certaine brûlure consumée, mais surtout ces guillotines qui semblent être accrochées comme une épée de Damoclès sur nos têtes. Bien qu'énigmatique, la peinture de Kenza est bouillonnante, terrifiante, donne à voir le mal pour en débusquer ses cendres et atteindre le paisible sans doute comme une ligne de mire à envisager, qu'elle dessine soigneusement avec délicatesse. De l'éveil de l'être fragile, l'âme des damnés à la projection vers un monde meilleur, c'est tout cela que raconte cette peinture à découvrir enfin à la galerie El Yasmine de Dély Brahim. «Tantôt attachée à mes traditions et parfois enchaînée je m'oppose à l'incompris refusant toutes sortes de chaînes. J'ai découvert que le seul moyen d'expression était la peinture, un exutoire parfois difficile à appréhender pour une autodidacte comme moi, mais j'ai compris aussi qu'il n'y avait pas de règles précises quant à la façon de faire car les choses se passent de façon différente pour chacun d'entre nous», confie Kenza Bournane sur le catalogue. Une expo à voir.